Lisez Le Pouvoir du chien
Par Agnès Orosco le mercredi, juin 20 2007, 17:55 - Littératures anglophones - Lien permanent
de Thomas Savage (ce n'est même pas un pseudo) !
C'est magnifique de tension, de justesse, de cruauté, c'est admirablement écrit : le roman confronte dans un ranch de l'Utah et dans les environs deux frères quadragénaires richissimes, un lourdaud taciturne, un brillant beau-parleur. Unis comme les doigts de la main, ils constituent un couple de frères célibataires et complémentaires, que va fissurer le mariage du premier avec une petite veuve fragile et souriante, mère d'un adolescent silencieux, secret, très intelligent et assez inquiétant.
Tout est bien : l'évocation des paysages, les relations des hommes avec la nature et entre eux, la tension cruelle qui croît à l'intérieur du ranch entre les personnages, la menace qui plane. C'est écrit et construit, passionnant. Le roman est de 67, et c'est chez 10/18.
Et aussi : Rue du Pacifique, chez Belfond, ce n'est pas encore en poche chez 10/18.
Autre histoire de l'Ouest : Grayling, petite ville en pleine expansion, un couple de ranchers unis, Lizzie et John Metlen et leur fils Zack, qui grandit au cours du roman, autre enfant silencieux et "différent" que son père maladroit, impulsif et imprévoyant a du mal à comprendre, malgré tout l'amour qu'il lui porte. À nouveau la fin des Indiens, qui quittent leurs terres ancestrales pour aller rejoindre leurs réserves. Mais ce roman est plus urbain que Le Pouvoir du chien. En contrepoint de l'ascension sociale irrésistible de leur rival le banquier Connor, un type arrogant et cynique, le roman raconte l'histoire de la dégringolade des Melten, victimes des rêveries et de l'imprévoyance de John. Mais il y a Lizzie, sa beauté, son humour et son humanité rigoureuse, et Zack l'inventif, qui part trouver sa voie en France pendant la guerre de 14. Puis Anne, la métisse d'indienne, dont la splendeur hautaine illumine toute la dernière partie du roman.
Ce qui me comble, dans l'écriture de Savage, c'est son extraordinaire manière, à la fois de dessiner de façon aiguë les personnages les plus mineurs - qui viennent danser avant de disparaître leur petite valse au premier plan, lorsque le Destin des personnages l'exige - et d'éluder tout pathos en dérobant littéralement entre les lignes les moments qui devraient paraître les plus essentiels. L'art de l'understatement poussé à son incandescence. Et puis cette manière de mêler une lucidité cruelle et désabusée avec une profonde tendresse pour les êtres. Une écriture aiguë, belle et pudique. Après les dégoulinades laurensiennes (Camille Laurens, que j'ai dû me "farcir" pour le Goncourt des lycéens), j'ai lu Savage avec passion et gratitude.