Voici quelques lignes directrices du cours de Lettres en Hypokhâgne, au lycée Pierre d'Ailly. A vous de les comprendre et de les méditer pour en faire votre profit !

1. Les vertus de l’hypokhâgneux : la curiosité et le goût du travail, la rigueur, l’honnêteté intellectuelle, la persévérance. Pourquoi, selon vous ?

2. Le travail : assiduité et volonté d’approfondir. Examen des bibliographies. Le cours et ses quatre articulations : 1- Histoire littéraire. 2- Genres et notions. 3- Questions générales-Problématiques littéraires. 4- Méthodologie littéraire. Aux deux premières rubriques se rattache l’étude d’œuvres intégrales et d’extraits. La troisième développe la culture littéraire et prépare à la dissertation générale. Les grands exercices : explication de textes, commentaire composé, dissertation, sans oublier les préparations. L’objectif du cours sera d’articuler histoire littéraire (ce qui implique, entre autres choses, une étude chronologique de la littérature), réflexion sur les genres, les registres, le style et méthodologie des exercices de l’explication de textes, du commentaire et de la dissertation. Rappel : Les deux œuvres qui nous occuperont dès la mi-octobre (2012), après un cours sur la littérature médiévale, sont les suivantes : L’Adolescence clémentine, de Marot et les Œuvres complètes, de Rimbaud : Marot sera étudié le mardi, en «Histoire littéraire », et Rimbaud le vendredi, dans le cours portant sur les « Genres et notions » (programme de l'année 2012-2013). Une réflexion générale sur la poésie encadrera ce travail et arpentera un grand corpus de textes et d'auteurs particulièrement suggestifs. Il en sera ainsi pour chaque genre littéraire. Les Colles ou Khôlles (en orthographe de Khâgneux) : Ce sont des interrogations orales. Chaque élève présente trois fois dans l’année une explication de texte linéaire à l’oral. Les textes concernés sont connus à l’avance : ils appartiennent au corpus présenté dans la bibliographie donnée en juin. Allier l’ambition à l’humilité : tout au long de l’année, il faudra accepter les remarques qui vous seront faites même si cela peut parfois blesser votre amour propre. Attention : les notes ne sont que des indicateurs ; il faut donc leur accorder une importance relative, car elles sont susceptibles de changer. Ce qui compte, c’est la démarche intellectuelle que vous mettez en œuvre pour atteindre le niveau requis et le travail, méthodique, qui en découle. Quel que soit votre niveau, si vous respectez les exigences de l’Hypokhâgne, vous ne pouvez que progresser.

3. Lire :

- Lire nécessite une disponibilité d’esprit et un désir de comprendre qui demandent des efforts quotidiens. Jacques Rivière, directeur de la prestigieuse revue N.R.F., dans une lettre à Alain-Fournier, l’auteur du Grand-Meaulnes : « Mais moi, mais moi, qui n’ai rien à faire que de comprendre, mais moi qui m’offre vide à toute invasion, il faut que je subisse, que je me fasse d’abord la chair et l’âme de celui que j’accueille, afin de le comprendre, afin de le posséder. » (5 juillet 1907).

- « Toute lecture d’un texte du passé exige d’abord un effort de philologue 1 : saisir le sens des mots d’autrui ». Frank Paul Bowman, « Au lecteur », Revue Romantisme n°5, 1973, éd. Flammarion, p. 2. (C’est moi qui souligne).

- Avoir le goût des classiques (méditez sur ce dernier mot, et vous comprendrez pourquoi il est important!).

4. Ecrire : il faut écrire comme on devrait parler (en classe tout au moins...), c’est-à-dire avec éloquence et simplicité de préférence, mais toujours d’une plume cultivée. Entraînez-vous par des exercices réguliers : journal intime, compte rendu de lecture, pastiche, invention personnelle… N’ayez pas peur d’avoir des maîtres à imiter parce que vous les admirez (cf. Cioran, Exercices d’admiration). Ayez le goût de la belle langue !

5. Penser : Pour penser, il faut parler/écrire, et pour trouver les mots justes il faut travailler. Lire plus bas (n°9) sur le rapport entre la prise de notes », la « réflexion » et la capacité de «problématiser » la littérature…

6. Parler : Savoir s’émanciper de la « parlure » contemporaine : proscrire les « au final », « je veux dire… », « quelque part », « au niveau de », « genre… », « y a pas de souci ! », « booster », « impacter », « j’ai envie de dire… », « Ça m’interpelle », « C’est énorme ! », « Que du bonheur ! », « C’est limite », etc. Notre ambition en classe : Parler comme un livre, pour reprendre le titre du très beau livre de l’historienne Françoise Waquet (2003), c’est-à-dire, donner du prix à la parole, « une parole aussi réglée que l’écrit », en lui reconnaissant une « haute valeur cognitive ». Humour : Dans les « mots » que vous pourriez « échanger » pendant l’interclasse, ne sont acceptés que les insultes et les jurons du capitaine Haddock (« Amiral de bateau-lavoir », « Anacoluthe », « Bachi-Bouzouk », « Catachrèse », « Clysopompe », « Cornichon », « Crétin des Alpes », Boit-sans-soif », « Ectoplasme », « Moule à gaufres », « Pantoufle », « Sapajou », etc.).

7. Du bon usage des dictionnaires. Enrichir votre vocabulaire ! Il faut consulter régulièrement les dictionnaires et même en lire une page ou deux chaque jour : Le Littré, Le Furetière, Le Grand Larousse de la langue française, le Trésor de la langue française informatisé consultable sur internet : http://atilf.atilf.fr/. Les mots sont autant de fenêtres ouvertes sur la complexité du monde : plus on maîtrise le vocabulaire français, plus on comprend la littérature.

8. La connaissance de la rhétorique : (Aristote, Cicéron, Quintilien, Du Marsais, Fontanier, Dupriez). Elle ne se réduit pas à la connaissance de quelques figures, que l’on cite ou emploie comme des mots magiques. Croire que la rhétorique consiste à tromper, à produire des artifices ou des discours illusoires, c’est ne rien comprendre à l’essence de la littérature ! Car « Toute écriture est rhétorique. La rhétorique est comme une catégorie kantienne, dans laquelle l’écrivain, inéluctablement, naît emprisonné » 2 .

9. Ecouter, prendre des notes / Réfléchir, penser. C’est une activité quotidienne obligatoire. Ecouter et prendre des notes est un exercice intellectuel exigeant, pas un prétexte pour se laisser distraire, somnoler ou attendre que le temps passe… C’est le seul moyen de parvenir à l’art du questionnement qu’est la « problématisation » (la « problématologie », dirait Michel Meyer), qui n’est pas l’apanage de la seule philosophie mais est aussi de rigueur dans les études littéraires.

10. Du bon usage de la critique littéraire : Avant de « critiquer » un auteur, une thèse, il faut être conscient de ses propres préjugés et ne pas hésiter à les remettre en question, l’important étant de « penser » la littérature : autant littérature comme pensée que pensée de la littérature. Il faut, en l’occurrence, avoir progressivement l’ambition de croiser les problématiques littéraires, sans se priver de recourir aux sciences humaines, quand elles sont indispensables à la formulation des enjeux d’une œuvre : philosophie, histoire, sociologie, psychanalyse, anthropologie, par exemple.

11. La culture : c’est « la vie avec la pensée », selon le philosophe Brice Parain, qui joue son propre rôle dans le film de Jean-Luc Godard, Vivre sa vie (1962). On ne peut bien penser que quand on regarde la vie avec détachement. C’est ainsi qu’on s’élève à « la vie avec la pensée », toujours selon Brice Parain. Se méfier du relativisme culturel…non, tout ne se vaut pas ! C’est l’expérience de la culture qui vous en persuadera.

12. La méthode : c’est un cheminement, une direction à prendre (cf. étymologie « methodos »), pas une recette. Les savoir-faire ne seront efficaces que s’ils sont constamment nourris par des savoirs ! Et cela prend du temps, exige des efforts opiniâtres. Il vous sera donc demandé de ne pas renoncer facilement et de ne pas céder à la tentation de l’immédiat (« tout, tout de suite ou rien ! », slogan néfaste !).

1. PHILOLOGIE, subst. fém. A. Surtout au XIXes. Étude, tant en ce qui concerne le contenu que l'expression, de documents, surtout écrits, utilisant telle ou telle langue. P. ext. Sous l'infl. du concept allemand de... Étude des mots, des documents (écrits ou autres) et de tous les contenus de civilisation impliqués. B. Surtout au XXes. Discipline qui vise à rechercher, à conserver et à interpréter les documents, généralement écrits et le plus souvent littéraires, rédigés dans une langue donnée, et dont la tâche essentielle est d'établir une édition critique du texte. (Notice abrégée du Trésor de la Langue Française Informatisé, TLFI).

2. HENRY, Albert : Métaphore et métonymie, Klincksieck, 1971, p. 7