La Grande femelle volante, suivie de ''Sommeil Paradoxal''
Par Mathilde Panier le mercredi, février 16 2011, 17:55 - Ecrits d'élèves - Lien permanent
Pierre Bettencourt, La grande femelle volante (1967)
La Grande femelle volante de
Pierre Bettencourt semble traiter, comme la plupart de ses œuvres, de «
l’obsession » qu’a l’artiste pour les femmes. Sur un fond très sombre,
on distingue une grande femme ailée, qui n’est pas sans rappeler les
stryges, démons mi-femmes mi-oiseaux, qui selon les croyances suçaient
le sang des nouveau-nés ou les empoisonnaient avec leur lait et
mangeaient les cadavres. La « femelle » du tableau a plutôt une tête de
dragon et semble porter un enfant, elle a un ventre arrondi, qui est,
comme les seins et les fesses, « écorché ». Elle a les yeux injectés de
sang, des cornes, une énorme mâchoire et de grandes ailes noires qui
renforcent son aspect démoniaque, voire diabolique. Elle tient entre
ses dents la tête d’un homme dont le corps pendant, atone, évoque un
cadavre. On a l’impression de voir un prédateur ramenant sa proie dans
son nid. Sous ces deux personnages, on distingue des trous noirs
ressemblant à des puits, remplis d’eau. Le sol est recouvert à première
vue d’une sorte d’herbe sèche, qui semble se révéler être des tas
d’ossements. Ce décor suggère que d’autres créatures similaires y
résident, il ressemble à une ruche et il donne l’impression que la
créature va laisser tomber le cadavre dans un des trous et qu’elle
pourra en disposer quand et comme il lui plaira. Le fond noir et bleu
semble être le ciel mais peut faire penser à de l’eau, très sombre. La
domination de la femme est ici évidente, et dans la même optique que
dans la fable « Les Ballons » de Bettencourt, elle vole et est donc au-dessus des hommes.
Cependant l’imaginaire du tableau est beaucoup plus violent que celui
présent dans « Les Ballons », les femmes ne se contentent pas d’être
libres mais vident les hommes de leur énergie, comme s’ils n’étaient
rien d’autre que les proies des femmes, contre lesquelles ils ne peuvent
rien. Elles n’appartiennent donc plus au domaine du rêve mais à celui
du cauchemar, elles sont mystérieuses et dangereuses, cruelles et sans
pitié.
Le noir. C’est tout ce qu’il parvient à voir. L’endroit est humide, étouffant, effrayant. Il prie pour la lumière du jour, pour la fin de sa peine. Il ne comprend pas où il se trouve, il ne comprend pas pourquoi. Il est nu, il meurt de froid et de faim. Après quelques instants, ses yeux s’habituent à l’obscurité, et il parvient à voir le ciel, mais sa joie se transforme vite en terreur. Le spectacle qu’il voit lui transperce le cœur et un frisson d’effroi parcourt son corps désormais figé. Au loin, de gigantesques créatures ailées vont et viennent à travers des nuages noirs, elles sont laides, terrifiantes ; sur leur tête de dragon, des cornes. Il croit voir le diable, il se croit en enfer, il se croit mort et damné. Leurs grandes ailes noires balayent les airs, certaines ont entre leurs dents des hommes, des cadavres. Il se met à observer son corps, il n’est pas blanc, il n’est pas froid. Quelque chose craque sous ses pieds, il n’ose plus bouger, il a envie de hurler. Il cherche dans son passé une faute qu’il aurait pu commettre, il cherche encore mais ne trouve rien de plus grave qu’un chat écrasé. Il a peur de devenir fou, il n’ose plus ouvrir les yeux mais il ne peut les garder fermés, les images qui défilent dans son esprit sont encore plus insupportables que celle qu’il pourrait voir en levant la tête. Il regarde alors ses pieds, qu’il ne voit pas. Il se met à bénir la souffrance et le froid qui le parcourent, la douleur lui prouve qu’il est en vie, et il se met alors à frapper les parois de sa prison avec ses poings, de plus en plus fort, de plus en plus vite, la douleur monte, devient insupportable, il continue, il se sent vivant, il sent un liquide chaud couler le long de ses bras, et puis, il tombe. Le sol est glacé, mouillé, il le tâte avec ce qui lui reste de ses mains, un crâne, des os en vrac. Maintenant il en est sûr, ce sera sa tombe. Il est épuisé, mais il ne veut pas dormir, il veut être conscient de chaque seconde qu’il devra vivre dans cet endroit. Il entend les cris des créatures, des cris stridents, insupportables. Il hurle. Quelque chose vient de tomber à ses pieds. Ce qu’il touche le rassure et l’effraie, un visage. Est-il en vie, est-il mort ? Il se met à le secouer violemment, il sent la chaleur, et puis, un souffle. Il ne parvient pas à y croire, ils sont maintenant deux dans cet enfer. Il croyait qu’il pourrait parler, qu’il pourrait être compris et comprendre, mais l’autre lui fonce dessus en hurlant, essaye de l’étrangler. Surpris, il reste quelques instants sans se défendre. Mais il ne veut pas mourir tant qu’il ne sera pas fou. Il attrape un os, frappe violemment le visage qui l’a tant rassuré quelques minutes auparavant, peut-être a-t-il frappé trop fort, l’autre tombe, mort. C’est alors qu’il a une idée. Il rassemble tous les ossements en un tas, posé sur le cadavre encore chaud de l’inconnu. Après s’être perché sur ce sinistre escalier, il parvient à placer sa main meurtrie dans une fissure du mur, le peu de force qui lui reste lui permet d’escalader le puits, et il parvient enfin à en sortir. Là-haut, un champ d’os et de trous comme le sien, mais il n’y prête pas attention, il court encore et encore, il voit les créatures qui foncent vers lui, mais il court, il n’a jamais couru aussi vite. Trop tard, elles sont sur lui, il pousse un cri... et tout redevient calme.
Il ouvre les yeux.
A côté de lui la respiration rassurante d’une femme endormie, les cheveux en bataille, la peau nue.