Thomas Bernhardt, Mes Prix littéraires - Petite scène de TGV
Par Agnès Orosco le lundi, avril 19 2010, 00:03 - Littérature germanique - Lien permanent
Il y avait sur le siège en avant
et à gauche du mien, c’est-à-dire en plein dans mon champ de vision, un type
qui est l’INCARNATION d’une certaine forme de la « beaufitude » et de
l’imbécillité contemporaines. Grand gaillard entre trente et quarante ans, le
cheveu court hérissé en houppette par le gel (qui dira les ravages faits par
Tintin dans la psyché masculine ?), l’œil bleu globuleux et écarquillé. Il
s’est installé – en mini-short, toutes cuisses musclées et poils au vent (en
avril ne te découvre pas d’un fil ?) – il a allumé son ordinateur, et pendant
plus de trois heures, il a joué en cliquant sans trêve à un jeu de golf ! avec
petits personnages enfantins (un ours, un petit chaperon ou plutôt bonnet
rouge, un castor écossais, un cerf nommé Birdie, un renard – « play as the fox
» -), vues panoramiques ou zooms sur un paysage idyllico-lacustro-montagneux
(de plus en plus enneigé au fil de ses échecs, si j’ai bien compris), et succès
ponctués par une sorte de monsieur Muscle en lévitation faisant saillir ses
biceps, sans doute une représentation allégorique de l’ego du joueur. Frénésie
vaine, exhibition de soi, futilité, infantilisme… Au demeurant, écrans à tous
les sièges (dont un nombre considérable était inoccupé, cependant que les gares
grouillent de voyageurs en souffrance, et sans le moindre banc pour s’asseoir),
quelques journaux (''L'Equipe''), peu de livres.
Sans doute était-ce le décor ? l’environnement ? idéal pour découvrir Thomas Bernhardt, qui m’ avait
toujours inspiré une méfiance certaine. « Mes
Prix littéraires ». Une longue suite de perplexités intimes
doublées de fiascos sociaux. C’est qu’il en a eu, Thomas Bernhardt, des prix
littéraires ! un joli pactole. Peu de choses à en dire (la lecture de toute
liste, quand elle n’est pas papoue, a quelque chose de fastidieux), encore que
celle-ci relève quand même d’ « une
forme inédite d’auto-biographie » telle celle qui a été saluée au
cours de la remise, plaisante, joviale, gastronomique, du « Prix de littérature de la Chambre fédérale de
commerce » (sic).
Lecture assez réjouissante, avec ce curieux style répétitif, radoteur presque, qui procède par agglutinations de formules répétées et enrichies selon le principe de la boule de neige ou de la bille de fumier du stercoraire - et une solide pratique de la digression autobiographico-rétrospective, comment dire ? enchâssée mine de rien dans la phrase. L’ensemble est fielleux, vindicatif, égocentrique, spirituel … et puéril.
Trois des « discours » prononcées à l’occasion de ces remises de prix figurent à la fin de ce mince volume Gallimard - Du Monde Entier. Il s’y manifeste un talent évident pour la vaticination fulminante, à moins que ce ne soit pour la fulmination vaticinante.
Il s’agit d’une œuvre posthume, entamée dans les années 80, achevée en 88.
Finalement, je relirai peut-être une fois ou l’autre du Thomas Bernhardt (La Cave, par exemple, qui lui valut ce si chaleureux prix de la Chambre fédérale de commerce de Salzbourg). Le voyage s’en est mieux passé – judicieusement tenu, le bouquin occultait pile l’écran du golfeur – ça m’a amusée et ça m’a mise en appétit.