Sur l’explication de texte :

Voici des extraits de rapports de jury de concours qui précisent les exigences de l'explication de texte. Aux intéressés de les méditer et d'en faire leur profit !

ENS Lyon Rapport du Jury du concours A/L session 2006

Règles de présentation :

«L’explication de texte se construit selon un certain nombre de règles. Il convient tout d’abord de présenter le texte en une introduction assez brève (on évitera, comme cela est arrivé, de prolonger l’introduction pendant plus de cinq minutes), mais comportant nécessairement une entrée en matière qui permet de situer le texte (dans la structure de l’œuvre, dans la continuité de la narration ou dans une thématique propre à l’œuvre), une lecture (cette lecture est obligatoire et on s’est étonné que certains demandent, candides : « Je lis ? »), une caractérisation globale de ce dont parle le texte et une description de ses différents mouvements (il est inutile d’indiquer les lignes délimitant les mouvements ; en relire rapidement le début et la fin suffit). Enfin, nous insisterons particulièrement sur la problématique : les candidats se contentent trop souvent d’une formalité creuse, alors que cette interrogation (pas nécessairement posée sous la forme d’une question) doit permettre de faire ressortir toutes les potentialités du texte. Il ne faut pas oublier que cette introduction se doit d’être élégante et l’on évitera les formules sèches et maladroites trop souvent entendues (« je vais expliquer le poème numéro 38 de Charles Baudelaire », « je passe à la lecture », « pour ce qui est de la situation », « nous découperons le texte en trois parties »). Cette exigence d’élégance concerne tout particulièrement la lecture ; même si nous n’attendons pas des candidats qu’ils soient acteurs, ils doivent savoir dramatiser leur lecture des textes théâtraux (on a par exemple regretté la lecture très plate du beau dialogue : « LEVIEUX : Et les poux – LA FILLE, très vache : Y en a. » dans une explication pourtant très bonne du quatrième tableau du Balcon) ; de même, nous attendons un petit effort dans la lecture des textes poétiques. Les belles lectures, légères et ironiques, qu’ont suscitées Le Petit poucet, Le Petit Chaperon rouge ou Riquet à la houppe ne pouvaient que valoriser les explications en question : elles étaient déjà une interprétation.»

ENS Lyon Rapport du Jury du concours A/L session 2015

Sur l’élucidation du sens littéral

«Si bien des candidats ont exploré la richesse lexicale des extraits qui leur étaient soumis, d’autres ont escamoté certains passages ou ont commenté à contresens faute de connaître le sens littéral des mots du texte. De façon générale, tout mot ou toute construction archaïque ou seulement insolite doit faire l’objet d’une élucidation, en donnant les éléments d’une définition ou d’une glose paraphrastique. La préparation au fil de l’année ne peut pas faire l’économie d’un travail de fond sur le sens propre des mots et la lecture ne saurait se faire qu’à l’aide d’un dictionnaire fiable, soit imprimé, soit numérisé (TLFI, par exemple). Nous rappelons qu’au cours de la préparation de l’épreuve, les candidats ont accès à des usuels et doivent impérativement vérifier le sens de tout mot qui leur serait incertain. Si certains candidats sont parvenus à faire plus ou moins illusion au cours de l’explication, l’entretien a mis en évidence les hésitations sur le sens d’un mot ou d’un passage. Par exemple, des prestations sur Les Regrets ont été en demi-teinte ou franchement ratées faute d’avoir élucidé le sens du mot « mâtin » (sonnet 69), de l’expression « Saint-Père » (sonnet 105) ou encore le sens financier du mot « intérêt » associé aux mots « prêter » et « rendre » (sonnet 151). Au demeurant, le contexte permettait souvent d’en inférer leur sens (« grondes », « affamé » et « chien » dans le sonnet 69 par exemple).»

ENS Lyon Rapport du Jury du concours A/L session 2001

L’explication de texte questionne plus qu’elle n’affirme

«Les explications entendues tendent donc pour la plupart à une vérification, au lieu qu’elles devraient donner la mesure d’un questionnement. Pourquoi ne pas s’étonner d’abord devant un texte, et jouer des bénéfices de cette position initiale au long de l’explication? Qu’est-ce qui interdit de s’arrêter sur une difficulté lexicale ou sémantique, de dégager des tensions plutôt que de postuler l’a priori d’une cohérence, et, sur un plan technique, de réserver au déroulement de l’explication les observations qui permettront de conclure sur l’avancée d’une lecture?»

Importance de l’intertextualité 1

(A propos de Lamartine)

«C’est l’occasion pour les jurys d’observer que si elle constitue une étape lente et difficile dans un apprentissage de lecteur, l’identification des intertextes devrait trouver une place plus constante et plus réfléchie dans l’approche des œuvres et participer, autant que le permet la jeunesse des candidats, à l’élaboration d’une lecture, sinon d’un discours sur la littérature. Elle le doit d’autant plus qu’elle ne peut initier une réflexion poétique et historique qu’en impliquant une conscience accrue des formes de la mémoire littéraire – celle de l’œuvre sans doute, celle du candidat tout aussi bien.»

ENS Lyon Rapport du Jury du concours A/L session 2012

Importance de l’intertextualité 2

La culture biblique

« La culture biblique fait manifestement défaut aux candidats. Le jury peut même avouer, avec quelque insistance, que l'ignorance en cette matière lui paraît sidérante. Les préparateurs, dès la première année de l'hypokhâgne, veilleront à rectifier ce point. Cela a donné lieu à des contresens et des aveuglements parfois aberrants au sujet des poèmes d’Apollinaire. »

ENS Paris Rapport du Jury du concours B/L session 2002

Importance de l’histoire littéraire et de l’histoire des idées

«L’analyse de la composition a été souvent insuffisamment approfondie, au détriment d’une réflexion, qui eût pu avoir quelque utilité, sur le lien possible entre la structure et la signification du texte. L’arrière-plan historique, notamment du point de vue de l’histoire des idées ou des mentalités, est volontiers négligé ( un commentaire a ainsi échoué à faire apparaître l’axiologie implicite qui fondait la condamnation et la stigmatisation saint-simoniennes de la duchesse du Maine), au profit du déploiement d’un savoir rhétorique mal dominé et souvent inopportun : cette année, au « hit-parade » des figures de style, l’hypotypose et l’hyperbate triomphaient nettement, et souvent mal à propos, mais des candidats (sans doute plus intéressés par le «marketing » que par la littérature) ont transformé la personnification en « personnalisation », ou se sont avérés incapables d’identifier ce qu’on appelait à l’âge classique les « grandes figures » comme l’apostrophe, - tout en s’acharnant à discerner des « mises en abîme » imaginaires. L’analyse des procédés ironiques a trop souvent échoué à se hisser au-dessus du repérage scolaire et mécanique d’antiphrases.»

ENS Lyon Rapport du Jury du concours A/L session 2003

Importance et nécessité de maîtriser l’analyse « stylistique » et de la subordonner rigoureusement à l’élaboration d’une interprétation : lecture « personnelle » vs lecture «myope»

«L’incapacité parfois constatée à distinguer pronoms et articles, adverbes et conjonctions de coordination, pronoms et adjectifs possessifs…, est évidemment préjudiciable à l’explication précise d’un texte, sans compter le fait qu’elle rend difficile le dialogue entre le candidat et le jury à l’issue de sa prestation. Pour autant le commentaire ne doit évidemment pas se limiter à la description et à l’énumération de faits de langue. Tout en éclairant le travail de l’écriture, leur analyse doit être mise au service d’une interprétation du texte ; elle ne constitue en aucune manière une fin en soi, pas davantage que le relevé de figures de rhétorique assez rares, exhibées par certains candidats comme de précieux spécimens dont la découverte serait en soi source de jouissance. C’est donc bien aux figures de sens que les candidats devraient d’abord être attentifs, en tout premier lieu à la métaphore, que certains candidats ne savent pas identifier et encore moins commenter (tel d’entre eux risque successivement les termes de métonymie et d’hypallage avant de parler de métaphore, pour commenter « La charité est cette clef », dans un poème de Rimbaud).»

ENS Lyon Rapport du Jury du concours A/L session 2006

«Nous attendons avant tout des candidats qu’ils mobilisent une lecture personnelle des textes et qu’ils en construisent le sens. Cela signifie que l’analyse rhétorique ou poétique est un moyen et non une fin en soi. Une attention myope à ces effets ne peut se substituer à l’élucidation du sens. Ainsi, telle explication commentait les jeux de sonorités, de rythmes, mais n’était pas capable de suivre l’argumentation rassurante de Voltaire quand il compare la pratique de l’inoculation de la vérole à des pratiques agricoles pour désamorcer l’inquiétude potentielle de ses lecteurs. Il faut en particulier éviter de surdéterminer certaines caractéristiques banales (l’alternance des rimes féminines et masculines est une règle presque universelle dans la poésie française de Ronsard à Rimbaud et on ne peut en tirer une interprétation de la lutte des sexes dans Grisélidis), de réduire la poésie à quelques « symptômes » formels comme les allitérations (à en écouter certains, tout effet sonore nous plongerait dans un abîme poétique !) ou de donner un sens à un élément (sonore, grammatical) isolé (comme quand un rythme « haché » était lu comme une caractéristique scientifique du texte de Voltaire). Les candidats retiendront qu’une remarque stylistique quelle qu’elle soit ne saurait par elle-même construire un effet de sens.»

ENS Lyon Rapport du Jury du concours A/L session 2010

«Pour ce qui concerne la lecture « myope », il convient de rappeler qu’il ne suffit pas d’accumuler des observations de nature stylistique pour satisfaire aux exigences de l’exercice. Les notations de style n’ont d’intérêt que si elles sont mises au service d’un sens et d’une interprétation du texte. Ainsi à propos des Regrets, les remarques de scansion ou de métrique — trop rares d’ailleurs — sont intéressantes, mais à condition de prendre corps dans une interprétation générale. Isolées, elles ne disent rien du texte. De la même façon, tel commentaire de la Princesse de Clèves notera la récurrence de la litote, sans relier cela à l’expression en sourdine du sentiment amoureux, ou à l’atténuation d’une vérité d’ordre social. Tel autre s’attachera à démontrer l’alternance des passés simples et imparfaits chez Flaubert (sans voir qu’il s’agit là d’une caractéristique commune à bien des textes !) en négligeant de relier ce fait à la situation précise d’un passage. Le passé simple n’est pas, mécaniquement, le temps de l’action ponctuelle et l’imparfait l’expression de la durée, mais bien des nuances peuvent être appréciées en partant de remarques simples. Tel autre candidat verra un antagonisme entre deux personnages dans une scène des Mains sales sans le relier à l’expression historique de doctrines politiques ou à des références à la philosophie sartrienne ; la notion de « contingence », par exemple, ne doit pas poser problème à un candidat qui avait à son programme une œuvre de cet auteur. Le problème apparaît de façon particulièrement nette quand le candidat s’aventure sur le terrain des sonorités. Ainsi, s’il est bon de remarquer les allitérations, les assonances et les paronomases, on ne peut se contenter de cette simple notation et, pire, affirmer tout de go que la sonorité « R » est en soi une sonorité dure (ou douce, au choix) qui dit le malaise du personnage, que des assonances en « ou » montrent bien le désarroi de la Dauphine…D’une façon générale, le travail d’entomologie stylistique est donc à proscrire. L’on attend du candidat un va-et-vient intelligent entre les phénomènes stylistiques et l’interprétation. Ce n’est qu’ainsi que l’on construit une bonne explication.»