Tel est le slogan du Magasin des suicides, où Mishima et Lucrèce Tuvache proposent aux clients une panoplie complète et exhaustive, classique, moderne ou excentrique, des attirails du suicide. Leurs deux aînés, Vincent et Marilyn, les assistent dans leur florissant commerce. Hélas, le petit dernier, Alan –ainsi prénommé en référence à l’un des pères de l’ordinateur, Alan Turing, suicidé en croquant une pomme empoisonnée, (d’où apprend-on au passage, l’origine du logo d’Apple) – le petit Alan respire la joie de vivre, sabote les potions mortelles ou subtilise les bonbons au cyanure. Il chante à tue-tête Il en faut peu pour être heureux, bref, c’est un grain de sable très efficace dans les rouages de la boutique familiale, d’autant plus redoutable qu’il est contagieux et que sa joie se communique même aux deux aînés…
Argument certes macabre, mais riche matière à une débauche d’humour noir, ce roman, qui m’a été prêté par une de mes élèves, me paraissait alléchant.
- J’ai eu bien du mal à aller jusqu’au bout…
C’est assez « mal écrit », malgré un recours plus que fréquent à l’assistance involontaire de Baudelaire – la contrainte devait être de farcir le texte d’un maximum de citations des Fleurs du Mal … - et composé à la diable. Comme si ce qui a été publié était précisément « l’argument » du roman. Un canevas un peu détaillé. Mais rien ne campe vraiment l’atmosphère, sinon des notations qui relèvent plus de la didascalie ou de la déclaration d’intention que d’un authentique travail de mise en place d’un climat (c’est un monde où les gens dégringolent des tours de façon quasi naturelle, sans que l’on ressente ni sentiment d’inquiétante étrangeté, ni une quelconque aura fantastique). Pas non plus d’incarnation des personnages, tous affublés de traits de caractère ou de particularités physiques qui relèvent de la typologie, sans que l’on y croie vraiment. Tous les effets sont commentés, surlignés. Et les dialogues ! on a dû apprendre à ce type – Jean Teulé, l’auteur, je ne l’avais pas encore nommé – dans QUEL atelier d’écriture ? à varier au maximum les verbes introducteurs. Ça donne des avalanches de : s’étonne Lucrèce, tremble le jeune gardien, s’extasie Marilyn, commente Mishima, se justifie l’amour de la fille Tuvache ( !!! « la terre colle à mes sabots… »), minimise Lucrèce, s’étonne Mishima, chantonne Lucrèce, susurre hypocritement M.Tuvache… j’arrête là, vous en avez une page. C’est besogneux et, somme toute, ridicule.
Le livre avance donc vers son issue, courue d’avance ou à peu près – qu’apporte au message la « chute » finale ? – à renforts multipliés de références littéraires, suscitant chez le lecteur – ni semblable, ni frère ! – au mieux la lassitude, au pire ce sentiment, éminemment baudelairien, qui dans un bâillement avalerait le monde : l’Ennui. Triste résultat pour un roman qui se voudrait une leçon de joie de vivre.