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(Illustration de l'Opéra Bastille)

WERTHER

Drame lyrique en quatre actes et cinq tableaux (1892)

Musique de Jules Massenet

Livret d' Edouard Blau, Paul Milliet et Georges Hartmann

D'après Johann Wolfgang von Goethe

«Pourquoi trembler devant la mort ? Devant la nôtre ? On lève le rideau... puis on passe de l'autre côté. Offensons-nous le ciel en cessant de souffrir?»

- Werther, Acte II.

« Rien n’émeut davantage que ce mélange de douleurs et de méditations, d’observations et de délire, qui représente l’homme malheureux se contemplant par la pensée, et succombant à la douleur, dirigeant son imagination sur lui-même, assez fort pour se regarder souffrir, et néanmoins incapable de porter à son âme aucun secours », écrivait Madame de Staël en 1800. Avant de redire quatorze ans plus tard, dans De l’Allemagne, son admiration pour Werther et «tout ce que le génie de Goethe pouvait produire quand il était passionné. » Alors que plus d’un siècle sépare la publication du roman de la création du drame lyrique de Massenet, le compositeur saisit, à la fois fidèle à son modèle littéraire et éminemment personnel, le frémissement du romantisme naissant, ce Sturm und Drang dont la tempête produisit une libération de l’intime. Sous un Clair de lune pudique, l’orchestre bruisse de l’entente muette de deux êtres se tenant par le bras de peur que leurs mains, leurs cœurs se frôlent. Jusqu’à ce que dans un élan fébrile, les larmes de Charlotte, incarnée par Elīna Garanča, laissent couler le lyrisme éperdu d’un amour à l’issue inéluctable.

En langue française

Direction musicale Michel Plasson

Mise en scène Benoît Jacquot

Werther Piotr Beczala

Albert Stéphane Degout

La Bailli Paul Gay

Schmidt Rodolphe Briand

Johann Lionel Lhote

Charlotte Elīna Garanča

Sophie Elena Tsallagova

Brühlmann Arto Sarkissian

Kätchen Pauline Texier

Décors Charles Edwards

Costumes Christian Gasc

Lumières André Diot D'aprèsCharles Edwards

Orchestre de l’Opéra national de Paris

Maîtrise des Hauts-de-Seine / Choeur d’enfants de l’Opéra national de Paris

Production originale du Royal Opera House, Covent Garden, Londres

(Source : site de l'Opéra Bastille)


Acte IV - Tableau 2

La Mort de Werther

Le cabinet de travail de Werther

(Un chandelier à trois branches, garni d'un réflecteur, éclaire à peine la table chargée de livres et de papiers, et sur laquelle il est placé. Au fond, un peu sur la gauche, en pan coupé une large fenêtre ouverte, à travers laquelle on aperçoit la place du village et les maisons couvertes de neige; l'une des maisons, celle du Bailli est éclairée. Au fond à droite, une porte. La clarté de la lune pénètre dans la chambre. Werther, mortellement frappé, est étendu près de la table. La porte s'ouvre brusquement Charlotte entre. S'arrêtant aussitôt et, s'appuyant contre le chambranle de la porte, comme si le cœur lui manquait subitement.)

CHARLOTTE

(appelant avec angoisse)

Werther! Werther!

(Elle avance, anxieuse.)

Rien!

(Passant derrière la table et cherchant, elle découvre le corps inanimé de Werther et se jette sur lui.Poussant un cri et reculant subitement épouvantée.)

Dieu! Ah! du sang!

(Elle revient vers lui, à genoux, le prenant dans ses bras)



Non!

(d'une voix étouffée)

non! c'est impossible! il ne peut être mort!

Werther! Werther! Ah! reviens à toi...

réponds! réponds!

Ah! c'est horrible!

WERTHER

(ouvrant enfin les yeux)

Qui parle?

(reconnaissant)

Charlotte!

(mesuré)

Ah! c'est toi!

(sans voix)

pardonne-moi!

CHARLOTTE

Te pardonner!

(très expressif)



Quand c'est moi qui te frappe,

Quand le sang qui s'échappe de ta blessure...

c'est moi qui l'ai versé!

WERTHER

(qui s'est soulevé un peu)

Non! tu n'as rien fait que de juste et de bon, (avec un effort qui l'épuise aussitôt) mon âme te bénit pour cette mort...qui te garde innocente... et m'épargne un remord!

(Il faiblit.)

CHARLOTTE

(affolée et se tournant vers la porte)

Mais il faut du secours! du secours! Ah!

(Werther la retient.)

WERTHER

(se soulevant sur un genou)

Non! n'appelle personne! tout secours serait vain!

(s'appuyant sur Charlotte et se levant)

donne seulement ta main.

(souriant)

Vois! je n'ai pas besoin d'autre aide que la (Il tombe assis.) tienne!

(puis, son front sur la main de Charlotte, et d'une voix très douce, presque câline)

Et puis... il ne faut pas qu'on vienne encore

ici nous séparer! On est si bien ainsi!

(lui tenant la main)

A cette heure suprême je suis heureux,

je meurs en te disant que je t'adore!

CHARLOTTE

(tendrement passionné)

Et moi, Werther, et moi

(avec élan)

je t'aime!

(très émue)

Oui... du jour même où tu parus devant mes yeux...

j'ai senti qu'une chaîne impossible à brises,

nous liait tous les deux!

A l'oubli du devoir j'ai préféré ta peine,

et pour ne pas me perdre, hélas!

(dans un sanglot)

je t'ai perdu!

WERTHER

Parle encore! parle je t'en conjure!

CHARLOTTE

(continuant malgré la plus profonde émotion)

Mais si la mort s'approche...

Avant qu'elle te prenne,

(avec transport)

ah! ton baiser,

(tendre)

ton baiser... du moins je te l'aurai rendu!

Que ton âme en mon â éperdument se fonde!

Dans ce baiser qu'elle oublie à jamais tons les maux...

Les chagrins! qu'elle oublie les douleurs!

WERTHER

Tout oublions tout!

CHARLOTTE

Tout... oublions tout!

WERTHER et CHARLOTTE

...oublions tout!

(presque soupiré)

tout! tout!

LA VOIX DES ENFANTS

(au loin, dans la maison de Bailli; dans la coulisse: On ajoutera des Soprani femmes aux six Enfants - pour cette dernière scène seulement.)

Noël! Noël! Noël! Noël! Noël! Noël! Noël!

CHARLOTTE

(douloureusement, écoutant)

Dieu! ces cris joyeux! ce rire en ce moment cruel!

(Charlotte est remontée vers la fenêtre, mais elle redescend aussitôt vers Werther.)

LA VOIX DES ENFANTS

Jésus vient de naître,

Voici notre divin maître,

Rois et bergers d'Israël!

WERTHER

(se soulevant un peu ; avec une sorte d'hallucination)

Ah! les enfants... les anges!

LA VOIX DES ENFANTS

Noël! Noël! Noël! Noël!

WERTHER

Oui Noël! c'est le chant de la délivrance...

LA VOIX DES ENFANTS

Noël! Noël! Noël! Noël! Noël!

WERTHER

C'est l'hymne du pardon redit par l'innocence!

LA MOITIÉ DES VOIX

Noël! Noël! Noël! Noël!

TOUTES LES VOIX

Noël! Noël!

CHARLOTTE

(se rapprochant, effrayée de ce délire qui commence)

Werther!

WERTHER

(de plus en plus halluciné)

Pourquoi ces larmes? Crois-tu donc

qu'en cet instant ma vie est achevée?

(avec extase, se levant tout à fait)

Elle commence, vois-tu bien!

LA VOIX DES ENFANTS

(au loin, dans la maison du Bailli)

Noël!

LA VOIX DE SOPHIE

(au loin, dans la maison du Bailli)

Noël! Dieu permet d'être heureux!

Le bonheur est dans l'air!

LA VOIX DES ENFANTS

Noël!

LA VOIX DE SOPHIE

Toute le monde est joyeux!

LA VOIX DES ENFANTS

Noël!

LA VOIX DE SOPHIE

Le bonheur est dans l'air!

LA VOIX DES ENFANTS

Noël! Noël! Noël! Noël!

LA VOIX DE SOPHIE

Dieu permet d'être heureux!

(Werther qui a écouté debout, frémissant, les yeux grands ouverts s'appuie subitement sur le fauteuil, et s'y laisse tomber avec un gémissement.)




CHARLOTTE

(le regardant, avec angoisse)

Ah! ses yeux se fermant!

(très déclamé)

se main se glace!

(avec effroi)

il va mourir! mourir! ah! pitié! grâce!

(avec des sanglots)

je ne veux pas! je ne veux pas! ah!

Werther! Werther! réponds-moi

(déchirant)

réponds!

Tu peux encore m'entendre! la mort

(doux et tendre, pressant Werther contre elle)



entre mes bras, n'osera pas te prendre!

(avec la plus grande émotion)

Tu vivras! tu vivras!

(murmuré)

Vois, je ne crains plus rien!

WERTHER

(dans le fauteuil)

Non...

(d'une voix éteinte)

Charlotte! je meurs...

(Charlotte veut protester...Werther avec un geste résigné...)

oui... mais

(calme et grave)

écoute bien: Là-bas au fond du cimetière,

il est deux grands tilleuls!

c'est là que pour toujours je voudrais reposer!

CHARLOTTE

(suffoquant)

Tais-toi! pitié!

WERTHER

Si cela m'était refusé...

si la terre chrétienne est interdite au corps d'un malheureux,

près du chemin ou dans le vallon solitaire allez placer ma tombe!

En détournant les yeux le prêtre passera...

CHARLOTTE

Pitié! Werther!

WERTHER

(continuant)

Mais, à la dérobée, quelque femme viendra visiter le banni...

et d'une douce larme, en son ombre tombée le mort,

le pauvre mort...se sentira béni...

(Sa voix s'arrête, il tente quelques efforts pour respirer...puis ses bras d'abord étendus retombent, et la tête inclinée... il meurt.)

CHARLOTTE

(avec épouvante)

Ah!

(Ne pouvant croire à ce qu'elle voit, elle prend la tête de Werther dans ses mains.)

LA VOIX DES ENFANTS

(au loin)

Jésus vient de naître,

Voici notre divin maître;

Rois et bergers d'Israël!

CHARLOTTE

(l'appelant désespérément)

Werther!

(faiblissant)

ah! (comprenant tout enfin, elle s'évanouit, tombe inanimée par terre devant le fauteuil)

Tout est fini!

LA VOIX DES ENFANTS

Noël! Noël! Noël! Noël!

Noël! Noël! Noël! Noël!

Noël! Noël!

(Rires bruyants, chocs de verres, cris joyeux.)

RIDEAU