lundi, janvier 31 2011

Bref essai sur les Lumières, l’Europe et aujourd’hui

En préparant mes cours, je tombe sur cet essai tapé pour  mes élèves. Le voici offert à la réflexion de tous.

La Chine         

            Le siècle des Lumières fut surtout éclairé par des lumignons. On reste toujours un peu éberlué de voir, dans les peintures du temps, des assemblées de princes, de philosophes et de musiciens, assis au milieu des miroirs et des ors, éclairés par de maigres chandelles. Leibniz et Voltaire, à Postdam, accueillis par Sophie-Charlotte et Frédéric le Grand, Schiller et Goethe à Weimar par Anna Amalia, Mozart un peu partout, tous ces esprits brillants parlaient dans la pénombre.

            La perfection technique entraînée par le progrès des Lumières inondera plus tard nos salons sous des flots de lux à gogo. La qualité des discussions n’y a rien gagné. Ni le teint des hôtesses.

            Les Lumières, c’était aussi l’époque où la Chine occupait dans les esprits la place d’un Paradis imaginaire. Goethe vit assez vieux pour recevoir de Chine des porcelaines inspirées de Werther. Ce paradis rêvé, le XXe siècle le transformerait en un Enfer bien trop réel.

             L’Enfer, en attendant, si présent jusqu’alors, paraît disparaître des représentations peintes ou écrites durant tout le XVIIIe. L’âge de l’Aufklärung est une brève parenthèse heureuse, loin du Höllentrichter où Lucifer s’ennuie. Entre les derniers bûchers du Moyen Âge finissant, qui brûleront sorcières et hérétiques jusqu’aux premières décennies du XVIIe, et les premières cheminées fumant des camps de concentration, trois siècles exactement plus tard, les feux s’éteignent, et il y a ce court moment où, chassant les ombres trop noires et les éclats trop violents, plaisir et raison semblent s’équilibrer. Nymphes et nus embarquent inlassablement pour Cythère ou pour les îles Fortunées.

            Il y a cependant, loin des yeux de la foule et des discussions de salon, Messmer et Sade, avec leurs machines, leurs appareils de métal et de verre, leurs expériences in vivo, leurs fureurs, leurs convulsions et leurs hurlements.

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