L’individu semblait nerveux. De ses yeux il dévorait chaque détail de la scène. Outre son accoutrement, c’était un petit homme austère, dégarni par une calvitie avancée.
_Bien, dit-il. Messieurs occupez vous de mettre la patiente à son aise, puis sortez et gardez l’entrée. Personne ne doit passer sans mon autorisation, pas même vous. Vous entendrez très certainement des cris, ne vous en préoccupez pas. Si nous avons besoin de vous, nous vous appellerons, mais en aucun cas vous ne devrez entrer sans mon autorisation, est-ce que c’est compris ?
Les deux hommes acquiescèrent, portèrent la femme sur la table et sortirent par les portes principales menant aux couloirs. Le médecin semblait satisfait, il observait toujours la scène, les yeux pétillants derrière ses lunettes cerclées. La jeune infirmière, postée devant la table d’opération, contemplait, livide, le sang couler le long des cuisses de la malade.
_Mademoiselle ? Mademoiselle ? Mademoiselle ?!
Elle releva soudain la tête vers le docteur, on pouvait lire la panique dans son regard et sa respiration se faisait plus rapide.
_ Reprenez vous ! Si vous ne vous sentez pas capable de mener à bien cette intervention je vous prie de quitter immédiatement mon bloc.
Elle redressa le buste, prit une profonde inspiration et déclara d’une voix chevrotante :
_ Ça va aller docteur… Je veux dire ça va déjà mieux.
_ Bien, alors sanglez la patiente.
_ Oui docteur.


Le médecin se tourna alors vers l’infirmière en chef qu’il semblait connaître depuis un moment déjà.
_Vous pensez qu’elle tiendra le coup ?
_Oui docteur, cette petite a du potentiel. C’est la première fois pour elle mais elle est courageuse, nous pouvons compter sur elle.
_Je l’espère. Je tiens à ce que tous les membres de mon personnel soient aptes à répondre aux ordres. Après les fiascos antérieurs, la direction commence à douter, c’est ma dernière chance. Le projet commence à faire peur et l’on se demande si je suis à la hauteur. Nous ne pouvons plus nous permettre la moindre erreur, le doute n’a plus sa place.
_Je comprends. Mais nous allons réussir, je le sais. De toute manière nous ne pouvons pas la renvoyer, elle nous est nécessaire.
Une voix qu’ils n’avaient encore tous deux entendu s’éleva du centre de la pièce.
_Docteur, la patiente est prête.
L’homme jeta un dernier regard au décor et hocha la tête.
_Bien, très bien. Alors au travail.
La femme était allongée sur la table, sanglée de la taille à la tête, un drap vert couvant son corps nu. Ses pieds étaient coincés dans deux étriers qui maintenaient ses cuisses ouvertes.
L’infirmière en chef tentait de calmer sa peur apparente de la voix la plus douce qu’elle pouvait énoncer. Voyant la patiente s’agiter de plus belle, elle confia ce rôle à sa cadette, et se mit à inspecter le matériel et les installations.
_Madeleine, vous avez oublié la perfusion ! Comment allons nous lui injecter le sérum ? Allez dépêchez vous, nous n’avons pas de temps à perdre !
_Ce ne sera pas nécessaire, intervint le médecin. Le travail a commencé, nous lui injecterons directement un peu plus tard. Il s’adressa ensuite pour la première fois à sa patiente :
_Madame, écoutez moi. Vous n’avez pas à vous inquiéter, tout se passera bien pour l’enfant. Nous sommes qualifiés et savons ce que nous faisons. Nous ferons en sorte que la douleur ne soit qu’un infime inconvénient pour vous. Vous allez faire tout ce que je vous dis et tout se déroulera sans le moindre accroc, vous comprenez ? Donnez nous votre confiance…
L’infirmière en chef était passée aux côtés de l’homme tandis que la jeune femme restait à rassurer la future mère.
_Bien respirez profondément…. Maintenant poussez ! Allez, allez poussez fort. C’est bien stop. Respirez…. Poussez ! Bien relâchez maintenant.
Il répéta ainsi le processus durant plusieurs minutes, puis s’écria :
_Haha ! Je le vois !
Il semblait très énervé, et c’est avec un grand sourire aux lèvres qu’il se tourna vers celle qui se prénommait Madeleine :
_Je le vois ! Il arrive ! Préparez la seringue et injectez directement dans le ventre !
L’infirmière s’exécuta et le docteur retourna à sa tâche.
_ Allez poussez ! Poussez ! Il arrive je le vois, allez pousse salope, pousse ! VAS-Y POUSSE SALOOOPE !!!
Il s’était maintenant redressé complètement. Il semblait de plus en plus déchaîné, ses yeux étaient exorbités, sa bouche formait une sorte de rictus monstrueux et sur son menton coulait des bulles de salive. Soudain un geyser de sang se projeta à travers la pièce et le médecin l’esquiva en détournant la tête sur le côté.
_ Hahaha ! Gabrielle, vite une couverture !
Celle-ci se précipita vers le chariot et juste en dessous des scalpels et autres bistouris s’empara d’une couverture propre. Quand elle revint le médecin déposa précautionneusement l’enfant à l’intérieur des bras de la sage-femme. Le nouveau né en pleurs fut enveloppé, et de son corps n’apparaissait plus alors que son crâne blanc.
Malgré tout le sang perdu et les efforts fournis, malgré la folie brutale du docteur et l’ambiance pesante qui régnait dans le bloc, la mère ne semblait pas inquiète. Elle souriait, l’air serein. Quand elle ouvrit la bouche pour parler, c’est une voix claire et douce qui en sortit :
_Je peux le voir docteur ?
_Mais bien sûr ! Après tout c’est votre rôle maintenant, accomplissez votre travail, Marie.
L’enfant fut déposé sur son torse nu. La table se redressa pour qu’elle puisse le voir et le toucher mais malgré tout son buste était encore solidement fixé. De ce fait elle ne pouvait pas écarter le tissu qui masquait son enfant, le fruit de ses entrailles.
_ Regardez le chercher le sein ! s’exclama l’homme en blouse. Il a faim !
En effet, on le vit bientôt se déplacer sur le ventre de la mère, cherchant un téton auquel se raccrocher. Quand il l’eut trouvé il se cala définitivement et l’on pouvait entendre la déglutition de son premier repas. La femme était en extase et de ses joues coulaient des larmes.
_C’est merveilleux, je le sens ! Oh il est vraiment affamé, regardez-le comme il tète…
L’équipe médicale s’était rassemblée autour et chaque membre semblait émerveillé. La mère riait, pleurait et s’extasiait tandis que de son sein commença à s’écouler le sang. D’abord une goutte puis deux et finalement c’est un flot continu qui finit par se déverser sur le long de son flanc gauche. Cependant elle se semblait pas le remarquer ou tout du moins elle ne s’en souciait guère. Mais quand l’enfant releva enfin la tête et qu’elle put apercevoir l’être qui lui faisait face, son sourire se brisa et la panique s’installa sur ses traits. La couverture tomba et découvrit au monde la créature qui s’y cachait jusqu’alors. Un être à double face, l’une ayant l’apparence normale d’un bébé et l’autre mutante dont chaque extrémité s’achevait par une patte velue. De sa poitrine s’échappait une lueur cramoisie et cette lueur se profilait le long de la séparation des deux êtres. Mais de son anatomie, c’était la tête qui était la plus effrayante. Des gencives vierges se démarquaient deux crochets qui entraient et sortaient successivement de la bouche, et ses yeux, quant à eux, se comptaient au nombre de huit, petits, ronds et vides. A la place du sein on ne pouvait à présent voir qu’une masse informe de chair et de sang. A cette vue la femme se mit à hurler et à se débattre. L’être poussa lui aussi un cri et se jeta à la gorge de sa mère, excité, en fureur. Le sang jaillissait dans toute la pièce et les hurlements de la proie sans défense étaient terribles. Son corps se convulsait, elle se débattait et hurlait tandis que le monstre s’attaquait à son visage.
La jeune infirmière courut à l’autre bout de la salle et vomit. Celle qui s’appelait Gabrielle alla la rejoindre, mais le docteur restait debout, fasciné devant le spectacle qui s’offrait à lui.
_Regardez ça, si jeune et déjà si vif, un véritable prédateur. Regardez comme il se nourrit, comme il se délecte de son repas. Nous avons réussi ! Nous avons créé l’être supérieur. Il est si beau, le fruit d’une longue recherche, d’un travail accomplie avec brio. Ils vont être fiers de nous…
L’infirmière en chef le rejoignit et jeta un regard plein d’admiration au projet auquel elle avait participé. Les hurlements s’étaient tus mais le corps se contractait toujours, la résistance de la procréatrice était impressionnante.
_Docteur ?
_C’est un succès vous voyez ? C’est un véritable succès ! Il est… parfait.
Finalement il décrocha le regard de la merveille scientifique qui s’offrait à lui et se tourna vers son équipe, il était calme à nouveau, les yeux plein de larmes, il chuchota presque :
_ Bien, c’est une réussite totale. Madeleine mon enfant, approchez s’il vous plaît. Vous avez été parfaite, je suis fier de vous et vous pouvez l’être également face à ce chef d’oeuvre.

Son regard se perdit dans le décolleté généreux de la jeune fille.
_ Passez donc à mon bureau un peu plus tard, nous parlerons de votre avenir au sein de la boîte. Vous pouvez disposer maintenant, allez vous reposer.
_Oui docteur… merci docteur.
Elle sortit de la pièce et le médecin se retourna vers le corps décharné et violé de la mère. Le bas ventre déchiré, et le visage informe tel était ce que son enfant avait fait d‘elle. Oui c’était un succès, un véritable chef d’œuvre de la nature, une création divine fruit de la science.
_Gabrielle ? Mettez le en cage.
Marie avait été la matrice nécessaire et vitale de l’enfant suprême, la science en était le père fondateur.
_Oui, il est parfait. Un véritable succès…




Steve Paris, 16/11/07