Le Parnasse (1511), par Raffaello Sanzio, Raphaël (1483-1520). Musée du Vatican, Rome.


Après le Parnasse mythologique (tableau de Raphaël, où l'on peut voir, malgré tout, non loin d'Apollon, des poètes comme Dante, Homère, Virgile...), le Parnasse du XIXe siècle, dans un tableau commandé par l'éditeur des Parnassiens, Alphonse Lemerre : Paul Chabas, Chez Alphonse Lemerre, à Ville-d’Avray (1895). On y reconnaît quelques poètes parnassiens : notamment Léon Dierx, José-Maria de Heredia, Leconte de Lisle, Sully-Prudhomme...


Cours d'histoire littéraire : littérature du XIXe siècle / Cours sur le genre poétique

L'oeuvre au programme, dans l'édition demandée :

José-Maria de HEREDIA, Les Trophées, éd. Gallimard, coll. « Poésie / Gallimard ». Edition d’Anne Detalle. ISBN : 978-2070322084.


C’est très tardivement que le poète parnassien José-Maria de Heredia publia Les Trophées, en 1893, à l’apogée du symbolisme. La plupart de ses cent dix-sept sonnets avaient déjà paru dans des revues. Comment dès lors situer cette œuvre, que certains critiques ont considérée comme une petite « Légende des siècles » ? Faut-il y voir une « fête de funérailles » du Parnasse, comme l’ont affirmé de mauvaises langues ? Ou un trait d’union entre deux écoles, la parnassienne et la symboliste ? Heredia, disciple de Leconte de Lisle, chef et théoricien du Parnasse, peut être aussi considéré comme l’un de ses maîtres. Dans le cadre du cours d'histoire littéraire, on interrogera bien évidemment le rapport de ces écrivains au romantisme, en prenant au sérieux – et comme point de départ d'une analyse critique – les propos de l’éditeur Alphonse Lemerre, dans la préface de son Anthologie des poètes français du XIXème siècle, en 1887, lorsqu’il affirme que « Jamais il n’entra dans leur pensée (celle des Parnassiens) de rompre avec les romantiques, dont ils ne faisaient que polir et assouplir le vers. Aussi Victor Hugo ne compta-t-il pas de disciples plus fervents que ceux auxquels le public donna le nom de Parnassiens ! Sous cette unique dénomination, quelle liberté ! quelle variété de talent ! quelles natures diverses ! » On sera ainsi attentif à la manière, complexe, dont s’est constituée la « doctrine parnassienne » (Philippe Van Tieghem), à partir d’une opposition réelle, quoique nuancée, à Victor Hugo. L’Art pour l’Art, qui est au fondement de cette doctrine, ne caractérisait-il pourtant pas déjà certains aspects du romantisme, comme aussi le goût pour l’Histoire ? La religion de la beauté, la passion de la « forme » ciselée, qui se retrouve dans le choix du sonnet chez Heredia, l’intérêt pour les arts plastiques, avec lesquels la poésie parnassienne veut rivaliser, seront quelques-uns des éléments de réflexion du cours. Est-il besoin de préciser que ces vers, par leur perfection formelle, constituent un monument de la littérature française, où se conjuguent, avec la plus grande rigueur prosodique, l'amour de la langue et la passion de la poésie ? Pour en éprouver la fruition esthétique, il faudra faire un effort constant et patient de lecture et de diction sensibles.


Programme d’étude / Cours sur la Poésie

« Si je m’en suis tenu au sonnet, c’est que je trouve que, dans sa forme mystique et mathématique, …il exige, par sa brièveté et sa difficulté, une conscience dans l’exécution et une concentration de la pensée qui ne peuvent qu’exciter et pousser à la perfection l’artiste digne de ce beau nom. » Lettre de José-Maria de Heredia à Edmund Gosse, 1896.

TRAVAUX : les références renvoient à l’édition suivante : José-Maria de HEREDIA, Les Trophées, éd. Gallimard, coll. « Poésie / Gallimard ». Edition d’Anne Detalle p. 21-180 (corpus restreint aux sonnets).

Le programme de travail qui suit se contente d’indiquer les grandes lignes du cours et les principales préparations données aux élèves. Tous les textes proposés ci-dessous doivent être lus et médités dans la perspective de l’exercice indiqué.

1. Lectures préalables pour orienter la réflexion (voir aussi infra les « références bibliographiques »). Il convient tout d’abord de bien utiliser l’édition au programme: a) lire la préface d’Anne Detalle, p.7-20, pour connaître l’origine du mot de « Parnassien » appliqué à ces poètes, remettre en question les poncifs de l’impassibilité que la tradition leur attribue et découvrir la diversité des œuvres qui composent cette « école » (notre réflexion portera également sur ce problème littéraire) et empruntent à l’histoire comme à la philosophie ; b) consulter régulièrement le dossier, p. 227-365, pour cerner l’essentiel de la notice biographique et de la notice sur l’œuvre, mais aussi pour se reporter, à chaque fois que nécessaire, aux notes, qui permettent de préciser les sources de chaque sonnet ainsi que son orientation poétique. Ces premières connaissances glanées, il faudra s’interroger sur le titre de l’œuvre, Les Trophées, pour comprendre en quoi cette histoire poétique de l’humanité diffère de celle de Victor Hugo dans La Légende des siècles (1859), dont Théodore de Banville a dit, dans son Petit traité de poésie française (1874) qu’elle «doit être la Bible et l’Évangile de tout versificateur » (p. 2). Nous verrons d’ailleurs que Hugo n’a pas été le premier à concevoir ce type d’ « épopée poétique », qu’il faudrait sans doute, dans un premier temps, nommer « poésie légendaire » : en 1843, Auguste Barbier publie ses Rimes héroïques, qu’il prétend emprunter au grand poète italien de la Renaissance Torquato Tasso, et dans lesquelles il « chante » des personnages historiques, dont le point commun est le destin malheureux qu’ils ont eu et la sympathie qu’ils suscitent chez le poète : poésie légendaire cyclique en sonnets, comme celle de Heredia, et qui voit défiler, par exemple Geneviève de Nanterre, Roland, Le Cid, Héloïse… Le recours au sonnet présuppose une esthétique de l’achevé, contrairement à celle des longs poèmes de Hugo. On ne s’étonnera pas du goût prononcé de Heredia pour les civilisations disparues : sa formation de chartiste l’a développé très tôt, comme en témoignent les cycles historiques de ses sonnets et son intérêt pour l’épigraphie. L’érudition de ce poète en la matière sera l’occasion, pour l’Hypokhâgneux, de mettre à l’épreuve ses connaissances mythologiques et historiques, que les très nombreuses allusions poétiques des Trophées ne manqueront pas de raviver.

2. Recherches (1), comme pour Gérard de Nerval l’année dernière : Quelques recherches sur le «romantisme français » en particulier, et le romantisme européen en général s’imposent : comment caractériser le romantisme français, en précisant les influences qui l’ont constitué et le réseau d’œuvres littéraires et artistiques qui l’ont illustré ? Sans vous perdre dans l’abondance de la documentation, appuyez-vous en premier lieu sur des œuvres connues de vous pour répondre à cette délicate question, en choisissant au moins un roman, un recueil de poèmes, une œuvre dramatique et un essai, dont vous préciserez le contenu et définirez la portée. Car c’est de ce vaste mouvement que surgiront les différents groupes ou écoles de poètes du XIXe siècle. Cf. ressources du blogue des Lettres, billet du 4 mai 2020. Les travaux de contextualisation devront s’intéresser à : a) la fameuse théorie de « l’Art pour l’Art », qui a connu de nombreux prolongements dans l’école parnassienne, mais se trouve déjà problématisée chez certains romantiques, tel Victor Hugo. Certains critiques pensent que le philosophe Victor Cousin serait l’inventeur de cette formule (dans une leçon professée en Sorbonne en 1818) reprise en 1829 par Victor Hugo, puis par Théophile Gautier en 1835. On la trouve en réalité pour la première fois dans le Journal de Benjamin Constant, à la date du 11 février 1804 (Folio, p. 48) : « L’art pour l’art, et sans but ; tout but dénature l’art. Mais l’art atteint au but qu’il n’a pas. ». L’idée de l’autonomie de l’art n’est pas étrangère aux romantiques et, notamment en lisant la fameuse « Préface » du roman de Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin, il faudra voir comment cette conception esthétique a pu évoluer, au point de couper le poète de toute action – ou engagement - qui ne serait pas exclusivement en rapport avec son art. Il conviendra aussi de lire de près le poème intitulé «L’Art », de Gautier, dans le recueil qui figure au programme des khôlles cette année : Émaux et Camées (1852). b) l’esthétique parnassienne, qu’il faudra situer, pour Heredia, entre le romantisme et le décadentisme (avec le symbolisme, à proximité).

3. Recherches (2) sur José-Maria de Heredia (1842-1905) : sa vie, ses contemporains, ses familiers par affinité : notamment Leconte de Lisle, qui fut son maître, et plus tard Mallarmé, notamment. Sans oublier les hommages qu’il a rendus à Victor Hugo, on se renseignera sur des écrivains plus ou moins connus, comme Sully Prudhomme, Catulle Mendès, Anatole France ou encore Guy de Maupassant.

4. Synthèse 1. Les Trophées : le titre. Faites une recherche lexicale sur ce terme, « Trophée », dans plusieurs dictionnaires, dont le TLF et le Littré. Montrez comment il programme la lecture du recueil, en vous aidant du paratexte : épigraphe, la dédicace et surtout l’épître liminaire à Leconte de Lisle. Vous n’oublierez pas que le titre initial du recueil était Fleurs de feu, et vous tirerez parti de cette information pour nourrir votre réponse.

5. Synthèse 2 et Explication de texte 1. La composition du recueil. Comment les différents cycles sont-ils répartis ? Toutes les époques et toutes les civilisations sont-elles représentées ? En quoi la « disposition » des sonnets contribue-t-elle à présenter le recueil comme une épopée ? Justifiez vos réponses. Expliquez le sonnet liminaire intitulé « L’Oubli ».

6. Explication de texte 2. Montrez que « Némée » et « Stymphale », dans le cycle « La Grèce et la Sicile », forment un diptyque (p. 33-34). En vous appuyant sur le travail de lecture comparée des sonnets de Marbeuf, Baudelaire et Rimbaud, étudiez ces deux poèmes pour montrer, notamment, comment Heredia exploite habilement toutes les ressources du sonnet.

(...)

10. Exposés : a) Explication de texte du poème « L’Art », extrait du recueil Émaux et Camées, de Théophile Gautier, et exposé sur la théorie de « L’Art pour l’Art » ; b) L’épopée romantique - en tant que poésie légendaire - et ses origines ; c)La poésie parnassienne et l’Histoire, à travers quelques œuvres qui ont inspiré Heredia: Chateaubriand, Le Génie du Christianisme, Les Martyrs ; Vigny, Poèmes antiques et modernes, Auguste Barbier, Il Pianto et Rimes héroïques ; Leconte de Lisle, Poèmes antiques, Poèmes barbares ; Victor Hugo, La Légende des siècles, Théodore de Banville, Les Exilés… d) Les Parnassiens : des poètes anti-romantiques ?

11. Quelques références bibliographiques : I. Lectures obligatoires : a) Au CDI, la « préface » de Leconte de Lisle à ses Poèmes antiques. b) Max Milner, Claude Pichois, Histoire de la Littérature française. – De Chateaubriand à Baudelaire, GF-Flammarion : 1) « Problématique du romantisme », p. 7-17 ; 2) « Les Mouvements littéraires», p.198-216. c) Dans votre anthologie : Littérature, 150 textes théoriques et critiques, vous devez lire en priorité les chapitres suivants : « Le Langage poétique » et « Le Poète, le Moi et le Monde». Le reste sera abordé dans le cours GENRES / NOTIONS du vendredi. II. Références (principales)du cours : d)Miodrag Ibrovac, José Maria de Heredia : sa vie, son œuvre, Paris, Les Presses Françaises, 1923. e)Miodrag Ibrovac, Les sources des « Trophées », Paris, Les Presses Françaises, 1923. f) Yann Mortelette, Histoire du Parnasse, Paris, Fayard, 2005. g) José-Maria de Heredia, poète du Parnasse, sous la direction de Yann Mortelette, collection « Colloques de la Sorbonne », Paris, PUPS, 2006. h) Yves Le Hir, Rhétorique et stylistique, de la Pléiade au Parnasse, Presses Universitaires de France, 1960. i) Claude Millet, Le Légendaire au XIXe siècle, éd. Presses Universitaires de France, coll. « Perspectives littéraires », 1997. j)William Marx, Des étoiles nouvelles – Quand la littérature découvre le monde, éditions de Minuit, 2021. k)Dominique Rabaté et alii, Figures du sujet lyrique, éd. Presses Universitaires de France, coll. « Perspectives littéraires », 1996. l) Michel Collot, Sujet, monde et langage dans la poésie moderne, éd. Classiques Garnier, 2018.


« Antoine et Cléopâtre», dans le cycle « Rome et les Barbares » des Trophées. Fac-similé de l'autographe de José-Maria de Heredia. Extrait de Miodrag Ibrovac, José Maria de Heredia : sa vie, son œuvre, Paris, Les Presses Françaises, 1923, p. 292-293.


Les Origines du PARNASSE. Conférence de Pierre Grosclaude (1963). Des propositions intéressantes à situer, et éventuellement à discuter.