Robert Margerit - Mont-Dragon

J’ai découvert Robert Margerit cet été, lorsque me fut offert le premier tome de La Révolution française, vaste roman historique en quatre volumes, où, contrairement aux lois du genre, les personnages romanesques jouent un rôle de second plan. C’est l’Histoire qui tient le premier rôle. D’abord séduite par un début assez alerte qui mettait aux prises à Limoges et aux alentours la jeune et jolie Lise avec son amant de cœur, Bernard, et celui auquel ses parents l’ont donnée en mariage, Claude, l’un plus bourgeois que l’autre, séduite donc par la résolution de la jeune femme de se partager entièrement, en ces débuts de la Révolution, entre ses deux amours, en une sorte de libertinage à la fois ingénu et déterminé, j’ai ensuite trouvé que le roman marquait le pas. Il est passionnant au début de suivre Claude, député de Limoges, qui au fil des débats parisiens devient progressivement un montagnard convaincu. On perçoit, comme jamais en cours d’histoire, la façon dont au fil du temps l’idée républicaine est née et s’est radicalisée. Le premier tome est vraiment prenant. Pourtant, j’ai calé au milieu du second. Le roi, la reine et la famille royale viennent d’être emprisonnés au Louvre, Paris est la proie des émeutes, mais au fil des événements, Lise et Claude ont pâli, cependant que Bernard, parti comme officier dans les armées républicaines a disparu depuis 2 ou 300 pages. Le fil romanesque s’est distendu sous la pression de l’action historique. C’est très mal, mais je préfère Dumas…

Brèfle. Il s’est avéré que Robert Margerit était aussi l’auteur d’un moins vaste roman, Mont-Dragon, dont j’avais vu il y a bien longtemps l’adaptation au cinéma. Un film troublant, où dans le huis clos d’un château peuplé de femmes, Jacques Brel jouait le rôle d’un écuyer cynique et libertin, qui entreprenait, avec un succès inégal, de pervertir les unes et les autres.


Le roman donc. Dans « La petite vermillon » de La Table Ronde, jolie variation sur les anciens «Livre de Poche». Dont la préface, très documentée, nous informe que l’adaptation cinématographique est d’une parfaite infidélité (c’est vrai), et que Julien Gracq prisait le roman au point d’en faire l’éloge dans La Littérature à l’estomac, et de le renouveler plusieurs décennies plus tard.

Il y a donc bien un château isolé au cœur des bois en plein Limousin, pendant la guerre (l’écriture du roman a donc été contemporaine de la fiction qu’elle élaborait, le roman est de 44), château peuplé de femmes (la mère, la fille, la tante, la soubrette), sous la protection, ou la menace, du rocher de Mont-Dragon, et où les hommes ne sont présents qu’à titre de satellites : M. de Boismesnil, le mari et père, est mort à la guerre (lointaine, la guerre, même quand elle est mentionnée comme proche et menaçante), l’oncle, marquis de La Guérillière – dont le patronyme évoque pour les cavaliers l’illustre écuyer La Guérinière - n’est là que pour introduire le héros, et le fidèle Gaston, si lié à la famille et aux chevaux soit-il, n’est qu’un domestique, être fruste et instinctif. C’est lui qui va chercher Georges Dormond à la gare et, et entre eux l’hostilité est immédiate. Personnage inquiétant, sorte de centaure auquel même les chevaux les plus indomptables ou les plus rétifs se soumettent incontinent, homme opaque et pervers, hostile, violemment hostile aux hommes, attentif et pourtant dépourvu de toute capacité à la sympathie, amoureux de la beauté des femmes, mais pour les soumettre, mufle autant qu’on peut l’être dans la vie sociale comme dans l’intimité, Dormond, loup dans la bergerie, dérègle en ses moindres rouages la dormante ordonnance de Mont-Dragon. Il séduit et réduit Germaine, et fait corps avec l’indomptable, l’in-montable Érèbe, tout en se laissant toucher par la grâce, la sensibilité et l’orgueil naturel de la jeune châtelaine, Marthe, qui l’a engagé pour faire tourner malgré la guerre le haras paternel. Entre l’écuyer corrupteur – qui laisse traîner à portée de curiosité et de sensualité les ouvrages libertins, avec gravures, de Laclos, Vivant-Denon ou Nerciat, et la figure ardente et noble de Marthe, le drame du roman se noue.

Dans l’obscurité des chambres, des couloirs ou des sous-bois de Mont-Dragon s’échauffent les passions étouffées, sensualité, érotisme, obsessions, haines, remords… Chef d’orchestre de cette cacophonie silencieuse, Dormond se heurte à la fierté, à l’intelligence, à la beauté et à la bonté de Marthe, écuyère talentueuse – quoique femme – et adversaire à sa mesure, la première, la seule.

C’est somptueusement écrit. D’un classicisme charnu, terrien, érudit, et pourtant sans affectation ni préciosité. Ancien Régime. Libertin, diablement, mais ni grossier ni pornographique. Non pas un exercice de style XVIIIe en plein XXe, mais, à travers le combat muet de Dormond et de Marthe, une passion de la beauté, de la grâce humaine et animale, de la chair, et des livres.

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