Marc Chagall : « Le Loup et l'Agneau» , 1927. Gouache inspirée par la fable du même titre « Le Loup et l'Agneau» , dans les Fables de La Fontaine, IX, 2.


William Marx, Leçon inaugurale de la chaire de littératures comparées prononcée le 23 janvier 2020 au Collège de France :

«L'amour de la littérature est le moteur premier des études littéraires.»

Vivre dans la bibliothèque du monde, Collège de France / Fayard, 2020, p. 12.

(Jean Starobinski en faisait l'un des principes de la critique littéraire : lire le billet du 10 mars 2019.)


Je présente ci-dessous le programme d'étude en Lettres, auquel il faudra ajouter de nombreux extraits pour chaque genre littéraire, poésie, roman, théâtre, essai et un programme de lecture pour les colles, c'est-à-dire les interrogations orales (voir ci-dessous). D'autres précisions sont données dans la bibliographie consultable sur le site du lycée.

Je vous souhaite de belles vacances, reposantes et studieuses !

PROGRAMME D’ÉTUDE

UN ÉTÉ AVEC JEAN DE LA FONTAINE ET PATRICK DANDREY

A LIRE POUR LA RENTRÉE :

Cours d'histoire littéraire : littérature du XVIIe siècle / Cours sur le genre poétique

À associer - pour le cours et pour la préparation à la dissertation - au programme de lecture des colles sur la poésie.

LA FONTAINE, Fables, éd. Le Livre de Poche, édition de Jean-Charles Darmon et Sabine Gruffat. ISBN : 978-2253010043.

Pour célébrer les quatre cents ans de la naissance de La Fontaine, en 1621, nous le lirons, ayant pour seule ambition de le comprendre et donc de le rejoindre, autant qu'il est possible, en ses Fables. Au lieu de tirer à nous la couverture de son œuvre et de chercher dans ses plis le confort de nos certitudes, nous ferons ce travail de lecture : Lire nécessite une disponibilité d’esprit et un désir de comprendre qui demandent des efforts quotidiens. Jacques Rivière, directeur de la prestigieuse revue N.R.F., dans une lettre à Alain-Fournier, l’auteur du Grand-Meaulnes, en fait une description fervente et, certes, presque mystique. Elle mérite néanmoins notre attention pour ce qu'elle dit de l'humilité et de l'ouverture d'esprit indispensables aux lecteurs que nous sommes : « Mais moi, mais moi, qui n’ai rien à faire que de comprendre, mais moi qui m’offre vide à toute invasion, il faut que je subisse, que je me fasse d’abord la chair et l’âme de celui que j’accueille, afin de le comprendre, afin de le posséder. » (5 juillet 1907). Et pour y parvenir, il faut non seulement être à l’écoute mais il est nécessaire de travailler : « Toute lecture d’un texte du passé exige d’abord un effort de philologue : saisir le sens des mots d’autrui ». Frank Paul Bowman, « Au lecteur », Revue Romantisme n°5, 1973, éd. Flammarion, p. 2. (C’est moi qui souligne). C’est ce que tentera de proposer - même modestement - ce cours sur La Fontaine, qui étudiera le sens de l’apologue et de sa poétique dans ses rapports avec la morale classique, afin de permettre, dans le prolongement de ce travail, des lectures actualisantes (Yves Citton) de cette oeuvre. Comment notre fabuliste s’approprie-t-il la transposition allégorique fondée sur la transposition du monde humain dans l’univers animal, à partir de la tradition ésopique ? Que nous apprend la fable des rapports que l’humain entretient avec l’animal ? D’un recueil à l’autre, cette question se complexifie : ce que dit la moralité ne se fige plus seulement dans la rigidité d’une formule gnomique. Très souvent, elle se déduit du récit ou est incluse dans une sorte de préambule qui semble ne pas tout dire, comme c’est le cas dans « Le Fou qui vend la sagesse » (IX, 8). La moralité est aussi enjouée ou légère, jamais frivole, elle peut formuler un pessimisme que l’on serait tenté de rapprocher de Port-Royal. Dans « L’Araignée et l’Hirondelle » (X, 6), la pseudo-moralité ne présente aucune injonction morale, aucune prescription éthique mais se fonde sur un constat : le monde est fait de puissants et de faibles, et le Ciel semble approuver cette inégalité. Enfin, comment aborder la poésie des fables de La Fontaine ? Une fable qui devient poème reste-t-elle toujours un apologue ? Tels sont les problèmes littéraires, parmi d'autres, que nous traiterons ensemble, avec l'aide précieuse de Patrick Dandrey (1), professeur à la Sorbonne, éminent spécialiste de la Littérature du XVIIe siècle, et notamment de La Fontaine, auquel il a consacré un ouvrage magistral qui fait autorité : La Fabrique des Fables : essai sur la poétique de La Fontaine, éd. Klincksieck, 1991. Un prochain billet présentera sur ce blogue la conférence qu'il donnera à notre intention mardi 23 novembre 2021. Elle sera intitulée : « La Fontaine fabuliste ou les noces de Morale et Poésie».

Patrick Dandrey nous fera l'honneur et l'amitié d'être le 9e invité des RENCONTRES DE PIERRE D'AILLY.


(1) Patrick DANDREY est professeur émérite de littérature française du XVIIe siècle à la faculté des Lettres de la Sorbonne («Sorbonne-Université»). Membre de la Société Royale du Canada (Académie des Arts, Lettres et Sciences humaines), membre correspondant de l’Académie des Sciences, Inscriptions et Belles-Lettres de Toulouse, il préside la Société des Amis de Jean de La Fontaine.

Spécialiste de la littérature et de la culture du XVIIe siècle français, Molière et La Fontaine notamment, et de l’ancienne médecine de l’âme, en particulier l’imaginaire de la mélancolie, il leur a consacré une vingtaine d’ouvrages, autant d’éditions critiques et travaux éditoriaux, et un peu moins de deux cents études et articles .


Cours d'histoire littéraire : littérature du XVIIIe siècle / Cours sur le genre théâtral

À associer - pour le cours et pour la préparation à la dissertation - au programme de lecture des colles sur le théâtre.

VOLTAIRE, Zaïre, éd. Gallimard, coll. « Folio/ Théâtre ». Edition de Pierre Frantz. ISBN : 978- 2070356904.

En lisant cette tragédie de 1732, nous situerons le théâtre de Voltaire par rapport au classicisme, dont à bien des égards il se veut le continuateur : s’il connaît bien les tragiques grecs, en particulier Sophocle, il a beaucoup commenté Corneille et admiré Racine, dont il a ardemment désiré être l’émule au XVIIIe siècle. Dans le Génie du christianisme, tout en insistant sur le projet énoncé par Voltaire lui-même de «jeter dans cet ouvrage tout ce que la religion chrétienne semble avoir de plus pathétique et de plus intéressant», Chateaubriand, fervent admirateur de Zaïre, développe une comparaison très fine entre notre auteur et Racine, à travers le parallèle de l'héroïne voltairienne et d'Iphigénie (IIe partie, livre II, chapitres V et VIII, «Bibliothèque de la Pléiade », p. 662 et 670) . Mais le théâtre de Voltaire est aujourd'hui peu ou mal connu, il n’est pas accessible dans des éditions scolaires, si l’on excepte deux ou trois oeuvres, au nombre desquelles on peut citer Œdipe et Zaïre. Il faudra donc s’armer des lectures programmées pour les colles sur le genre dramatique pour identifier et interpréter les influences de Voltaire, notamment en ce qui concerne le discours amoureux, qui doit beaucoup à l'auteur du Cid et à celui de Bérénice. Il ne sera pas non plus inutile d’éclairer cette pièce par les Lettres philosophiques de 1734, écrites après son séjour forcé en Angleterre de 1726-1729. La dix-huitième Lettre « Sur la tragédie » devra être connue. Elle évoque la découverte de Shakespeare, que Voltaire a contribué à introduire en France, et dont il a traduit partiellement quelques œuvres, comme en témoigne ladite lettre. Mais si Voltaire a pu louer le génie de Shakespeare, c’est en le qualifiant tout aussitôt de « barbare ». Et il sera facile de repérer tout ce qui sépare nos deux dramaturges, quand bien même Voltaire emprunte à l’auteur d’Othello (1604). Zaïre et Othello sont en effet des tragédies de la jalousie : il y a des ressemblances évidentes, nous le verrons, entre les relations passionnées de Zaïre et d'Orosmane et celles de Desdémone et d'Othello, également frappées au coin de la passion amoureuse. Nous profiterons ainsi de l’occasion qui nous est donnée pour faire un peu de littérature comparée.


Cours d'histoire littéraire : littérature du XIXe siècle / Cours sur le genre romanesque

À associer - pour le cours et pour la préparation à la dissertation - au programme de lecture des colles sur le roman.

Victor HUGO, Les Misérables, tome 1, éd. Gallimard, coll. « Folio classique », édition d’Yves Gohin. ISBN : 978-2070409228.

Tout le monde connaît l’histoire de Cosette et de Jean Valjean, et pourtant tout le monde n'a pas lu Les Misérables. Que cette « fable » nourrisse encore notre imaginaire collectif et continue à nous intéresser en ses nombreuses métamorphoses audiovisuelles prouve le génie littéraire de Hugo. Mais la tâche nous incombera de déplier avec soin ce beau conte populaire pour mettre au jour la complexité d'une œuvre qui est au cœur de la pensée poétique de notre auteur. Pensée et Poésie, comme en atteste cette profonde méditation que l’on a longtemps appelée « Préface philosophique des Misérables », et dont nous étudierons quelques extraits. Nous aurons ainsi à suivre trois fils directeurs tissés par la prose romanesque de Hugo même, qui fait de la « poésie » l’origine de sa philosophie, en évoquant d’abord dans « Une tempête sous un crâne » (I, 7, III, p. 301, Folio) « le poème de la conscience humaine », et en affirmant ensuite dans « Parenthèse » (II, 7, I, p. 653, Folio) que « Ce livre est un drame dont le premier personnage est l’infini ». Enfin, nous serons attentifs à une lettre adressée à Frédéric Morin, datée du 21 juin 1862, dans laquelle Hugo précise ses intentions : « La destinée et en particulier la vie, le temps et en particulier ce siècle, l’homme et en particulier le peuple, Dieu et en particulier le monde, voilà ce que j’ai tâché de mettre dans ce livre, espèce d’essai sur l’infini. » Nous verrons comment cette immense fresque historique, politique et sociale, qui couvre plus de trente années, où la narration est cernée et travaillée par d'innombrables digressions, ne peut se comprendre qu’à la lumière des préoccupations métaphysiques approfondies dans cette fameuse « Préface philosophique des Misérables ». Hugo y explique en quoi son livre est « religieux », et pourquoi, « la misère étant matérialiste », il faut «que le livre de la misère soit spiritualiste ». Œuvres complètes, volume Critique, éd. Robert Laffont, coll. «Bouquins », 1985, p. 467 et 534. De quoi se défaire de quelques préjugés scolaires, qui enferment le poète dans une conception trop étroite de l'engagement, au détriment de ce qui chez lui fait oeuvre, à savoir sa «création mythologique» (titre de la thèse magistrale de Pierre Albouy), laquelle dépasse l'univocité des partis pris, même les plus nobles .


Cours d'histoire littéraire : littérature du XXe siècle / Cours sur le genre romanesque

À associer - pour le cours et pour la préparation à la dissertation - au programme de lecture des colles sur le roman.

Philippe LE GUILLOU, Le Donjon de Lonveigh, éditions Gallimard, coll. « Folio ». ISBN : 978-2070462377.

Dans Mon cœur mis à nu, Baudelaire affirme qu’« il n’y a de grand parmi les hommes que le poète, le prêtre et le soldat, l’homme qui chante, l’homme qui bénit, l’homme qui sacrifie et se sacrifie.» (Folio, p. 102). Les œuvres de Philippe Le Guillou, qui peuvent se lire comme une théorie des exceptions, en sont, d'une certaine manière, l’illustration convaincante. Ainsi, la figure du grand écrivain, avec son aura et sa part de mystère, hante Le Donjon de Lonveigh. Le narrateur qui en raconte l’histoire, critique littéraire et éditeur aux éditions Gallimard, est un lecteur admiratif et passionné qui cherche à écrire le « roman de Thomas Daigre » à partir des entretiens que celui-ci lui a accordés dans son château irlandais. Dès lors, le narrateur veut percer le secret de celui qui, peut-être compromis avec la Collaboration, quitta la France et se mura ensuite dans le silence, solitaire dans son donjon. Tout le roman est construit sur cette rencontre bouleversante, qui confronte le narrateur à la signification sacrificielle de l’acte d'écrire (l'écrivain, double de saint Sébastien percé de flèches ?), les carnets de Thomas Daigre émaillant la narration à de nombreuses reprises pour laisser entrevoir les éclats miroitants d’une œuvre étrange et méconnue, mais constamment désirable, comme l’est aussi, sans doute, pour le narrateur, Florence, la fille de l’écrivain reclus, qui peint et aime avec la même violence que celle du paysage marin, des tourbières et des loughs, dont la description lancinante renvoie aux mêmes puissances envoûtantes qui tourmentent les personnages. « Il n’est de lecture possible que poétique », écrit Thomas Daigre, dans l’un de ses carnets (Folio, p. 156). On le prendra au mot, en étant attentif à tout ce qui, dans ce roman, excède l’événement et veut atteindre au poème - et dans le poème, à la parole originelle, c'est-à-dire au mythe -, en pensant mutatis mutandis à Mallarmé, qui voyait dans le roman de son ami Rodenbach, Bruges-la-Morte, un « poème, infini par soi mais littérairement un de ceux en prose les plus fièrement prolongés. » (Lettre du 28 juin 1892), mais en n'oubliant pas non plus ce qu'a dit Remy de Gourmont du « roman éternel», conçu dès l'origine comme un poème (cf. Promenades littéraires, 7e série, 1927, où il cite, vers et prose, l'Odyssée et Don Quichotte, Wilhelm Meister et Tribulat Bonhomet, Vita nuova et L'Education sentimentale : ne peut-on pas voir là un prolongement de la conception romantique du roman également pris en charge par Philippe Le Guillou ?). Cette écriture recherche en effet par moments la « sorcellerie évocatoire » d’un lyrisme tout entier habité par « l’imaginaire du secret », pour reprendre le titre d’un livre suggestif de Pierre Brunel, le secret étant l’une des modalités de l’attente du sens et, paradoxalement, de son omniprésence, à travers les épiphanies du symbole qui travaillent le texte. On sera enfin curieux de reconnaître (hypothèses à vérifier), à travers les personnages écrivains, les figures littéraires qui ont pu en être les sources d’inspiration, sachant que le personnage n’est jamais pur mais résulte d’une combinaison complexe d'éléments hétérogènes qu’il faudra identifier (Pensons, entre autres, et pour commencer à cartographier la géographie littéraire de ce roman, à Paul Morand, André Pieyre de Mandiargues, Maurice Blanchot, Julien Gracq, Pierre Drieu la Rochelle, Henry de Montherlant... Dans son avant-propos, Philippe Le Guillou mentionne, outre Barbey d'Aurevilly et Julien Gracq, Michel Mohrt, Beckett et Kafka). Le Donjon de Lonveigh a été publié en 1991, peu après la disparition d'écrivains aussi importants que René Char, Francis Ponge, Samuel Beckett, Philippe Soupault et Michel Leiris. Philippe Le Guillou avait trente-deux ans. Il faudra situer précisément cette œuvre ténébreuse, et le charme de son style, dans la production romanesque de cette époque, dernière décennie du XXe siècle.


Réflexion sur la littérature :

Notre réflexion sur la littérature doit mettre en place ce qui est essentiel à la méthodologie des Lettres : l'initiation à la problématisation littéraire. Pour « transformer l'information en savoir» (Michel Serres), il faut apprendre à problématiser : dynamiser sa pensée par la recherche, la formulation puis la résolution de « problèmes littéraires». Ces derniers sont nombreux et sont le plus souvent tirés de l'étude spécifique des textes. Mais il en est de généraux, qui portent, par exemple, sur les genres, les mouvements littéraires et les contextes socioculturels. A chaque fois, il faudra exercer honnêtement sa réflexion pour ne pas s'en tenir aux idées toutes faites sur les auteurs et leurs oeuvres. On adoptera ainsi l'esprit provocateur d'un Paul Valéry pour déjouer ce que peuvent avoir d'abusif voire d'inexact les généralités sur les mouvements littéraires (c'est un exemple parmi tant d'autres) : « Il est impossible de penser — sérieusement — avec des mots comme Classicisme, Romantisme, Humanisme, Réalisme — On ne s’enivre ni ne se désaltère avec des étiquettes de bouteilles». Mauvaises pensées et autres (Œuvres Complètes, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade», tome 2 p. 801). Cette exigence de la pensée littéraire présidera aux trois exercices canoniques des études de Lettres : L'explication de texte (linéaire), le commentaire composé et bien évidemment la dissertation.


Nuccio ORDINE, Une année avec les Classiques, éditions Les Belles Lettres. ISBN : 978-2251445489.

Qu’est-ce qu’un « classique » ? On tâchera de répondre à cette question, avec l’aide de Nuccio Ordine mais aussi d’Italo Calvino, Pourquoi lire les classiques, (1984) et de Jorge Luis Borges qui, dans une « enquête », donne la définition suivante, non sans la passer au crible du relativisme historique : « Est classique le livre qu’une nation ou un groupe de nations ou les siècles ont décidé de lire comme si tout dans ses pages était délibéré, fatal, profond comme le cosmos et susceptible d’interprétations sans fin. (…) C’est un livre que les générations humaines, pressées par des raisons différentes, lisent avec une ferveur préalable et une mystérieuse loyauté. » « Sur les classiques », dans Enquêtes, Folio /essais, p. 251-252. Faut-il se hâter d'opposer les « Classiques » aux « Modernes » ? Dans un entretien entre Roger Caillois et Borges, ce dernier, qui a fait partie du mouvement ultraïste, à ses débuts, reconnaît avoir évolué « vers Boileau », autrement dit vers le classicisme. Caillois, d’abord surréaliste, se reconnaît également dans ce parcours. Voilà qui nous permettra de formuler le problème littéraire relatif aux tensions qui se jouent entre « l’Ancien et le Nouveau» - pour reprendre le titre de Marthe Robert -, et dont la littérature est le perpétuel théâtre. L’anthologie proposée a pour sous-titre : « Une petite bibliothèque idéale pour nous accompagner dans un voyage fascinant en littérature et en philosophie ». Il s’agit d’un recueil de citations extraites de quelques grandes œuvres de la littérature européenne, d’Homère à Gabriel Garcia Marquez, en passant, notamment, par Platon, Plaute, L’Arioste, Machiavel, Rabelais, Montaigne, Cervantès, Molière, Shakespeare, Montesquieu, Swift, Goethe, Balzac, Dickens, Zweig, Yourcenar, Borges, et d’autres encore. Chaque citation est suivie d’un petit commentaire, qui doit être considéré comme une invitation à la lecture intégrale des œuvres : une incitation à la réflexion personnelle aussi bien, qui peut prolonger voire discuter celle de Nuccio Ordine. Seront ainsi mises à l'épreuve l'humanitas et la curiositas (notion ambivalente dans l'Antiquité, prise ici in bonam partem, et définie par le studium discendi, la «passion d'apprendre» avec discernement), qui sont parmi les qualités essentielles du lettré, selon Cicéron (plus tard Sénèque également, cf. le De Otio) et surtout ses disciples humanistes de la Renaissance. Enfin, la variété des auteurs et des époques oblige à une lecture comparée, qui complètera utilement notre travail en littérature française.


Patrick DANDREY, La Fontaine ou les métamorphoses d’Orphée, Gallimard, coll. « Découvertes », 1995.

Hors-d’œuvre savoureux et suggestif, ce beau texte d’introduction à La Fontaine – superbement illustré - a pour objectif de préparer notre cours sur l’auteur des Fables mais aussi la conférence de Patrick Dandrey, qui en sera la puissante et magistrale conclusion. Sous la plume d’un savant spécialiste, nous lirons de salutaires réflexions qui remettent en question « L’enfer littéraire (…) pavé de simplifications. » (p. 14), à savoir les idées reçues et les préjugés de toutes sortes qui nous éloignent d'un si grand écrivain. Voici quelques lignes qui alimenteront notre étude et qui, je l’espère, stimuleront votre propre lecture de La Fontaine :

« La Fontaine est poète avant d’être idéologue. Cela ne l’empêche pas d’être penseur à part entière – mais en poète : penseur parce que poète, parce que le ton poétique, parce que le tour et le détour par les méandres de la musique et de l’image découvrent sur le monde un point de vue renouvelé, imprévu, incisif ou allusif, qui suggère une sagesse de derrière les apparences, une sagesse masquée. Fabuliste sans doute, mais fabuliste-poète, qui métamorphose l’apologue ésopique plutôt qu’il ne l’imite. Métamorphose : voilà où il faut toujours revenir pour comprendre La Fontaine, pour saisir sous leur diversité l’unité changeante de ses Fables et le perpétuel renouvellement de toute son œuvre. » p. 15-16.


Victor HUGO, William Shakespeare, éd. Gallimard, coll. « Folio classique », édition de Michel Crouzet. ISBN : 978-2070414659.

Comme Voltaire au siècle précédent, mais mutatis mutandis, Victor Hugo a choisi l’Angleterre pour son exil politique. Voici comment il raconte au lecteur son projet littéraire : « Un matin de la fin de novembre, deux des habitants du lieu, le père et le plus jeune des fils, étaient assis dans la salle basse. Ils se taisaient, comme des naufragés qui pensent. Dehors il pleuvait, le vent soufflait, la maison était comme assourdie par ce grondement extérieur. Tous deux songeaient, absorbés peut-être par cette coïncidence d’un commencement d’hiver et d’un commencement d’exil. Tout à coup le fils éleva la voix et interrogea le père : — Que penses-tu de cet exil ? — Qu’il sera long. — Comment comptes-tu le remplir ? Le père répondit : — Je regarderai l’Océan. Il y eut un silence. Le père reprit : — Et toi ? — Moi, dit le fils, je traduirai Shakespeare. » Conçue comme une préface à la traduction des œuvres de Shakespeare par son fils François-Victor, cette œuvre extraordinaire et démesurée développe, à partir d’une présentation personnelle de l’auteur d’Hamlet, une pensée suggestive sur les génies littéraires, l’Histoire et la Culture dans leur rapport avec la politique, et plus particulièrement avec la démocratie. Véritable philosophie de l’art, à partir d’une vaste méditation sur la création, William Shakespeare propose une généalogie commentée de la génialité artistique et de ses effets civilisateurs sur l’humanité. Avant de se demander si William Shakespeare est un manifeste romantique, comme le fait excellemment Michel Crouzet au seuil de ce livre dont il est l’éditeur (p. 7), on se laissera volontiers emporter par la prose érudite et captivante de Hugo, qui traite ici non seulement de Shakespeare mais aussi d’Homère, Job, Eschyle, Isaïe, Ézéchiel, Lucrèce, Juvénal, Tacite, Jean, Paul, Dante, Rabelais et Cervantès… On sera notamment sensible aux belles pages sur l’admiration (p. 272 et sqq.), à ce qu’il dit des grandes pièces de Shakespeare (p. 241 et sqq.), du mouvement romantique (p. 346 et sqq.), de la forme et du fond (« le fond, c’est la forme », p. 449 et sqq.), et de la nécessité d’expliquer au peuple les grands penseurs (p. 294 et sqq.)… Le cours sur Hugo puisera dans cette mine de quoi alimenter notre réflexion sur la littérature. Il faudra donc situer le traité de Hugo dans la longue suite des textes manifestes qui ont jalonné le romantisme : De la littérature, de Madame de Staël, Racine et Shakespeare, de Stendhal, la fameuse « Préface de Cromwell », de Hugo lui-même, la « Préface de Mademoiselle de Maupin », de Gautier, et l’Essai sur la littérature anglaise de Chateaubriand, pour ne citer que ces quelques titres.


Philippe LE GUILLOU, Le Déjeuner des bords de Loire, éd. Gallimard, coll. « Folio ». ISBN : 978-2070343553.

Le romancier et essayiste Philippe Le Guillou a rencontré à plusieurs reprises Julien Gracq, figure du grand écrivain aujourd'hui disparue, auteur, entre autres, d’Au château d’Argol, d’Un beau ténébreux et du Rivage des Syrtes, et dont les Œuvres complètes sont publiées dans la prestigieuse collection de « La Bibliothèque de la Pléiade », aux éditions Gallimard. Le Déjeuner des bords de Loire fait le récit émouvant des nombreuses rencontres avec cet « Allié substantiel », pour reprendre la belle formule de René Char. Si l’on apprend beaucoup sur Gracq et le génie des lieux qu’il habite, on a aussi le plaisir de suivre de belles conversations littéraires sur des sujets qui ne peuvent qu’intéresser de jeunes étudiants en Lettres : la situation de la poésie au XXe siècle, ce qui donne lieu à des aperçus d’histoire littéraire qui amènent l’auteur d'En lisant en écrivant à faire des comparaisons entre les genres, entre les siècles, et mêmes entre les écrivains (Lamartine, Hugo, Malraux) ; le surréalisme et l’admiration de Gracq pour André Breton ; le nouveau roman, avec Michel Butor, notamment ; les fondateurs de la grande revue d’avant-garde TEL QUEL et, au-dessus de cette dernière, l'incomparable NRF ; Roland Barthes, certaines de ses œuvres comme Fragments d’un discours amoureux et La Chambre claire ; mais aussi les œuvres de Gracq, au premier chef : les rapports de ce dernier avec la fiction, ce qui le fait écrire, l’espace ; son goût pour l’essai, ses idées sur les livres, la vocation de l’écrivain à partir de l’expérience de la lecture ; ses rapports avec les éditeurs, en particulier José Corti, auquel il est toujours resté fidèle ; le tableau qui a inspiré «Le Roi Cophetua», l'un des trois récits de La Presqu'île. On l’aura deviné : ce que nous dit Philippe Le Guillou de Julien Gracq est aussi l’occasion, pour l’auteur du Donjon de Lonveigh, d’évoquer discrètement son propre parcours, ce qui de l’étudiant lecteur admiratif des œuvres de Gracq l’a progressivement métamorphosé en écrivain s’adressant à un autre écrivain. C’est d’ailleurs Julien Gracq lui-même qui, par ses allusions, ses questions ou ses commentaires sur certains livres de Philippe Le Guillou, favorise ces mises au point. Sont ainsi présentées et plus ou moins commentées les œuvres suivantes, qui doivent retenir l’attention : Le Donjon de Lonveigh (au programme cette année), Le Dieu noir, Douze années dans l’enfance du monde, « apocryphe imaginaire » sur la vie du Christ, publié chez Gallimard (2000), qui sera prolongé par un Jésus, en 2002, aux éditions Pygmalion. Ce sont aussi certaines de ses lectures qui nous sont dévoilées, en particulier celle, décisive, du livre de Michel Tournier, Le Roi des Aulnes, dont il avoue qu’il fut « le grand embrasement de mon été avant la rentrée en hypokhâgne, à Rennes» (Folio, p. 49). Le Déjeuner des bords de Loire est donc une invitation à entrer en littérature par l’incarnation de la rencontre avec l’œuvre et avec l’écrivain. Il pourra inciter à une véritable réflexion littéraire, qui ne peut exister sans une authentique expérience de la lecture. Avant de prendre la littérature pour objet d’étude - et elle le sera -, le lecteur devrait pouvoir s’y abandonner, ainsi que l’explique très finement Thomas Pavel dans sa leçon inaugurale au Collège de France, Comment écouter la littérature ? (Fayard, 2006, p. 16). C'est la même conception de la lecture que défend Philippe Le Guillou dans son très bel essai sur le roman , Le Roman inépuisable (Gallimard, 2020, dès la page 16). Nous reviendrons sur ce point capital en cours.


POUR LA RENTRÉE EN SEPTEMBRE

Attention : pour la rentrée,  vous devrez avoir lu avec précision les œuvres au programme. Celle qui nous occupera dès la rentrée, après une réflexion générale sur la littérature et quelques notions d’histoire littéraire (mises en perspective), est la suivante :

LA FONTAINE, Fables, éd. Le Livre de Poche, édition de Jean-Charles Darmon et Sabine Gruffat.

La 9e édition des « Rencontres de Pierre d’Ailly », qui proposera une conférence de Patrick Dandrey, éminent spécialiste de La Fontaine, sera consacrée aux Fables et aura pour intitulé:

« La Fontaine fabuliste ou les noces de Morale et Poésie».


Consacrée au romancier et essayiste Philippe Le Guillou, la 8e édition des « Rencontres de Pierre d’Ailly», initialement prévue mardi 18 mai 2021, mais malheureusement annulée à cause de la crise sanitaire, devrait avoir lieu dans le courant de l'année scolaire 2021-2022. Nous l'espérons vivement !






Voici les œuvres sur lesquelles les colles porteront (les éditions sont au choix):

Attention bis : il faut lire ou relire dès cet été les oeuvres au programme des colles. Leur connaissance est nécessaire pour aborder la dissertation générale et l'explication de texte (qui portera, pour chaque genre, sur l'une de ces oeuvres).

Poésie: Ronsard, Les Amours (« Sonnets pour Hélène ») / Rousset, Anthologie de la poésie baroque française (à lire au CDI) : Poèmes de la partie III, 1 « L’Eau en mouvement » / Lamartine, Méditations poétiques («L’Isolement », « Le Vallon », « Le Lac ») / Baudelaire, Les Fleurs du mal («Spleen et Idéal ») / Musset, Poésies (« La Nuit de mai », « La Nuit de décembre ») / Leconte de Lisle, Poèmes barbares (« L’Ecclésiaste », «Le Combat homérique », « Le Désert », « La Panthère noire », «Le Vœu suprême », « Aux morts », « Fiat nox », «Le Vent froid de la nuit », « Aux Modernes », «Solvet seclum ») / Rimbaud, Poésies / Verlaine, Poèmes saturniens (quelques sonnets) / Eluard, Capitale de la douleur ( « La Courbe de tes yeux... », et dans Mourir de ne pas mourir : «L’Egalité des sexes », «L’Amoureuse », « Giorgio de Chirico ») / Ponge, Le Parti pris des choses / Guillevic, Terraqué (« Choses»). * ŒUVRES À LIRE POUR FIN SEPTEMBRE 2021.

Romans/Récits/Nouvelles : Guilleragues, Lettres portugaises / Scarron, Le Roman comique / Abbé Prévost, Manon Lescaut / Diderot, Jacques le fataliste / Choderlos de Laclos, Les Liaisons dangereuses (la 2e partie) / Chateaubriand, René / Stendhal, Le Rouge et le noir / Balzac, Splendeurs et misères des courtisanes (1re partie)/ Zola, La Faute de l’abbé Mouret / Alain-Fournier, Le Grand Meaulnes / Valéry Larbaud, Fermina Marquez / Mauriac, Le Sagouin / Beckett, Malone meurt * ŒUVRES À LIRE POUR LE 31 JANVIER 2022.

Théâtre : Molière, L’École des femmes, Tartuffe, Le Misanthrope / Corneille, Le Cid, Suréna / Racine, Britannicus, Andromaque, Phèdre / Marivaux, Le Jeu de l’amour et du hasard, Les Fausses confidences / Beaumarchais, Le Mariage de Figaro / Hugo, Ruy Blas, Hernani / Musset, Fantasio, On ne badine pas avec l’amour / Jarry, Tout Ubu (en particulier Ubu roi, Ubu cocu et Ubu enchaîné) / Sartre, Huis- clos / Ionesco, La Leçon, La Cantatrice chauve, Rhinocéros / Beckett, En attendant Godot / Genet, Les Bonnes. * ŒUVRES À LIRE POUR MARS 2022.

Vous pouvez compléter ce programme en piochant dans la liste LIRE EN HYPOKHÂGNE (cf. QUE LIRE ? / COMMENT LIRE ?). La composition de cette liste sera étudiée en début d'année pour problématiser les notions de genre et de chronologie littéraires.



Il est possible à tout visiteur de poster un commentaire sur un billet, ou sur une page, et d’obtenir des informations plus précises en contactant l’éditeur de ce blogue à l’adresse suivante :

Reynald-Andre.Chalard@ac-amiens.fr