Plan :

Ne sont proposées ici que des références, plus ou moins développées, qui doivent être accompagnées d'une argumentation solide, dont le fil directeur est la problématique donnée en cours.

I- Primauté ou prévalence de l’amour sur la parole ?

A-La thèse de Rousseau :

«De cela seul il suit avec évidence que l'origine des langues n'est point due aux premiers besoins des hommes ; il serait absurde que de la cause qui les écarte vînt le moyen qui les unit. D'où peut donc venir cette origine ? Des besoins moraux, des passions. Toutes les passions rapprochent les hommes que la nécessité de chercher à vivre force à se fuir. Ce n'est ni la faim, ni la soif, mais l'amour, la haine, la pitié, la colère, qui leur ont arraché les pre¬mières voix. Les fruits ne se dérobent point à nos mains, on peut s'en nourrir sans parler ; on poursuit en silence la proie dont on veut se repaître : mais pour émouvoir un jeune cœur, pour repousser un agresseur injuste, la nature dicte des accents, des cris, des plaintes. Voilà les plus anciens mots inventés, et voilà pourquoi les premières langues furent chantantes et passionnées avant d'être simples et méthodiques. Tout ceci n'est pas vrai sans distinction, mais j'y reviendrai ci-après.» Essai sur l’origine des langues (ch. II)

- Il ne s’agit donc pas de séparer l’amour de la parole, mais de montrer que le sentiment «déborde» ses limites, même s’il faut aussi évoquer, à chaque fois que possible, les « manières plus vives de s'exprimer » de l’amour. La parole n’est pas toujours très « heureuse » à exprimer, non seulement à cause de la part de convention qu’il y a dans les mots (ce qui rend les formulations peu originales, et peut les confiner à la rhétorique d’un discours amoureux facile – cf. discours de Lysias -) mais aussi parce que l’amoureux est confronté à ce que le philosophe Jankélévitch appelle «l’ineffable », qui fait que la « parole manque » et ne parvient pas à dire « l’inépuisable mystère d’amour » (cf. La Musique et l’Ineffable, p. 93). Ainsi que le dit Létitia Mouze dans son introduction, « l’amour … est l’essence même de l’âme » (p. 77). Socrate va user d’images et d’éléments mythiques pour traiter de cette réalité non matérielle (246a). Le recours à cet «expédient» ne signale pas l’échec de la parole mais il reste le seul moyen capable d’exprimer une réalité ineffable : « Elle ressemble assurément à une puissance qui unit naturellement un attelage et un cocher ailés. » (p. 238). Les mots de Socrate relèvent de l’analogie et précisent parfois l’effort de formulation : « Il faut maintenant essayer de dire ce qui fait qu’un vivant est dit mortel ou immortel ». (Ibid.) La dialectique est emblématique de cet effort d’expression, parfois douloureux…

- On peut se servir, pour le chant qui préexiste à la parole, du mythe des hommes-cigales évoqué en 259.

- Si la « parole » est maîtresse dans Les Fausses confidences, elle ne doit pas occulter l’importance de « la surprise de l’amour », liée aux émotions, et qui, de trouble en trouble, en dévoile le mystère (cf. notamment la scène 12 de l’acte III).

- Le projet de Romances sans paroles consiste à retrouver une expression qui n’est plus entachée des conventions de la parole, ce qui peut faire penser, mutatis mutandis, à l’idée que Rousseau se faisait de la première langue, dans son Essai, où, si elle existait encore, « l'on chanterait au lieu de parler », la musique, avec sons imitatifs, débordant la sécheresse grammaticale de la parole. N’est-ce pas ce que le poète recherche avec « le chant de la pluie » (Ariette III), le « doux chant badin » du piano (Ariette V) ? Et la « Child Wife » des « Aquarelles » est décrite au présent par des cris et des gesticulations qui contrastent avec le vers 12 : « Vous qui n’étiez que chant ! ». Ce chant a évidemment une épaisseur métaphorique : il désigne à la fois une harmonie perdue et un état d’innocence propre à l’enfance.

B-Silences, regards, gestes.

- Nos trois œuvres sont riches de ce que les linguistes nomment le « matériel non verbal », à savoir tout ce qui renvoie à l’apparence physique, « les cinétiques lents » (attitudes et postures) et les « cinétiques rapides » (jeu des regards, des mimiques et des gestes) et doit être associé au matériel paraverbal (intonations, pauses, débit, caractéristiques de la voix). On peut lire à ce sujet le petit livre de Catherine Kerbrat-Orecchioni, La Conversation, Seuil, coll. « Mémo » et se dispenser de son grand œuvre en trois volumes, Les Interactions verbales, Armand Colin… Il sera donc difficile, contrairement à ce que Rousseau pourrait laisser penser, de séparer complètement ces moyens d’expression de la communication verbale, car ils s’y rattachent toujours peu ou prou. C. Kerbrat cite le linguiste David Abercrombie en ces termes : « Nous parlons avec nos organes vocaux, mais c’est avec tout le corps que nous conversons. » (Op. cit., p.27).

- Socrate, qui en a après Phèdre, prend un certain plaisir à le regarder lire le discours de Lysias (234d).

- Dorante (II, 15) dit à Araminte, être condamné « au silence » face à la femme qu’il aime (à cause de sa position sociale) : c’est Dubois qui parlera pour lui. Mais ce silence a d’autres résonances dans la pièce. Il est timidité, impuissance à formuler un discours amoureux convaincant, émotion paralysante… Voir aussi la I, 6, scène dans laquelle Araminte dit ceci à Marton, à propos de Dorante : « Marton, quel est donc cet homme qui vient de me saluer si gracieusement, et qui passe sur la terrasse ? Est-ce à vous à qui il en veut ? ». Et, un peu plus loin : « il a si bonne mine pour un intendant, que je me fais quelque scrupule de le prendre ; n'en dira-t-on rien ? » Où l’on peut constater l’importance de la physionomie et du geste, qui contribuent beaucoup à la naissance de l’amour, par une sorte de « reconnaissance » de la qualité de la personne, par-delà son appartenance sociale. D’une manière générale, il faut être attentif au vocabulaire du regard et de l’observation : I, 14, Dubois présente un Dorante envoûté par Araminte : « il donnerait sa vie pour avoir le plaisir de vous contempler un instant. Vous avez dû voir qu'il a l'air enchanté quand il vous parle. » Et, même si l’on mesure mieux ici l’artifice de Dubois : « il ne veut que vous voir, vous considérer, regarder vos yeux, vos grâces, votre belle taille ; et puis c'est tout : il me l'a dit mille fois. » (I, 14). Araminte, en I, 15, à propos de Dorante : « je n’oserais presque le regarder. ». Prolongement en II, 15, où Dorante avoue regarder le portrait de celle qu’il aime quand il ne la voit point…

- Fausses confidences : voir aussi la scène 13 de l’acte II, dans laquelle Araminte dicte une lettre à Dorante pour le comte. Elle y met Dorante à l’épreuve, en affichant sa détermination à épouser le bon parti qu’il représente, au grand dam de Dorante, qui ne sait plus quoi dire et reste empêtré dans ses émotions…

- Le 2e poème de « Birds in the night » évoque un saisissant contraste entre le regard qui ment et la parole qui trahit (c’est le cas dans toute la section, cherchez d’autres exemples):

« Vous juriez alors que c'était mensonge

Et votre regard qui mentait lui-même

Flambait comme un feu mourant qu'on prolonge,

Et de votre voix vous disiez: "je t'aime!" »

Lisez la note 3 de votre édition, fort instructive à ce sujet, car elle met ce poème en relation avec La Bonne chanson.

- L’introduction de Romances sans paroles rattache très justement l’œuvre de Verlaine au Rimbaud « en quête du silence et de ‘l’inexprimable’ », p. 23.

C-La force du désir.

- Dans Phèdre, le premier discours de Socrate et sa définition double de l’amour, qui peut être Eros, l’amour des beaux corps. Socrate le définit comme un «désir privé de raison qui, l’emportant sur l’élan du jugement vers la rectitude nous mène du côté du plaisir qu’offre la beauté… » (238b et 238c). C’est l’amour humain, dominé par la recherche du plaisir, qui ne correspond que partiellement à l’amour véritable selon Platon (donc critiqué par Socrate), c’est-à-dire l’amour divin (caractérisé par la recherche du bien). Le 2e discours évoque trois sortes de folie : la troisième, qui vient des Muses, provoque des « transports bachiques » propices à l’expression poétique. Mais cette « expression » excède le langage, car le poète est avant tout inspiré. La dernière, celle qui nous intéresse au premier chef, est la folie érotique. Dans les deux cas il y a comme une démesure, un emportement qui surpasse la parole.

- La peinture de la passion de Dorante par Dubois, en I,14, théâtralisée certes, mais reposant sur la vieille représentation occidentale de l’amour qui fait souffrir (cf. les analyses de Denis de Rougemont), ce qui fait dire à Araminte, s’adressant à Dubois en II, 12 : «(…) je suis obligée de prendre des biais, et d'aller tout doucement avec cette passion si excessive que tu dis qu'il a, et qui éclaterait peut-être dans sa douleur. »

- La scène du portrait dans Les Fausses confidences en II, 9, et ce qu’elle révèle, en ouvrant les yeux d’Araminte :

MARTON __ Je n'ai pas encore ouvert la boîte, mais c'est moi que vous y allez voir.

Araminte l'ouvre, tous regardent.

LE COMTE __ Eh ! je m'en doutais bien ; c'est Madame.

MARTON __ Madame ! ... Il est vrai, et me voilà bien loin de mon compte ! (A part.) Dubois avait raison tantôt.

ARAMINTE, à part __ Et moi, je vois clair. (A Marton.) Par quel hasard avez-vous cru que c'était vous ?

Voilà un objet qui « exprime » pour Dorante – et conformément à l’analyse de Rousseau- bien plus vivement l’amour d’Araminte que ne le ferait un discours éloquent. Il convient d’analyser ici l’intérêt de cette scène, le léger comique de la méprise (Marton qui en fait les frais), ce que le portrait cristallise de passions, de doutes, d’espoirs, etc.

- Dans Romances sans paroles, la force du désir amoureux se traduit avant tout par une volonté de liberté dans tous les domaines : érotique, bien entendu (l’aveu de l’homosexualité affleure dans le recueil), social (la séparation d’avec Mathilde, la critique du bourgeois, le goût de l’errance) et politique, comme en témoigne, notamment, le poème « Charleroi », extrait des « Paysages belges ».

II- Parole de l’amour et amour de la parole :

A-Parler, c’est d’abord parler d’amour

- Au-delà du discours de Lysias, qui veut que l’amour provoque nos discours, le fait est que dans Phèdre, parler, c’est parler, sinon d’amour, du moins de l’amour. Et Socrate lui-même se présente comme « un homme amoureux des discours », exhibant ironiquement le lien entre la parole et l’amour (236e). Tout au long du dialogue ce lien sera mis en évidence. Dans le 2e discours de Socrate (palinodie), notre philosophe se plaira à renverser le discours de Lysias en réhabilitant, contrairement à lui, l’élan amoureux. Cf. aussi la manière qu’a Socrate de se comparer au poète Stésichore, au sujet de l’hymne qu’il entonne à la gloire d’Eros (243a).

- Dans Les Fausses confidences, Dubois annonce d’emblée le programme en I, 2 :

« Quand l'amour parle, il est le maître, et il parlera : adieu ; je vous quitte ; j'entends quelqu'un, c'est peut-être Monsieur Remy ; nous voilà embarqués, poursuivons. (Il fait quelques pas, et revient.) A propos, tâchez que Marton prenne un peu de goût pour vous. L'amour et moi, nous ferons le reste. »

Où la personnification de l’amour en fait un véritable actant, confondu avec la parole et le personnage du valet, investi ici du pouvoir du dieu mythologique Eros. On peut s’amuser à relever le nombre de scènes dans lesquelles Dubois prend la parole et la manière dont il se sert de l’amour comme d’un masque théâtral. Dans Romances, l’amour est sujet d’écriture comme il est un objet d’expérience (le nombre d’occurrences du mot « amour » se monte à 9 - à 10 si l’on compte l’adjectif « amoureux »). On peut utiliser avec précaution le substrat autobiographique pour évoquer l’origine de la mélancolie dans le recueil, dont le titre donne un avant-goût. On y voit une opposition entre l’amour déçu de la femme enfant et l’amour espéré et conquérant de Rimbaud (confrontez, par exemple, les poèmes de « Paysages belges » avec ceux de « Birds in the night »).

B-Parole et séduction

- Dans Phèdre, il faut analyser la duperie du discours de Lysias, dont la conception de l’amour rejoint sa conception du discours : dès 231a Lysias prétend ne pas être amoureux de Phèdre, comme il prétendra plus loin maîtriser son discours, avec rigueur et sang-froid. Mais Socrate n’aura pas de mal à montrer que c’est une ruse, une manœuvre de séduction (l’étymologie nous ramène au sens de « tromper ») qui participe de ce qui sera appelé plus loin l’illusion de l’art oratoire : le but de Lysias est vain, il veut être admiré de tous en « faisant de l’effet » sur son auditoire… cf. l’analyse de Socrate et ses remarques sur le « logographe » qu’est Lysias (mais aussi tout ce qui relève de la sophistique). Cf. cours.

- Dans Les Fausses confidences, la virtuosité langagière de Dubois fait de lui un séducteur et un manipulateur de premier ordre. Il sait souffler le chaud et le froid (I, 14, où il oppose le mutisme amoureux de son maître à sa paradoxale loquacité dans l’aveu de son amour : à elle il ne dira rien, mais à lui – Dubois - il dit toujours qu’il l’aime ! ce qui impressionne Araminte…), il sait employer à sa guise les obstacles que constituent le comte et Mme Argante et parvient à susciter la jalousie chez Marton, qui est une pièce maîtresse de son stratagème, de la scène du portrait à la scène finale de la lettre, où elle apparaît toujours comme le faire-valoir d’Araminte (II, 9 et III, 8). Il piège également Dorante en II , 13, en le laissant dans l’ignorance du projet d’Araminte de le mettre à l’épreuve…

- Dans Romances, la séduction ne se place pas au même niveau que dans les deux autres œuvres. D’abord, il y a un refus de « séduire » le lecteur, si par là on entend le désir de satisfaire pleinement - et avec une certaine complaisance – ses attentes. Le refus de la rhétorique amoureuse y est aussi pour beaucoup, et les Lamartine et les Hugo en prennent un peu pour leur grade. En revanche, la séduction peut opérer discrètement, subtilement et se révéler dans le tissage intertextuel ainsi que dans le rapport des épigraphes aux poèmes. Ce tissage est emblématique de la manière dont la poésie verlainienne dialogue, notamment avec celle de Rimbaud (mais d’autres poètes également), comme c’est le cas dans le poème « Malines », dans les « Paysages belges ». Ou en cultivant le mystère, comme dans le dernier poème du recueil « Beams». (cf. cours)

C-La parole invente l’amour

- Dans Phèdre, l’amour permet à l’âme de se remémorer ce qu’elle est en réalité, son aspiration à l’intelligible, au logos. Si la parole n’invente pas exactement ici l’amour, c’est parce qu’il est le moteur d’un mouvement ascensionnel qui donne des ailes à l’âme et lui permet de se rendre à elle-même. L’amour n’est pas subordonné à l’âme, il y a là comme une articulation harmonieuse entre les deux, qui ne fait pas s’affronter le sensible et l’intelligible, comme le préjugé courant tend à nous le faire croire. Cf. tout ce qui est dit du mythe de l’âme comme un attelage ailé…

- Dans Les Fausses confidences, la parole de Dubois fait naître littéralement le sentiment amoureux chez Araminte.

- Dans Romances, l’amour est au cœur de la parole poétique. Lorsque Rimbaud écrit dans Une saison en enfer que « L’amour est à réinventer » (« Délire I » : « Je n'aime pas les femmes. L'amour est à réinventer, on le sait. Elles ne peuvent plus que vouloir une position assurée. La position gagnée, cœur et beauté sont mis de côté: il ne reste que froid dédain, l'aliment du mariage, aujourd'hui. »), il associe à cette « invention » une refondation de la poésie (cf. notamment le poème "Art poétique", mais pas seulement).

III- Un discours amoureux en quête de vérité :

A-Vérité du détour

- Dans Phèdre, il faut faire mention de l’ironie socratique et ses paradoxes : en 238c Socrate affirme être dans un « état divin », se moquant ainsi de discours de Lysias qui prétend rester maître de lui en 233c (voir aussi l’ironie de Socrate en 241e qui craint d’être pris par des «transports divins» s’il prononce l’éloge de l’âme étrangère à l’amour) ; l’attitude qu’il adopte face aux mythes (229c-230a) qu’il semble dédaigner alors qu’il ne cessera d’en produire dans la suite du dialogue : l’attelage ailé, les cigales, Teuth et Thamous, etc. La conversation avec Phèdre est définie par Socrate comme un jeu en 265c (p. 283) qui a cherché la vérité, même si le parcours suivi n’a pas été exempt d’erreurs. En 274a il affirme même : « lorsque l’on vise de grandes choses, le détour est nécessaire, contrairement à ce que tu crois. » (Alors qu’il a insisté sur l’unité du discours à l’aide de la métaphore de l’être vivant (264c)).

- Dans Les Fausses confidences, le détour constitue le fer de lance du stratagème de Dubois, sa grande connaissance de la psychologie féminine, qui consiste à flatter l’amour propre d’Araminte sans qu’elle perçoive les manigances du valet (I, 14). Il faut aussi faire un sort à la capacité de Dubois d’être à la fois lui-même ET son maître dans le discours qu’il tient à Araminte. Détour également de la lettre écrite par Dorante, sous la haute autorité de Dubois (III,1). Dorante y exprime son amour malheureux pour Araminte, qu’il ne nomme pas, mais on comprendra facilement de qui il s’agit. Cette lettre doit être interceptée et elle le sera en III, 8, où elle sera lue par le comte… Ce procédé doit faire éclater la vérité aux yeux de tous, et l’imposer.

- Dans Romances sans paroles, le détour consiste à chercher un « dire » qui s’en tient au « vague et au ‘je-ne-sais-quoi’ » (p. 36). Rejet de la formule explicite, univoque, éloquente ; goût pour l’incertain et les questions, nombreuses dans le recueil (cf. « Ariette V », vers 10 + autres exemples faciles à trouver). Plus généralement, la matière poétique elle-même est à la fois «tour», « contour subtil » (Ariette II) et « détour ».

B-Vérité du mensonge

- Dans Phèdre, on ne peut formuler les choses ainsi. La vérité ne peut sortir du mensonge mais par reconnaissance de celui-ci. A moins de considérer le mythe, en tant que fiction, comme un «mensonge», qui ne peut toutefois être mis sur le même plan qu’une vérité. Le premier discours de Socrate commence par l’invocation aux Muses et tel un conte, révélant par là la stratégie dissimulée de Lysias (237). On sait alors que c’est une étape à franchir pour atteindre la vérité philosophique.

- Dans Les Fausses confidences, il faut analyser le sens de l’adjectif du titre, qui ne porte pas sur les sentiments, authentiques, de Dorante, mais sur la stratégie même de Dubois, qui « invente », à partir de là, une histoire romanesque. Cette histoire est matière à théâtre, elle est la « fable » de la pièce, « histoire » qui nourrit l’histoire (l’intrigue) principale, faisant de Dubois un véritable démiurge. Relire en particulier les scènes des « fausses » confidences (I, 14 et II, 12). Araminte reconnaît elle-même la vérité qui naît de ce mensonge quand, scène 12, acte III, elle dit :

« Après tout, puisque vous m'aimez véritablement, ce que vous avez fait pour gagner mon cœur n'est point blâmable : il est permis à un amant de chercher les moyens de plaire, et on doit lui pardonner lorsqu'il a réussi. »

- Dans Romances sans paroles, les notions de vérité et de mensonge n’ont pas de réelle pertinence, car la poésie verlainienne tente d’échapper au concept, à la définition et nous conduit ainsi à ne pas voir les poèmes comme des miroirs qui reflètent des événements autobiographiques. Nous avons vu en cours comment Verlaine transforme dans « Birds in the night » le matériau autobiographique (au grand dam de son épouse Mathilde). Le flou énonciatif de nombreux poèmes de « Paysages belges" ou d’ « Aquarelles » qui empêche l’identification de l’allocutaire – Rimbaud ou Mathilde ? - (ou bien permet une double lecture) va également dans ce sens.

- Dans la restitution poétique de la sensation, au moins depuis Rimbaud, Verlaine rejette la rhétorique romantique, qui falsifierait son entreprise, notamment le lyrisme amoureux (cf. les poèmes qui égratignent la figure féminine, de même que celle du poète amoureux, comme « A poor young shepherd », dans « Aquarelles »).

C- Contre la parole conventionnelle

- Dans Phèdre, la dernière partie est consacrée à l’art de bien parler, conditionné pour Socrate à la recherche de la vérité. Il faut reprendre ce qui a été dit en classe sur cette partie, en sélectionnant un ou deux exemples sur le rejet socratique de la rhétorique, à partir de 269, notamment. Socrate montre l’illusion et la tromperie provoquées par un art oratoire qui ne cherche qu’à persuader en revenant sur le discours de Lysias. La méthode de Socrate : la dialectique contre la rhétorique.

- Dans Les Fausses confidences, la ruse du Dubois parvient à contourner voire dépasser les usages sociaux de la parole strictement subordonnés à la position sociale des personnages. L’intrusion d’une parole manipulatrice sème la zizanie dans ce qu’il faut bien appeler l’ordre des choses de l’époque, où la mésalliance est toujours redoutée et condamnée. Les personnages de Madame Argante et du Comte sont très représentatifs de cette parole conventionnelle, fondée sur des rapports d’autorité. Pour s’en convaincre, on relira I, 10 et II, 11.Mais c’est l’amour qui triomphe des préjugés, et c’est là ce qui nous séduit dans le théâtre de Marivaux.

- C’est tout le travail poétique de Verlaine dans Romances sans paroles : il faut –comme vous y invite l’introduction p. 34 – distinguer entre « dire », « exprimer » et « parler ». Si « parler », c’est avant tout communiquer, si « exprimer », c’est utiliser le langage comme simple instrument qui servirait à formuler un contenu déjà-là, DIRE doit être considéré comme la quête d’une parole difficile, qui se soustrait à la fois aux conventions de la communication et dépasse les dualismes du son et du sens, du dedans et du dehors, de la forme et du fond pour tâcher d’atteindre l’informulé, ce qui échappe habituellement aux mots tels que nous les utilisons tous les jours («l’universel reportage», selon Mallarmé), de manière utilitaire. Il y a du Rimbaud et du Mallarmé dans cette ambition poétique. Cf. le travail prosodique dans « Simples fresques I », par exemple - mais c’est aussi remarquable dans les « Ariettes » - qui tisse des réseaux sémantiques à partir d’une association suggestive de récurrences phoniques et rompt ainsi avec la lecture habituelle, en proposant des sens subtils qui ne se déduisent pas d’une simple compréhension linéaire (cf. p. 35-36).

- Le goût du naïf et de la romance populaire contre les genres poétiques établis à l’époque de Verlaine. A plus d’un titre, les poèmes de Romances illustrent - ou voudraient illustrer - ce passage célèbre de Rimbaud, extrait d’ « Alchimie du verbe », dans Une saison en enfer (1873) :

« J'aimais les peintures idiotes, dessus de portes décors, toiles de saltimbanques, enseignes, enluminures populaires; la littérature démodée, latin d'église, livres érotiques sans orthographe, romans de nos aïeules, contes de fées, petits livres de l'enfance, opéras vieux, -refrains niais, rythmes naïfs. »