UN CLIN D’ŒIL AUX ANCIENS HK ET UN SALUT DE BIENVENUE AUX NOUVEAUX :

MOLIÈRE OU « LE GÉNIE A TOUT CE QU'IL LUI FAUT DANS SON CERVEAU. »... Victor Hugo, William Shakespeare (« Les Génies»)

Dessin humoristique de Catherine Meurisse, extrait de son excellent livre Mes hommes de lettres, éditions Sarbacanne, 2008. © Catherine Meurisse et les éditions Sarbacanne.


LUNDI 4 SEPTEMBRE : ORDRE DU JOUR

Accueil en classe des élèves (plus tôt, accueil internat à préciser, voir site du lycée), présentation générale par le professeur principal, coordonnateur de l'HK. Durée moyenne : une heure. Ensuite, cours selon l'emploi du temps, qui vous sera communiqué dès la première heure.

* Pour le COURS DE LETTRES : LUNDI 4 SEPTEMBRE : 10H10-13h05

Il est nécessaire d'apporter ce jour-là la bibliographie que vous avez pu télécharger sur le site du lycée (ou qui vous a été remise), ainsi que les œuvres au programme, dans la mesure du possible. Il est en effet impératif que tous les élèves possèdent la même édition des œuvres qui seront étudiées cette année : je voudrais m'en assurer avec vous. Même si les raisons paraissent évidentes, j'expliquerai précisément pourquoi en cours. La bibliographie sera utile pour comprendre les informations que je donnerai au sujet des khôlles : textes à lire, calendrier, organisation.

Je présenterai ensuite le programme de travail que nous suivrons cette année, ainsi que les méthodes et les exercices auxquels vous serez formés. Des textes divers vous seront ensuite distribués, afin de préparer à l'exercice de l'explication de texte, et donc à la première série de khôlles - qui prendra place aux mois d'octobre et de novembre.

FIN SEPTEMBRE / DÉBUT OCTOBRE

Après une réflexion générale sur la littérature et quelques notions d’histoire littéraire mises en perspective (notamment à partir d'une bibliographie chronologique détaillée), nous étudierons l’œuvre de Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit, dans le cours d’HISTOIRE LITTERAIRE qui a lieu le lundi matin (10H10-13H05). Le cours GENRES/NOTIONS du vendredi (14h10-16h15) portera au début sur le roman. Il introduira notre travail sur le Voyage au bout de la nuit, qui sera, avec d'autres oeuvres abordées en classe, au centre des prochaines Rencontres de Pierre d'Ailly, jeudi 30 novembre, au lycée Pierre d'Ailly, en salle Imago Mundi. L'invité en sera Emmanuel Pierrat, avocat au barreau de Paris et écrivain. La conférence sera consacrée cette année à la question de la liberté d'expression dans le domaine littéraire et aura pour intitulé : « Littérature, Droit et Morale : liberté et responsabilité de l'écrivain ».


Voici quelques textes suggestifs qui retiendront notre attention lors des premiers cours. Ils nous aideront à entamer une réflexion sur la littérature, appréhendée du point de vue de l'auteur mais aussi du lecteur. Pour chaque texte ou court extrait, il sera nécessaire de situer la pensée de l'auteur dans l'histoire littéraire, afin de mieux cerner les enjeux du problème que celle-ci énonce de manière plus ou moins explicite. Il sera donc question, dans un premier temps, de faire l’analyse comparée de la formule célèbre de La Bruyère avec les réponses que lui apportent Lautréamont et Philippe Jaccottet. Il faudra ensuite lire attentivement les textes suivants pour voir comment on peut les rattacher au problème que pose l'affirmation de La Bruyère.

1- La Bruyère (1645-1696), dans « Des Ouvrages de l'Esprit » (Les Caractères, 1688, première édition) : « Tout est dit, et l'on vient trop tard depuis plus de sept mille ans qu'il y a des hommes et qui pensent. Sur ce qui concerne les mœurs, le plus beau et le meilleur est enlevé; l'on ne fait que glaner après les Anciens et les habiles d'entre les Modernes. »

2- Lautréamont (1846-1870) : « Rien n'est dit. L'on vient trop tôt depuis plus de sept mille ans qu'il y a des hommes. Sur ce qui concerne les mœurs, comme sur le reste, le moins bon est relevé. Nous avons l'avantage de travailler après les Anciens, les habiles d'entre les Modernes. » Poésies II

3- Philippe Jaccottet (1925-2021) : « Croire que ‘tout a été dit’ et que ‘l’on vient trop tard’ est le fait d’un esprit sans force, ou que le monde ne surprend plus assez. Peu de choses, au contraire, ont été dites comme il le fallait, car la secrète vérité du monde est fuyante, et l’on peut ne jamais cesser de la poursuivre, l’approcher quelquefois, souvent de nouveau s’en éloigner. » Tout n’est pas dit, éd. Le Temps qu’il fait, 1994.

TEXTE 1

Roland Barthes, « Littérature et signification », dans Essais critiques (1964), éditions du Seuil, coll. « Points», pages 265-266.

« La littérature possède-t-elle une forme, sinon éternelle, du moins transhistorique ? Pour répondre sérieusement à cette question, un instrument essentiel nous manque : une histoire de l’idée de littérature. On écrit sans cesse (du moins depuis le XIXe siècle, ce qui est déjà significatif) l’histoire des œuvres, des écoles, des mouvements, des auteurs, mais on n’a jamais encore écrit l’histoire de l’être littéraire. Qu’est-ce que la littérature ? : cette question célèbre reste paradoxalement une question de philosophe ou de critique, ce n’est pas encore une question d’historien. Je ne puis donc risquer qu’une réponse hypothétique – et surtout très générale.

Une technique déceptive du sens, qu’est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire que l’écrivain s’emploie à multiplier les significations sans les remplir ni les fermer et qu’il se sert du langage pour constituer un monde emphatiquement signifiant, mais finalement jamais signifié. Est-ce ainsi pour toute littérature ? Oui sans doute, car définir la littérature par sa technique du sens, c’est lui donner pour seule limite un langage contraire, qui ne peut être que le langage transitif ; ce langage transitif, c’est celui qui vise à transformer immédiatement le réel, non à le doubler : paroles « pratiques » liées à des actes, à des techniques, à des conduites, paroles invocatoires liées à des rites, puisque eux aussi sont censés ouvrir la nature ; mais dès lors qu’un langage cesse d’être incorporé à une praxis, dès lors qu’il se met à raconter, à réciter le réel, devenant ainsi un langage pour soi, il y a apparition de sens seconds, reversés et fuyants, et par conséquent institution de quelque chose que nous appelons précisément littérature même lorsque nous parlons d’œuvres issues d’un temps où le mot n’existait pas ; une telle définition ne peut donc reporter la « non-littérature » que dans une préhistoire que nous ne connaissons pas, là où le langage n’était que religieux ou pratique (il vaudrait mieux dire : praxique). Il y a donc sans doute une grande forme littéraire, qui couvre tout ce que nous connaissons de l’homme. Cette forme (anthropologique) a reçu, bien entendu, des contenus, des usages et des formes subsidiaires (« genres ») très différents selon les histoires et les sociétés. D’autre part, à l’intérieur d’une histoire restreinte comme celle de notre Occident (bien qu’à vrai dire, du point de vue de la technique du sens littéraire, il n’y ait aucune différence entre une Ode d’Horace et un poème de Prévert, un chapitre d’Hérodote et un article de Paris-Match), l’institution et la déception du sens ont pu s’accomplir à travers des techniques secondaires très variées ; les éléments de la signification peuvent être accentués différemment, de façon à produire des écritures très dissemblables et des sens plus ou moins remplis ; on peut par exemple codifier fortement les signifiants littéraires, comme dans l’écriture classique, ou au contraire les livrer au hasard, créateur de sens inouïs, comme dans certaines poétiques modernes, on peut les exténuer, les blanchir, les approcher, à l’extrême, de la dénotation, ou au contraire les exalter, les exaspérer (comme dans l’écriture d’un Léon Bloy, par exemple) : bref, le jeu des signifiants peut être infini, mais le signe littéraire reste immuable : depuis Homère et jusqu’aux récits polynésiens, personne n’a jamais transgressé  la nature à la fois signifiante et déceptive de ce langage intransitif, qui « double » le réel (sans le rejoindre) et qu’on appelle « littérature » : peut-être précisément parce qu’il est un luxe, l’exercice du pouvoir inutile que les hommes ont de faire plusieurs sens avec une seule parole. »


TEXTE 2

Paul Valéry, « Je disais quelquefois à Stéphane Mallarmé », Variété III (1936), dans Variété III, IV et V, éditions Gallimard, coll. « folio /essais », pages 14-16.

« Les perfections, avec l'étrangeté soutenue de ses rares écrits, nous suggéraient une idée de leur auteur bien distincte de celles que l'on se fait ordinairement des poètes, même considérables.

Cependant que cette œuvre sans pareille surprenait, à peine entr'ouverte, séduisait aussitôt l'ouïe, s'imposait à la voix, et se soumettait tout l'appareil de la parole par une sorte de nécessité dans l'ajustement des syllabes créée à force d'art, – tout de suite elle embarrassait l'esprit, l'intriguait, le défiait parfois de comprendre. S'opposant à la résolution instantanée du discours en idées, elle exigeait du lecteur un travail souvent très sensible de l'intellect et une reprise attentive du texte : exigence dangereuse, presque toujours mortelle.

La facilité de lecture est de règle dans les Lettres depuis le règne de la hâte générale et des feuilles qui entraînent ou harcèlent ce mouvement. Tout le monde tend à ne lire que ce que tout le monde aurait pu écrire.

D'ailleurs, puisqu'il s'agit enfin en littérature d'amuser son homme ou de lui faire passer le temps, ne demandez l'effort, n'invoquez point la volonté : ici triomphe la croyance, peut-être naïve, que le plaisir et la peine s'excluent.

Quant à moi, je le confesse, je ne saisis à peu près rien d'un livre qui ne me résiste pas.

Demander au lecteur qu'il tendît son esprit et ne parvînt à la possession complète qu'au prix d'un acte assez pénible ; prétendre, de passif qu'il espère d'être, le rendre à demi créateur, – mais c'était blesser la coutume, la paresse, et toute intelligence insuffisante.

L'art de lire à loisir, à l'écart, savamment et distinctement, qui jadis répondait à la peine et au zèle de l'écrivain par une présence et une patience de même qualité, se perd : il est perdu. Un lecteur d'autrefois, instruit dès son enfance par Tacite ou par Thucydide pleins d'obstacles, à ne point dévorer ni deviner la ligne ; à ne fuir, le sens effleuré, la phrase et la page, promettait aux auteurs un partenaire qui valût que l'on pesât les termes et qu'on organisât la dépendance des membres d'une pensée. La politique et les romans ont exterminé ce lecteur. La poursuite de l'effet immédiat et de l'amusement pressant a éliminé du discours toute recherche de dessin ; et de la lecture, cette lenteur intense du regard. L'œil, désormais, goûte un crime, une « catastrophe », et s'envole. L'intellect se perd dans un nombre d'images qui le ravissent ; il se livre aux effets surprenants de l'absence de loi. Si le rêve est pris pour modèle, (ou bien le pur souvenir), la durée, la pensée le cèdent à l'instant.

Celui-là donc qui ne repoussait pas les textes complexes de Mallarmé se trouvait insensiblement engagé à réapprendre à lire. Vouloir leur donner un sens qui ne fût pas indigne de leur forme admirable et du mal que ces figures verbales si précieuses « avaient assurément coûté, conduisait infailliblement à associer le travail suivi de l'esprit et de ses forces combinatoires au délice poétique. Par conséquence, la Syntaxe, qui est calcul, reprenait rang de Muse.

Rien de moins « romantique ». Le Romantisme a décrété l'abolition de l'esclavage de soi. Il a pour essence la suppression de la suite dans les idées, qui est une des formes de cet esclavage ; il a favorisé par là un immense développement de littérature descriptive. La description dispense de tout enchaînement, admet tout ce qu'admettent les yeux, permet d'introduire de nouveaux termes à chaque instant. Il en résulta que l'effort de l'écrivain, réduit et concentré sur cet instant, s'est appliqué aux épithètes, aux contrastes de détail, aux « effets » facilement séparables. Ce fut le temps des joyaux.

Mallarmé a sans doute tenté de conserver ces beautés de la matière littéraire, tout en relevant son art vers la construction. Plus il avance dans ses réflexions, plus s'accusent, dans ce qu'il produit, la présence et le ferme dessein de la pensée abstraite. »


TEXTE 3

René Girard, De la violence à la divinité, éditions Grasset, 2007, pages (« Introduction»).

MENSONGE ROMANTIQUE ET VÉRITÉ ROMANESQUE OU LE DÉSIR MIMÉTIQUE

Ce premier livre n’est pas le faux départ qu’il paraît être, dans une direction littéraire abandonnée par la suite en faveur du religieux et du social. Il est la première étape d’une recherche dont les instruments ont varié, je le répète, mais pas les objectifs. Toutes mes thèses sur la violence et le religieux se fondent sur la conception du désir élaborée dans ce livre.

Mensonge romantique... est consacré à cinq grands romanciers européens qui vivaient dans des sociétés différentes à des époques différentes, dans des milieux différents. Ils n’avaient ni la même langue, ni le même style, ni les mêmes traditions littéraires. Mais ils ont tous la même conception mimétique du désir et elle produit des ressemblances plus intéressantes que toutes leurs différences.

Le désir mimétique est copié sur un autre désir. C'est un désir qui en imite un autre. Si Don Quichotte se jette sur les moulins à vent, c’est parce qu’à sa place, pense-t-il, le modèle des chevaliers errants, Amadis de Gaule, en ferait autant. Emma Bovary, elle aussi « programme » son désir sur les romans sentimentaux dont sa jeunesse s’est gavée.

Du fait que ce livre n’analyse que des romans il ne faut pas conclure que le genre romanesque a une espèce de monopole sur la révélation du désir mimétique. Quelques années plus tard, j’ai repris la théorie de ce désir sur des exemples empruntés à la tragédie grecque. Plus tard encore, j’ai écrit un livre sur le savoir exceptionnel de Shakespeare à son sujet.

Représenter les rapports de désir au lieu de réfléchir abstraitement sur eux, avec les philosophes et les psychologues, favorise quelque peu la découverte du mimétisme. Celle-ci n’en reste pas moins très rare même dans le théâtre et dans les romans. Un des plus beaux exemples, dans sa simplicité, se trouve dans un poème. C'est le célèbre récit des amours de Paolo et de Francesca dans La Divine Comédie...

Francesca a épousé le frère de Paolo, elle est donc belle-sœur de ce dernier. Au début de son mariage, la présence auprès d’elle de son beau-frère ne la trouble aucunement, pas plus que sa présence à elle ne trouble Paolo. Un beau jour, cependant, les deux jeunes gens lisaient ensemble, innocemment, le fameux roman de Lancelot du Lac et au moment où la reine Guenièvre, l’épouse « du roi Arthur, échange avec le héros un premier baiser, Paolo et Francesca se tournèrent l’un vers l’autre et échangèrent, mimétiquement, leur premier baiser.

Le monde moderne applaudit ces amants qui continuent à s’aimer jusque dans cet enfer où le péché d’adultère et la vengeance du mari trompé les ont précipités. On applique à Paolo et Francesca tous les clichés romantiques sur la « spontanéité » et l’« authenticité » du désir, sur le souci exclusif des deux amants l’un pour l’autre, sur leur oubli total du monde extérieur, sans s’apercevoir qu’on fait dire à Dante le contraire de ce qu’il dit. C'est là ce que j’appelle le mensonge romantique qui projette imperturbablement sa définition solipsiste du désir sur la vérité romanesque de Dante c’est-à-dire la révélation du désir mimétique. (...).

Mensonge romantique... entend montrer que le désir a une histoire et elle se définit par le rapprochement constant des modèles et de leurs imitateurs. Il ne s’agit pas là d’un phénomène exclusivement littéraire. On vérifie aisément qu’il se produit aussi dans l’histoire réelle. Plus le monde se démocratise, plus la liberté individuelle se répand, plus les rivalités se multiplient, les plus stériles comme les plus fécondes. Toute cette concurrence accélère le développement économique, scientifique et technique mais, simultanément, elle suscite le malaise des individus dans l’instabilité de toute communauté, familiale, locale, nationale... La théorie mimétique du désir rejoint sur beaucoup de points la pensée de Tocqueville dans la seconde partie de La Démocratie en Amérique, brièvement évoquée ici dans un chapitre sur Stendhal. »


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