Nos Ancêtres, Vicomte et Baron - Italo Calvino

Y a-t-il parmi vous des lecteurs de Calvino ? Pour ma part, il y bien des choses que j'aime chez lui, mais j'ai une prédilection particulière pour Le Baron perché, et pour Le Vicomte pourfendu, dans la série Nos ancêtres, qui comporte aussi Le Chevalier inexistant, pour lequel ma sympathie est moindre. Commençons par Le Vicomte, dont je ne me lasse pas, et que j'ai autrefois testé sur des enfants jeunes (moins de dix ans), en épisodes, ça a particulièrement bien marché. Je l’ai aussi lu, à voix haute et quasi in extenso, avec commentaire cursif, dans une classe de STI non-lecteurs. Succès.


Pendant une guerre contre les Turcs, fin XVIIIème en Bohême, le Vicomte Médard de Terralba, fringant jeune noble des environs de Gênes, qui découvre la guerre dans toute sa macabre et fantaisiste horreur, le vicomte Médard, donc, est coupé net en deux par un boulet. Des médecins apprentis-sorciers réussissent à réparer la moitié droite qu'ils ont retrouvée sur le champ de bataille, et notre demi-Médard rentre au pays en litière. Il est à peine arrivé, un soir d'automne, que famille et sujets comprennent que le vicomte est devenu un être malfaisant, qui cause incontinent la mort de son père, pousse l'ingénieux menuisier du village, Pierreclou, à créer de macabres machines -potences à plusieurs branches pour y suspendre des malfrats inoffensifs et faire naître ainsi plus de feux follets au cimetière… - tente d'assassiner son neveu bâtard (et narrateur du roman), se débarrasse de sa nourrice Sébastienne de façon machiavélique, et arpente la campagne, fantastique demi-silhouette drapée de noir et arrimée sur un cheval, pour y couper en deux toute manifestation de vie : légumes, fruits, animaux, mollusques, tout est la proie de sa passion tranchante. Le pays, peuplé d'êtres nonchalants et fatalistes, observe les méfaits de celui que l'on nomme de toutes sortes de surnoms évocateurs : le boiteux, le manchot, le borgne, l'efflanqué, le demi-sourd, le défessé, le démonté, le fluet, le bancal, et tente de s'organiser pour résister. On croise, outre le jeune narrateur, l'étrange docteur Trelawney, un ivrogne arrivé au pays à cheval sur un tonneau de Bordeaux (?), peu soucieux des maux des hommes, mais expérimentateur et naturaliste passionné, les lépreux lubriques et inventifs de Préchampignon, mais surtout la fantasque et incohérente bergère Paméla, accompagnée de son canard et de sa chèvre, dont Médard tombe amoureux, à sa manière.

Mais voilà qu'alors qu'il la poursuit de ses assiduités baroques, le pays découvre qu'il est arpenté par un autre Médard, bientôt affublé quoique de façon moins inventive, de ses propres sobriquets : le Bon, le boiteux de l'autre jambe, le manchot gauche. Il s'agit bien sûr de l'autre moitié, qui vous l'aurez compris, est la "bonne" moitié. Tellement bonne qu'elle en est dégoulinante, étouffante et tout aussi insupportable que la première, qui se met bientôt à la haïr, d'autant plus que les deux demi-Médard se découvrent rivaux en amour.

Je vous laisse découvrir le texte, et la fin. C'est évidemment une fable. Mais contée avec allégresse, dans une langue simple et riche, pleine d'inventions – les noms en sont une illustration. De la littérature populaire sans complaisance, gaie et profonde, divertissante et FANTAISISTE, au meilleur sens du terme.

• Premier message de Médard à Paméla : une demi-chauve-souris, accompagnée d'un demi poulpe sur un pierre. Je doute que vous vous montriez aussi perspicaces qu'elle: c'est un rendez-vous : "ce soir, au bord de la mer."


Quant au Baron perché, les Éditions du Seuil l’ont publié en volume relié, illustré par Yan Nascimbene. C'est une édition "jeunesse" dont le lien que voici avec la rubrique Calvino du très joli site de Yan Nascimbene vous donnera une idée. Je vous recommande cette édition : elle est merveilleusement réussie. On trouve dans le dessin la même légèreté et la même fantaisie parfois foisonnante que dans le roman. Il est à mon avis rare de trouver un tel accord entre un auteur et un illustrateur.

Le site donne toutes les illustrations réalisées pour Le Baron, pour Palomar, et pour un texte que je n'ai pas lu : Aventures.
http://www.yannascimbene.com/ (Cliquer sur Portfolio, puis sur Calvino, Le Baron perché.)


(Citation extraite de la page Bio du site) : En Mars 2001, les Editions du Seuil publient Aventures de Italo Calvino, dans une édition illustrée par Yan Nascimbene. "Depuis 15 ans", dit-il, "j'imaginais d'illustrer ces récits sans espérer que ce rêve puisse un jour se réaliser". A la parution de l'ouvrage, Esther Calvino, veuve de l'auteur, lui écrit:

"Votre interprétation graphique de Aventures est une merveille de délicatesse et sensibilité. Je crois que mon mari aurait été de mon avis, lui aussi aurait apprécié cette discrétion constante dans votre travail".


La Society of Illustrators de New York lui décerne une médaille d'argent pour cet ouvrage. Du même auteur, Yan illustre encore Palomar (Seuil, 2003) et Le Baron perché (Seuil, 2005).

Commentaires

1. Le vendredi, mai 16 2008, 19:44 par Bernadette

Eh bien je fais partie des lectrices du Baron Perché et du Vicomte pourfendu !

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