Sommeil Paradoxal

Le noir. C’est tout ce qu’il parvient à voir. L’endroit est humide, étouffant, effrayant. Il prie pour la lumière du jour, pour la fin de sa peine. Il ne comprend pas où il se trouve, il ne comprend pas pourquoi. Il est nu, il meurt de froid et de faim. Après quelques instants, ses yeux s’habituent à l’obscurité, et il parvient à voir le ciel, mais sa joie se transforme vite en terreur. Le spectacle qu’il voit lui transperce le cœur et un frisson d’effroi parcourt son corps désormais figé. Au loin, de gigantesques créatures ailées vont et viennent à travers des nuages noirs, elles sont laides, terrifiantes ; sur leur tête de dragon, des cornes. Il croit voir le diable, il se croit en enfer, il se croit mort et damné. Leurs grandes ailes noires balayent les airs, certaines ont entre leurs dents des hommes, des cadavres. Il se met à observer son corps, il n’est pas blanc, il n’est pas froid. Quelque chose craque sous ses pieds, il n’ose plus bouger, il a envie de hurler. Il cherche dans son passé une faute qu’il aurait pu commettre, il cherche encore mais ne trouve rien de plus grave qu’un chat écrasé. Il a peur de devenir fou, il n’ose plus ouvrir les yeux mais il ne peut les garder fermés, les images qui défilent dans son esprit sont encore plus insupportables que celle qu’il pourrait voir en levant la tête. Il regarde alors ses pieds, qu’il ne voit pas. Il se met à bénir la souffrance et le froid qui le parcourent, la douleur lui prouve qu’il est en vie, et il se met alors à frapper les parois de sa prison avec ses poings, de plus en plus fort, de plus en plus vite, la douleur monte, devient insupportable, il continue, il se sent vivant, il sent un liquide chaud couler le long de ses bras, et puis, il tombe. Le sol est glacé, mouillé, il le tâte avec ce qui lui reste de ses mains, un crâne, des os en vrac. Maintenant il en est sûr, ce sera sa tombe. Il est épuisé, mais il ne veut pas dormir, il veut être conscient de chaque seconde qu’il devra vivre dans cet endroit. Il entend les cris des créatures, des cris stridents, insupportables. Il hurle. Quelque chose vient de tomber à ses pieds. Ce qu’il touche le rassure et l’effraie, un visage. Est-il en vie, est-il mort ? Il se met à le secouer violemment, il sent la chaleur, et puis, un souffle. Il ne parvient pas à y croire, ils sont maintenant deux dans cet enfer. Il croyait qu’il pourrait parler, qu’il pourrait être compris et comprendre, mais l’autre lui fonce dessus en hurlant, essaye de l’étrangler. Surpris, il reste quelques instants sans se défendre. Mais il ne veut pas mourir tant qu’il ne sera pas fou. Il attrape un os, frappe violemment le visage qui l’a tant rassuré quelques minutes auparavant, peut-être a-t-il frappé trop fort, l’autre tombe, mort. C’est alors qu’il a une idée. Il rassemble tous les ossements en un tas, posé sur le cadavre encore chaud de l’inconnu. Après s’être perché sur ce sinistre escalier, il parvient à placer sa main meurtrie dans une fissure du mur, le peu de force qui lui reste lui permet d’escalader le puits, et il parvient enfin à en sortir. Là-haut, un champ d’os et de trous comme le sien, mais il n’y prête pas attention, il court encore et encore, il voit les créatures qui foncent vers lui, mais il court, il n’a jamais couru aussi vite. Trop tard, elles sont sur lui, il pousse un cri... et tout redevient calme.

Il ouvre les yeux.

A côté de lui la respiration rassurante d’une femme endormie, les cheveux en bataille, la peau nue.