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dimanche, août 14 2011

Sam Savage – Firmin,

sous-titré en français Autobiographie d’un grignoteur de livres.

Mélancolique, lubrique et érudit, tel est le rat Firmin, treizième (à la douzaine) rejeton de Flo, pathétique ivrognesse qui mit bas sa portée au cœur du quartier voué à la destruction de Scollay Square, Boston-après-guerre, dans les entrailles de la librairie Pembroke Books, au cœur d’un nid constitué des pages lacérées de Finnegan’s Wake, sa quasi première pitance. Mélancolique et désenchanté, tel est aussi le ton général de cet ouvrage brillant, évoqué par deux de mes lecteurs, Dominique et Nathalie. Des profondeurs de la ville aux hauteurs d’une chambre crasseuse, Firmin, sorte de Diogène désabusé, explore le monde des livres et celui des hommes, en quête d’un sens à son pitoyable destin, et d’une première phrase digne du livre qui fera de lui aussi un auteur - sur les traces de Grand, le personnage de La Peste (autre histoire de rats) ?… À sa suite, le lecteur parcourt les allées de sa mémoire littéraire, cueillant au fil des lignes et des pages tel clin d’œil à un auteur connu, ou poursuivant perplexe l’origine d’un écho insaisissable et familier. Bel hommage à l’univers des mots et des pages dont voici quelques extraits :

« Et quels livres j’ai découverts pendant ces premiers jours enivrants ! Aujourd’hui encore il me suffit d’en réciter les titres pour avoir les larmes aux yeux. Alors, récitez-les à voix haute et laissez-les vous briser le cœur. Oliver Twist, Les Aventures de Huckleberry Finn, Gatsby le Magnifique. Les Âmes mortes. Middlemarch. Alice au pays des merveilles. Pères et Fils. Les Raisins de la colère. Ainsi va toute chair. L’Amérique Tragique. Peter Pan. Le Rouge et le Noir. L’Amant de Lady Chatterley.

Dans les premiers temps, mon appétit était primitif, orgiaque, imprécis, goinfre – une bouchée de Faulkner ou une bouchée de Flaubert, je ne faisais pas la différence -, mais il ne m’a pas fallu longtemps pour discerner quelques nuances ; j’ai tout d’abord remarqué que chaque livre avait un goût propre – sucré, aigre, amer, aigre-doux, rance, salé, acide. J’ai également constaté que chacune de ces saveurs – puis, au fur et à mesure que mes sens s’aiguisaient, que la saveur de chaque page, chaque phrase et finalement chaque mot – s’accompagnait d’une série d’images et de représentations dont je ne savais pourtant rien vu mon expérience très limitée de la prétendue réalité : gratte-ciels, ports, chevaux, cannibales, arbre en fleur, lit défait, femme noyée, garçon volant, tête tranchée, ouvriers levant les yeux au hurlement d’un idiot, sifflet d’un train, rivière, radeau, rayons obliques du soleil dans une forêt de bouleaux, main caressant une cuisse nue, casemate dans la jungle, ou moine agonisant. »

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