« La Tour de Babel », Bruegel l’Ancien, 1563.
LES LUNDIS DE PIERRE D'AILLY ont pour vocation de faire réfléchir les étudiants des classes de Lettres sur la spécificité des études littéraires, en les confrontant «techniquement» aux différentes approches critiques de cet objet particulier que l'on appelle littérature. Face à un spécialiste universitaire d'un auteur, d'un genre, d'une période ou d'un mouvement, qui présente, dans le cadre d'une conférence, le ou les problèmes précis posés par une oeuvre littéraire au programme, ils sont invités à questionner le sens de ce qui leur est donné à lire mais aussi le rapport de ce questionnement à la culture générale. À une époque où il est plus que jamais urgent de mettre le singulier à l'épreuve de l'universel, l'exigence de Curtius nous paraît fondamentale pour la construction critique des savoirs. Comme pour Les Rencontres de Pierre d'Ailly, que les «Lundis» complètent, chaque conférence est précisément articulée au cours de Lettres en Hypokhâgne, qu'elle prolonge par un dialogue vivant.
Le nom donné à ces conférences, LES LUNDIS DE PIERRE D’AILLY, est évidemment une référence aussi sérieuse qu’ironique aux fameuses CAUSERIES DU LUNDI du grand critique littéraire du XIXe siècle Sainte-Beuve, qui consistaient en des articles sur la littérature publiés chaque lundi, dans les journaux Le Constitutionnel, puis Le Moniteur et Le Temps, entre 1849 et 1869. Ces articles furent ensuite publiés en volume sous le titre de CAUSERIES DU LUNDI, puis de NOUVEAUX LUNDIS, le jour de la semaine ainsi retenu désignant par métonymie l’étude que Sainte-Beuve proposait à son public cultivé. La démarche de Sainte-Beuve était à la fois simple et ambitieuse : il était question de composer un tableau de la littérature française – et accessoirement de la critique -, en suivant l’actualité littéraire, dont il fallait rendre compte. Par exemple, le volume III des NOUVEAUX LUNDIS proposait, dans sa table des matières, une étude du théâtre de Corneille, et plus particulièrement du CID, à la lumière des travaux récents sur cet auteur, ainsi qu’un compte rendu de lecture du roman de Fromentin intitulé Dominique, qui avait paru deux ans auparavant. La «causerie » ne consistait pas en une vaine et démagogique familiarité de ton, mais plutôt dans le désir de rendre familière la littérature, et c'est cette seule ambition que poursuivent LES LUNDIS DE PIERRE D’AILLY, en mettant au cœur de leur réflexion l’étude de la littérature. Il n’est donc pas question de rivaliser avec Sainte-Beuve, mais de chercher à ritualiser, à travers le choix du premier jour de la semaine, notre intérêt commun pour les œuvres littéraires, ainsi que l’ont fait les MARDIS de Mallarmé, les DIMANCHES de Flaubert et les JEUDIS de Zola.
3e édition des LUNDIS DE PIERRE D'AILLY
(Lire le billet du 15 juin 2024)
Conférence de Benoît Chantre sur l'oeuvre de l'anthropologue René Girard (1923-2015), mercredi 29 MAI 2024, de 10h à 13h, au lycée Pierre d'Ailly, en salle A105, à Compiègne.
Titre de la conférence :
LA THÉORIE MIMÉTIQUE EN LITTÉRATURE (Littérature et Anthropologie)
Benoît Chantre est docteur ès lettres, essayiste, dramaturge et éditeur. Président de l'Association Recherches Mimétiques (ARM), il est fellow de la Fondation Imitatio (San Francisco) et membre associé du Centre international d'études de la philosophie française contemporaine (CIEPFC-ENS Rue d'Ulm). Il vient de publier aux éditions Grasset (2023) la biographie intellectuelle de René Girard, anthropologue de la violence et du religieux, et théoricien du désir mimétique.
Il signera son livre après la conférence donnée au lycée Pierre d'Ailly, l'après-midi, à partir de 15 heures, à la FNAC de Compiègne, 1 bis Impasse Saint-Martin - 60200 Compiègne.
Benoît Chantre est notamment l'auteur d'un ouvrage sur la pensée de Charles Péguy intitulé Péguy point final ( Le Félin, 2014) et d'un essai sur le poète Hölderlin, Le Clocher de Tübingen, Grasset, 2019. Sa bibliographie compte aussi des livres d’entretiens qui sont de véritables dialogues, avec des écrivains aussi différents que Philippe Sollers, dans son ouvrage intitulé La Divine comédie en 2000, Jacques Julliard, dans Le Choix de Pascal en 2003 et René Girard, dont il a coécrit le dernier livre Achever Clausewitz (en 2007, réédité dans une version augmentée chez grasset en 2022). C’est un livre qui est bâti sur de longues discussions qu'il a eues avec lui et qu'il a entièrement remanié et rédigé, dit-il lui-même dans l’introduction. N'oublions pas La Conversion de l’art, en 2008 (réédition chez Grasset en 2023), ouvrage dans lequel il a rassemblé des textes de René Girard, écrits à différentes époques (certains dates du début des années 1950). Il faudrait aussi mentionner les films d’entretien La Violence et le Sacré, Le Sens de l’histoire, les nombreux colloques qu'il a organisés, notamment à Bibliothèque nationale de France, sur René Girard ET d’autres penseurs comme Levinas, Bourdieu, Sartre, Michel Henry. Il a aussi participé au beau Cahier de L’Herne consacré à René Girard en 2008… Il faut enfin évoquer son travail de dramaturge pour l’opéra et le théâtre : livret du Chant de Lune (Compiègne, 1991 ; Bourg-la-Reine, 2002) ; dramaturgie du Naufragé de Thomas Bernhard (Avignon, 2001 ; Paris, 2002) ; dramaturgies du Messie de Haendel (Théâtre du Châtelet, Paris, 2011) et du Roi pasteur de Mozart (Théâtre du Châtelet, Paris, 2014).
Accompagnant une réflexion sur la critique littéraire, cette 3e édition des LUNDIS DE PIERRE D'AILLY a pour but d'aider les étudiants de Lettres à se repérer dans le vaste champ des études littéraires. Après avoir réfléchi aux apports de la critique thématique, puis philologique, ils seront conviés à considérer l'intérêt du questionnement anthropologique dans la lecture des oeuvres : en prenant acte que l'anthropologie (« étude l'homme dans son ensemble », selon la définition du Trésor de la langue française) se tourne vers la littérature pour y déceler « les ressorts intimes et sensibles» (Claude Lévi-Strauss, L'Homme nu. Mythologiques IV, Plon, 1971, p. 571) du fonctionnement d'une société (Jean Jamin, Littérature et anthropologie, CNRS éditions, 2018, p. 16), ils chercheront à comprendre comment, à son tour, la littérature peut bénéficier, pour son interprétation, des observations et des concepts de cette science humaine. Ils partageront ce postulat tiré de l'expérience des grands écrivains, énoncé par Jean Jamin, dans son livre cité plus haut : «Tout auteur de fiction n'est-il pas habité par l'intime conviction, écrivait Virginia Woolf (Essais choisis, Gallimard, Folio, 2015, p. 102), que ce qu'il produit n'est ni un jouet ni une démonstration scientifique, mais un moyen de créer des visions fortes et violentes de la vie humaine ? » (Ibidem).
Pour mettre en oeuvre , modestement, ce programme ambitieux, nous avons choisi l'anthropologie mimétique de René Girard, premièrement formulée dans Mensonge romantique et vérité romanesque, paru en 1961. Ainsi que l'écrit Benoît Chantre sur le site de l'ARM, « le premier livre de René Girard, Mensonge romantique et vérité romanesque, publié en 1961, met au jour les ressorts du « désir triangulaire », à travers une approche de grandes œuvres romanesques (de Cervantès à Proust). Ses intuitions sur le « désir mimétique » lui permettent d’élaborer une anthropologie comparée des grandes formes du religieux archaïque : la question du mécanisme victimaire fait ainsi l'objet de son second livre, La Violence et le sacré, publié en 1972. » Dans Les Derniers jours de René Girard (Grasset, 2016, p. 80), Benoît Chantre rappelle que notre anthropologue «plaça l'imitation, la mimèsis, à l'origine de toutes les fondations.» Nous demanderons donc à notre invité de nous expliquer comment la notion de désir mimétique permet à René Girard de mieux comprendre les ressorts du romanesque, à partir d'une analyse fine des oeuvres de Cervantès, Stendhal, Flaubert, Dostoïevski et Proust. Si de la mimèsis René Girard tire une théorie complète de la culture humaine, il s'agit d'abord d'en étudier la découverte dans le roman, approché par une interrogation aussi bien technique (cf. le chapitre X) que métaphysique. Cette théorie sera appréhendée pour ce qu'elle est et ce qu'elle permet, ni clé de lecture absolue, encore moins mantra, mais mieux encore : une intuition et une réflexion géniales qui ne peuvent que stimuler notre intelligence des textes littéraires.
Les Hypokhâgneux et les Khâgneux du lycée Pierre d'Ailly pourront accompagner leur lecture de Mensonge romantique et vérité romanesque de la consultation du site de l'ARM : 1) pour une définition rapide du vocabulaire employé dans l'oeuvre de Girard ; 2) pour connaître les huit notions-clés de la pensée de René Girard.
Benoît Chantre fut l'invité de la 3e édition des « Rencontres de Pierre d’ Ailly», le 26 novembre 2015 : lire le billet du 27 novembre 2015. On peut également se reporter au billet du 8 novembre 2015, qui annonce cette « Rencontre » et propose une séquence vidéo de René Girard sur le thème du désir mimétique.
La théorie littéraire sur ce blogue : Roland Barthes, Antoine Compagnon et William Marx. Billet du 2 juin 2020.
2e édition des LUNDIS DE PIERRE D'AILLY
(Lire le billet du 3 juin 2023)
Conférence d'Eddie Breuil sur l'oeuvre du poète Germain Nouveau (1851-1920), lundi 22 MAI 2023, au lycée Pierre d'Ailly, en salle Imago Mundi, à Compiègne.
Titre de la conférence :
DU NOUVEAU CHEZ RIMBAUD : Problèmes éditoriaux et sémantiques des Illuminations (Littérature et critique philologique)
Eddie Breuil, docteur de l'Université Lumière-Lyon 2, est spécialiste de l'édition critique et a été l'un des conseillers scientifiques de la belle exposition organisée par la Bibliothèque Méjanes d'Aix-en-Provence en 2021 sur le poète Germain Nouveau. Il est notamment l'auteur de deux ouvrages importants : a)Du Nouveau chez Rimbaud, éditions Honoré Champion, 2014 ; b)Méthodes et pratiques de l'édition critique des textes et des documents modernes, éditions Classiques Garnier, 2019. Il s'occupe en ce moment de l'édition complète des oeuvres de Germain Nouveau.
Compagnon méconnu de Rimbaud et de Verlaine, Germain Nouveau (1851-1920) est l'auteur d'une oeuvre poétique importante, mais aujourd'hui délaissée, malgré des travaux critiques en cours, qui tentent de réhabiliter ce poète dont Aragon lui-même a dit qu'il était l'égal de Rimbaud (Les Lettres françaises, 7 octobre 1948). Des contemporains de Nouveau, avant les Surréalistes, en avaient pris conscience. Notre étude de La Doctrine de l’Amour et des Valentines (éd. Gallimard, coll. «Poésie». Edition de Louis Forestier) cherchera à faire découvrir ce poète rare, dont l'oeuvre nous permettra de définir quelques problèmes littéraires d'envergure, que nous ne résoudrons évidemment pas, mais qui sont au coeur des études de Lettres : a) le problème de l'édition de son oeuvre : celle de Louis Forestier, dans la collection Poésie / Gallimard, comporte des erreurs et des inexactitudes imputables aux premiers éditeurs de Germain Nouveau, qui ne voulait pas que l'on publiât quoi que ce soit de sa plume ; b) le problème posé par les manuscrits de l'oeuvre de Rimbaud intitulée Illuminations : on peut se demander s'ils ne cacheraient pas un autre auteur, qui serait Germain Nouveau lui-même. Eddie Breuil nous proposera une conférence sur ce thème, lundi 22 mai 2023. Il a en effet très aimablement accepté de venir nous expliquer ses conclusions sur l'analyse des manuscrits des Illuminations, pour savoir quelle part Germain Nouveau a pu prendre à l'élaboration de cette oeuvre. Qu'il en soit d'ores et déjà vivement remercié! c) Enfin, et dans le prolongement de ce qui précède, le problème de la place de Germain Nouveau dans l'histoire de la poésie, que nous tenterons de cerner en lisant son oeuvre à travers un ensemble de poèmes qui dessinent un parcours poétique et spirituel, et en prenant au sérieux ce qu'en dit le chef de file des Surréalistes André Breton, dans «Flagrant délit » (cf. La Clé des champs, Pauvert, 1979, p. 166.), à propos d'un faux Rimbaud publié en 1949 sous le titre La Chasse spirituelle : « Nouveau-Rimbaud : on n'aura rien dit, on n'aura rien franchi poétiquement tant qu'on n'aura pas élucidé ce rapport, tant qu'on n'aura pas dégagé le sens de la conjonction exceptionnelle de ces deux 'natures' et aussi de ces deux astres.»
1re édition des LUNDIS DE PIERRE D'AILLY
(Lire le billet du 2 novembre 2017)
Conférence de Sébastien Baudoin sur les Mémoires d'outre-tombe, de Chateaubriand, lundi 13 novembre 2017.
Titre de la conférence :
L'EXIL ET L'ENVOL : L'ALCHIMIE DES SOUVENIRS DANS LES MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE (Littérature et critique thématique)
Sébastien Baudoin est professeur de Lettres supérieures au lycée Victor Hugo à Paris. Agrégé de Lettres modernes et docteur ès Lettres, il est l’auteur de nombreux articles sur Chateaubriand et le paysage littéraire ainsi que sur Victor Hugo, Nerval, Flaubert, Emerson, Gracq, Thoreau, Tocqueville et Walt Whitman. Il est l’auteur de Poétique du paysage dans l’œuvre de Chateaubriand (Paris, Classiques Garnier, 2011), d’une édition scientifique de l’Essai sur la littérature anglaise de Chateaubriand (Paris, STFM/Classiques Garnier, 2013) et prépare actuellement l’édition scientifique du Voyage en Amérique (Paris, Gallimard, « Folio », 2019) ainsi que l’édition scientifique de la seconde partie du Génie du Christianisme de Chateaubriand (Paris, Honoré Champion, à paraître). Il co-dirige avec Béatrice Didier la section « Œuvres » du Dictionnaire Chateaubriand (Paris, Honoré Champion, à paraître). Notice de 2017. Aujourd'hui, Sébastien Baudoin est professeur de Première supérieure aux lycées Jules Ferry et Hélène Boucher de Paris, et sa bibliographie s'est considérablement enrichie !