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mercredi, juillet 13 2011

Traîne pas trop sous la pluie - Bohringer aux Comiques agricoles

Il a évoqué Rimbaud, mais c’est à Cendrars qu’il m’a fait aussitôt penser, avec sa diction violente, hachée, précise, sa gouaille et son lyrisme mêlés, sa passion du monde, des êtres, des excès. En fait d’excès, deux litres d’eau en quatre petites bouteilles de plastique, telle était la clepsydre qu’il a désignée en début de… « spectacle d’un seul homme » ? monologue ? comme étalon de la durée de son spectacle… et il a tenu deux heures et demie.

Boitillant, pieds nus, avec  une sorte de demi-chaussette sans doute destinée à pallier une douleur, pantalon noir flottant, chemise-tunique blanche, et une petite laine marron sur une chaise à côté, parce qu’il fait frisquet quand le soir tombe - il a fini par l’enfiler -, un porte-vue A4 sur un lutrin, un autre posé sur la chaise, il arpente la scène, agité, tourbillonnant, en quête de sa parole et du lien avec le public nombreux installé dans la cour de la ferme au soleil couchant : murs de briques, arbres, rumeurs du village, papillons et chauve-souris passant dans la lumière des projecteurs, et le bruit du vent dans les micros comme un grondement, qu’il commente, heureux de l’excentricité radicale du lieu, de la situation. C’est un festival de campagne, tous les ans en juillet – et tous les ans le premier week end de juillet on caille le soir en Picardie, (quand il ne pleut pas des cordes, ouf ! rien de tel cette année !) – le Festival des Comiques Agricoles, à Beauquesne, Somme.

Et lui, c’était Bohringer. Richard. Le jeudi 30 juin donc, pour la vingtième édition du Festival. En scène pour un objet théâtral sui generis, feu d’artifice autobiographique mais jamais exhibitionniste, alternant la lecture (la recitatio, à la latine) de textes violemment lyriques, fragments arrachés à sa vie vagabonde et parfois chaotique, et des intermèdes bouffons, apostrophes au public, souvenirs de bringues avec ses potes Jean Carmet ou Bernard Giraudeau, lazzis politiques. On rit des uns, on est émus des autres, de l’adresse à l’Afrique Africa Mámma, ou de la rencontre de jeunesse avec la pute junkie noire dans les rues de New York, ou du Berck des allongés et de la saga de Jean-Ba Mendy, le champion de boxe… textes cueillis dans ses cahiers au feeling, dans un échange vibrant, presque palpable, avec la « salle ». Verbe inspiré d’un petit homme fragile, instable, rayonnant de verve, de passion, de générosité, d’amour. Partage bouleversant, humaniste. Moment de grâce hors du temps, entre larmes et rire, entre le crépuscule et la nuit close.