... sur une phrase de Dino Buzzatti

"Couché dans son lit, Adolfo Le Ritto, peintre décorateur de cinquante-deux ans, entendit la clef tourner dans la serrure de la porte"...
                           Variation d'après Rembrandt

Croyant à un cambriolage, il saisit le chandelier le plus proche et se posta derrière l'angle de la porte. L'intrus avançait tout doucement de peur d'être entendu. Donnant brusquement un coup dans la porte et brandissant le chandelier à deux mains afin d'assommer le voleur, Adolfo resta figé, glacé d'effroi lorsqu'il découvrit qui avait pénétré dans sa chambre : une vieille femme, la peau blanche comme la lune avait tourné son visage de son côté, elle souriait. Le vieillard laissa tomber son arme et soupira: "Natalia... Comment est-ce possible?" Il essaya vainement de maîtriser le tremblement convulsif de ses membres. Il s'écroula sur le plancher froid et poussiéreux.

Adolfo le Ritto était surnommé le "peintre-fantôme" car il travaillait beaucoup pour oublier le chagrin que lui avait causé le décès de sa femme Natalia, morte noyée sous le pont de la Careza, situé juste sous son balcon. Personne ne l'avait jamais vu faire une pause pendant le travail : il finissait tout ouvrage entrepris. Ce soir là le fantôme de Natalia était venu lui rendre visite. Cette visite avait achevé le vieil Adolfo qui tomba sans connaissance à côté de son lit.
Le lendemain, aucune commande ne pressait: il prit donc le temps d'admirer les reflets du soleil levant sur les eaux du fleuve depuis son balcon. Il était tourmenté par la vision nocturne qu'il avait eue. Suis-je devenu fou? se demandait-il. Il travailla peu ce jour-là.
Le lendemain, la concierge ayant reçu une commande importante destinée à Le Ritto, elle se rendit elle-même à la chambre du peintre-décorateur. Elle frappa à la porte, personne ne répondit. Elle introduisit la clé dans la serrure. la porte tournant sur ses gonds produisit un grincement plaintif. De la chambre se dégageait une atmosphère de mélancolie et, détail choquant, tout avait été fraîchement repeint en noir, des murs aux meubles. Tout, à part une photo par terre, celle de Natalia. La fenêtre étant ouverte, la concierge fut épouvantée et une recherche débuta. Pendant plusieurs jours, la police ratissa tous les recoins de la ville, quartier après quartier; le vieux peintre restait introuvable. L'hypothèse d'une noyade ayant été formulée, la police prit des barques pour sonder le fleuve.
Plusieurs semaines passèrent, les policiers avaient sondé le fleuve sur une grande distance sans résultats. Ils s'apprêtaient à effectuer un dernier sondage dans les alentours du pont de la Careza.
Les inspecteurs restèrent glacés lorsqu'ils découvrirent le corps du vieil Adolfo suspendu sous la rambarde inférieure du pont. Il s'était pendu avec son écharpe. Le regard vide du vieillard scrutait la surface de l'eau, cette eau d'où il pensait voir ressurgir le visage de sa bien-aimée tant regrettée.

Raoul TCHOÏ 2nde1, d’après Dino BUZZATI