Théodore Gudin (1802-1880), Tempête sur les côtes de Belle-Île, 1851 - Huile sur toile, 1.32 x 2.02 m - Dépôt du FNAC, Paris au Musée des beaux-arts de Quimper. © Musée des beaux-arts de Quimper


Félicitations pour votre admission en Lettres supérieures !

Nous aborderons le programme de l'année à la lumière de cette pensée de Paul Claudel, que Le Roman inépuisable de Philippe Le Guillou nous paraît rejoindre. Philippe Le Guillou sera l'invité des prochaines Rencontres de Pierre d'Ailly, jeudi 24 novembre 2022 :

« Le but de la poésie n'est pas, comme dit Baudelaire, de 'plonger au fond de l'Infini pour trouver du nouveau', mais au fond du défini pour y trouver de l'inépuisable.»

Paul Claudel, « Introduction à un poème sur Dante» (1921), dans Accompagnements (Oeuvres en prose, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », p. 424.).


Vous avez reçu, lors de votre inscription au lycée Pierre d'Ailly, une brochure dans laquelle vous trouverez, pour chaque discipline, une bibliographie et des consignes de lecture. Après un repos bien mérité, vous aurez à cœur de faire ces lectures nécessaires pour aborder sereinement la rentrée.

Je présente ci-dessous le programme d'étude en Lettres, auquel il faudra ajouter de nombreux extraits pour chaque genre littéraire, poésie, roman, théâtre, essai et un programme de lecture pour les colles, c'est-à-dire les interrogations orales (voir ci-dessous). D'autres précisions sont données dans ma bibliographie.

Je vous souhaite de belles vacances, reposantes et studieuses !

PROGRAMME D’ÉTUDE

UN ÉTÉ AVEC PHILIPPE LE GUILLOU ET JULIEN GRACQ

A LIRE POUR LA RENTRÉE :

Réflexion sur la littérature :

Philippe LE GUILLOU, Le Déjeuner des bords de Loire, éd. Gallimard, coll. « Folio ». ISBN : 978-2070343553.

Le romancier et essayiste Philippe Le Guillou a rencontré à plusieurs reprises Julien Gracq, figure du grand écrivain aujourd'hui disparue, auteur, entre autres, d’Au château d’Argol, d’Un beau ténébreux et du Rivage des Syrtes, et dont les Œuvres complètes sont publiées dans la prestigieuse collection de « La Bibliothèque de la Pléiade », aux éditions Gallimard. Le Déjeuner des bords de Loire fait le récit émouvant des nombreuses rencontres avec cet « Allié substantiel », pour reprendre la belle formule de René Char. Si l’on apprend beaucoup sur Gracq et le génie des lieux qu’il habite, on a aussi le plaisir de suivre de belles conversations littéraires sur des sujets qui ne peuvent qu’intéresser de jeunes étudiants en Lettres : la situation de la poésie au XXe siècle, ce qui donne lieu à des aperçus d’histoire littéraire qui amènent l’auteur d'En lisant en écrivant à faire des comparaisons entre les genres, entre les siècles, et mêmes entre les écrivains (Lamartine, Hugo, Malraux) ; le surréalisme et l’admiration de Gracq pour André Breton ; le nouveau roman, avec Michel Butor, notamment ; les fondateurs de la grande revue d’avant-garde TEL QUEL et, au-dessus de cette dernière, l'incomparable NRF ; Roland Barthes, certaines de ses œuvres comme Fragments d’un discours amoureux et La Chambre claire ; mais aussi les œuvres de Gracq, au premier chef : les rapports de ce dernier avec la fiction, ce qui le fait écrire, l’espace ; son goût pour l’essai, ses idées sur les livres, la vocation de l’écrivain à partir de l’expérience de la lecture ; ses rapports avec les éditeurs, en particulier José Corti, auquel il est toujours resté fidèle ; le tableau qui a inspiré «Le Roi Cophetua», l'un des trois récits de La Presqu'île. On l’aura deviné : ce que nous dit Philippe Le Guillou de Julien Gracq est aussi l’occasion, pour l’auteur du Donjon de Lonveigh, d’évoquer discrètement son propre parcours, ce qui de l’étudiant lecteur admiratif des œuvres de Gracq l’a progressivement métamorphosé en écrivain s’adressant à un autre écrivain. C’est d’ailleurs Julien Gracq lui-même qui, par ses allusions, ses questions ou ses commentaires sur certains livres de Philippe Le Guillou, favorise ces mises au point. Sont ainsi présentées et plus ou moins commentées les œuvres suivantes, qui doivent retenir l’attention : Le Donjon de Lonveigh (au programme cette année), Le Dieu noir, Douze années dans l’enfance du monde, « apocryphe imaginaire » sur la vie du Christ, publié chez Gallimard (2000), qui sera prolongé par un Jésus, en 2002, aux éditions Pygmalion. Ce sont aussi certaines de ses lectures qui nous sont dévoilées, en particulier celle, décisive, du livre de Michel Tournier, Le Roi des Aulnes, dont il avoue qu’il fut « le grand embrasement de mon été avant la rentrée en hypokhâgne, à Rennes» (Folio, p. 49). Le Déjeuner des bords de Loire est donc une invitation à entrer en littérature par l’incarnation de la rencontre avec l’œuvre et avec l’écrivain. Il pourra inciter à une véritable réflexion littéraire, qui ne peut exister sans une authentique expérience de la lecture. Avant de prendre la littérature pour objet d’étude - et elle le sera -, le lecteur devrait pouvoir s’y abandonner, ainsi que l’explique très finement Thomas Pavel dans sa leçon inaugurale au Collège de France, Comment écouter la littérature ? (Fayard, 2006, p. 16). C'est la même conception de la lecture que défend Philippe Le Guillou dans son très bel essai sur le roman , Le Roman inépuisable (Gallimard, 2020, dès la page 16). Nous reviendrons sur ce point capital en cours.

Cette réflexion sur la littérature, qui sera poursuivie par l'anthologie des Classiques de Nuccio Ordine et la leçon d'Antoine Compagnon (cf. ci-dessous), doit mettre en place ce qui est essentiel à la méthodologie des Lettres : l'initiation à la problématisation littéraire. Pour « transformer l'information en savoir» (Michel Serres), il faut apprendre à problématiser : dynamiser sa pensée par la recherche, la formulation puis la résolution de « problèmes littéraires». Ces derniers sont nombreux et sont le plus souvent tirés de l'étude spécifique des textes. Mais il en est de généraux, qui portent, par exemple, sur les genres, les mouvements littéraires et les contextes socioculturels. A chaque fois, il faudra exercer honnêtement sa réflexion pour ne pas s'en tenir aux idées toutes faites sur les auteurs et leurs oeuvres. On adoptera ainsi l'esprit provocateur d'un Paul Valéry pour déjouer ce que peuvent avoir d'abusif voire d'inexact les généralités sur les mouvements littéraires (c'est un exemple parmi tant d'autres) : « Il est impossible de penser — sérieusement — avec des mots comme Classicisme, Romantisme, Humanisme, Réalisme — On ne s’enivre ni ne se désaltère avec des étiquettes de bouteilles». Mauvaises pensées et autres (Œuvres Complètes, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade», tome 2 p. 801). Cette exigence de la pensée littéraire présidera aux trois exercices canoniques des études de Lettres : L'explication de texte (linéaire), le commentaire composé et bien évidemment la dissertation.


Nuccio ORDINE, Une année avec les Classiques, éditions Les Belles Lettres. ISBN : 978-2251445489.

Qu’est-ce qu’un « classique » ? On tâchera de répondre à cette question, avec l’aide de Nuccio Ordine mais aussi d’Italo Calvino, Pourquoi lire les classiques, (1984) et de Jorge Luis Borges qui, dans une « enquête », donne la définition suivante, non sans la passer au crible du relativisme historique : « Est classique le livre qu’une nation ou un groupe de nations ou les siècles ont décidé de lire comme si tout dans ses pages était délibéré, fatal, profond comme le cosmos et susceptible d’interprétations sans fin. (…) C’est un livre que les générations humaines, pressées par des raisons différentes, lisent avec une ferveur préalable et une mystérieuse loyauté. » « Sur les classiques », dans Enquêtes, Folio /essais, p. 251-252. Faut-il se hâter d'opposer les « Classiques » aux « Modernes » ? Dans un entretien entre Roger Caillois et Borges, ce dernier, qui a fait partie du mouvement ultraïste, à ses débuts, reconnaît avoir évolué « vers Boileau », autrement dit vers le classicisme. Caillois, d’abord surréaliste, se reconnaît également dans ce parcours. Voilà qui nous permettra de formuler le problème littéraire relatif aux tensions qui se jouent entre « l’Ancien et le Nouveau» - pour reprendre le titre de Marthe Robert -, et dont la littérature est le perpétuel théâtre. L’anthologie proposée a pour sous-titre : « Une petite bibliothèque idéale pour nous accompagner dans un voyage fascinant en littérature et en philosophie ». Il s’agit d’un recueil de citations extraites de quelques grandes œuvres de la littérature européenne, d’Homère à Gabriel Garcia Marquez, en passant, notamment, par Platon, Plaute, L’Arioste, Machiavel, Rabelais, Montaigne, Cervantès, Molière, Shakespeare, Montesquieu, Swift, Goethe, Balzac, Dickens, Zweig, Yourcenar, Borges, et d’autres encore. Chaque citation est suivie d’un petit commentaire, qui doit être considéré comme une invitation à la lecture intégrale des œuvres : une incitation à la réflexion personnelle aussi bien, qui peut prolonger voire discuter celle de Nuccio Ordine. Seront ainsi mises à l'épreuve l'humanitas et la curiositas (notion ambivalente dans l'Antiquité, prise ici in bonam partem, et définie par le studium discendi, la «passion d'apprendre» avec discernement), qui sont parmi les qualités essentielles du lettré, selon Cicéron (plus tard Sénèque également, cf. le De Otio) et surtout ses disciples humanistes de la Renaissance. Enfin, la variété des auteurs et des époques oblige à une lecture comparée, qui complètera utilement notre travail en littérature française.


Antoine COMPAGNON, La Littérature, pour quoi faire ?, éditions Fayard, coll. «Pluriel». ISBN : 978-2818505564.

Pour préciser et approfondir la perspective d'étude de cet ouvrage, vous pouvez consulter le billet du 02 juin 2020.


Ci-dessous, accompagnant chaque oeuvre au programme, un petit commentaire qui indique sommairement l'orientation de sa prochaine étude :

Cours d'histoire littéraire : littérature du XVIIe siècle / Cours sur le genre théâtral

À associer - pour le cours et pour la préparation à la dissertation - au programme de lecture des colles sur le théâtre.

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Molière, Le Misanthrope, éd. Gallimard, coll. « Folio classique » (édition de Jacques Chupeau). ISBN:978-2070449934.

En partant des deux vers célèbres de Philinte (I, 1, vv. 105-106), qui font rimer la maladie d'Alceste avec la comédie que ce dernier joue malgré lui, selon son ami, nous mènerons notre étude selon l'axe de réflexion ainsi libellé : Représentation théâtrale de la mélancolie et critique de la raison misanthropique. De quoi Alceste souffre-t-il au juste ? D'un excès de bile noire ou d'un amour impossible ? A-t-il des raisons de ne pas suivre...la raison ? Comment faut-il donc entendre ces deux vers de rupture, en forme de pirouette, qui sonnent le glas de tout compromis : « Il est vrai : ma raison me le dit chaque jour ; / Mais la raison n'est pas ce qui règle l'amour.» (I, 1, vv. 247-248) ? Chemin faisant, nous aborderons les points suivants, que nous passerons au crible du langage théâtral : l’amour (cf. Barthes, Fragments d’un discours amoureux), la comédie (les personnages sont acteurs et spectateurs), l’ennui (lecture des Pensées de Pascal, « misanthrope sublime », selon Voltaire, à mettre en résonance avec le catalogue des vanités dressé par Alceste, cet autre « solitaire », en se gardant toutefois des équivalences faciles. On pourra ainsi discuter ce qu’un critique, Antony Mc Kenna, a affirmé au sujet d’Alceste : «Alceste est janséniste, tout comme Tartuffe était jésuite…») ; enfin l’espace représenté ou évoqué dans la pièce : le salon, la cour, le « désert »… Dans le cadre de notre approche des oeuvres dites classiques, nous essaierons de comprendre ces propos suggestifs que tenait Louis Jouvet à ses élèves, quand il voulait leur faire jouer Molière : « Si ce sont des œuvres classiques, si elles ont perduré jusqu’à maintenant, c’est à cause de cette vertu inépuisable, c’est que ce sont des pièces qu’on peut comparer à ces pièces d’or dont parle Bergson, dont on ne finit pas de rendre la monnaie. » Louis Jouvet, Molière et la comédie classique, éditions Gallimard, coll. « Pratique du Théâtre », 1965, p. 15.


Cours d'histoire littéraire : littérature du XIXe siècle / Cours sur le genre poétique

À associer - pour le cours et pour la préparation à la dissertation - au programme de lecture des colles sur la poésie.

Germain Nouveau, La Doctrine de l’Amour, Valentines, éd. Gallimard, coll. « Poésie ». Edition de Louis Forestier. ISBN : 978-2070322053.

Compagnon méconnu de Rimbaud et de Verlaine, Germain Nouveau (1851-1920) est l'auteur d'une oeuvre poétique importante, mais aujourd'hui délaissée, malgré des travaux critiques en cours, qui tentent de réhabiliter ce poète dont Aragon lui-même a dit qu'il était l'égal de Rimbaud (Les Lettres françaises, 7 octobre 1948). Des contemporains de Nouveau, avant les Surréalistes, en avaient pris conscience. Aussi partira-t-on des confidences que fit le vieux poète parnassien Léon Dierx à Apollinaire, qui les recueillit au début du XXe siècle, et les publia en 1928 dans Le Flâneur des deux rives (texte intitulé « La Cave de M. Vollard», coll. « L’Imaginaire », p. 110-112.):

«  Notre époque de prose et de science a connu les poètes les plus lyriques. Leur vie, leurs aventures constituent la partie la plus étrange de l'histoire de notre temps. Gérard de Nerval se tue pour échapper aux misères de l'existence, et le mystère qui entoure sa mort n'est pas encore expliqué. Baudelaire est mort fou, ce Baudelaire dont on connaît si mal la vie, en dépit des biographes et des éditeurs épistolaires. N’a-t-on pas parlé de ses vices et de ses maîtresses ? On assure maintenant que, dans ses Mémoires, Nadar se fait fort de démontrer que Baudelaire est mort vierge.

En ce moment même, un poète du premier ordre, un poète fou erre à travers le monde... Germain Nouveau (je souligne) quitta un jour le lycée où il professait le dessin et se fit mendiant, pour suivre l'exemple de saint Benoît Labre. Il alla ensuite en Italie, où il peignait et vivait en vendant ses tableaux. Maintenant il suit les pèlerinages et j’ai su qu'il avait passé  à Bruxelles, à Lourdes, en Afrique. Fou, c’est trop dire, Germain Nouveau a conscience de son état. Ce mystique ne veut pas qu’on l’appelle un Fou et Poverello lyrique, il veut qu’on n’emploie à son endroit que le mot Dément.

Des amis ont publié quelques-uns de ses poèmes, et comme il a renoncé à son nom, on n’a mis sur ce livre que cette indication mystique comme un nom de religion : P. N. Humilis. Mais son humilité serait choquée de cette publication, s’il la connaissait. »

Notre étude cherchera à faire découvrir ce poète rare, dont l'oeuvre nous permettra de définir quelques problèmes littéraires d'envergure, que nous ne résoudrons évidemment pas, mais qui sont au coeur des études de Lettres : a) le problème de l'édition de son oeuvre : celle de Louis Forestier, dans la collection Poésie / Gallimard, comporte des erreurs et des inexactitudes imputables aux premiers éditeurs de Germain Nouveau, qui ne voulait pas que l'on publiât quoi que ce soit de sa plume ; b) le problème posé par les manuscrits de l'oeuvre de Rimbaud intitulée Illuminations : on peut se demander s'ils ne cacheraient pas un autre auteur, qui serait Germain Nouveau lui-même. L'universitaire Eddie Breuil, spécialiste de l'édition critique et conseiller scientifique de la belle exposition organisée par la Bibliothèque Méjanes d'Aix-en-Provence en 2021 sur le poète Germain Nouveau, nous proposera une conférence sur ce thème, au mois de mai 2023, dans le cadre des LUNDIS DE PIERRE D'AILLY. Il a en effet très aimablement accepté de venir nous expliquer ses conclusions sur l'analyse des manuscrits des Illuminations, pour savoir quelle part Germain Nouveau a pu prendre à l'élaboration de cette oeuvre. Qu'il en soit d'ores et déjà vivement remercié ! c) Enfin, et dans le prolongement de ce qui précède, le problème de la place de Germain Nouveau dans l'histoire de la poésie, que nous tenterons de cerner en lisant son oeuvre à travers un ensemble de poèmes qui dessinent un parcours poétique et spirituel, et en prenant au sérieux ce qu'en dit le chef de file des Surréalistes André Breton, dans «Flagrant délit » (cf. La Clé des champs, Pauvert, 1979, p. 166.), à propos d'un faux Rimbaud publié en 1949 sous le titre La Chasse spirituelle : « Nouveau-Rimbaud : on n'aura rien dit, on n'aura rien franchi poétiquement tant qu'on n'aura pas élucidé ce rapport, tant qu'on n'aura pas dégagé le sens de la conjonction exceptionnelle de ces deux 'natures' et aussi de ces deux astres.»


Cours d'histoire littéraire : littérature du XXe siècle / Cours sur le genre poétique

À associer - pour le cours et pour la préparation à la dissertation - au programme de lecture des colles sur la poésie.

Marguerite Yourcenar, Feux, éd. Gallimard, coll. « L’Imaginaire ». ISBN : 978-2070733125.

Dans la préface, Marguerite Yourcenar présente ainsi son oeuvre, inspirée d'une situation biographique : «Produit d'une crise passionnelle, Feux se présente comme un recueil de poèmes d'amour, ou, si l'on préfère, comme une série de proses lyriques reliées entre elles par une certaine notion de l'amour.» Si l'on peut qualifier ces textes de récits, terme d'ailleurs employé par l'auteur, il faut y ajouter l'adjectif mythiques, qui permet de cerner chaque histoire, dont le personnage principal - victime de la passion : Phèdre, Achille, Patrocle, Antigone... - appartient à « la Grèce antique, sauf Marie-Madeleine, située dans ce monde judéo-syrien où le christianisme a pris forme, et que les peintres de la Renaissance et de l'ère baroque (...) ont toujours aimé peupler de belles architectures classiques, de belles draperies et de beaux nus.» Le livre faisant alterner récits et pensées détachées, il nous reviendra d'interroger ce qui, dans ce dispositif, ressortit à la poésie ou comment la recherche de l'absolu à travers le mythe actualisé fonde et nourrit le je lyrique qui tente de s'exprimer.

Marguerite Yourcenar parle de Feux, dans un entretien avec Bernard Pivot, en 1979 :


Cours d'histoire littéraire : littérature du XXe siècle / Cours sur le genre romanesque

À associer - pour le cours et pour la préparation à la dissertation - au programme de lecture des colles sur le roman.

Philippe LE GUILLOU, Le Donjon de Lonveigh, éditions Gallimard, coll. « Folio ». ISBN : 978-2070462377.

Dans Mon cœur mis à nu, Baudelaire affirme qu’« il n’y a de grand parmi les hommes que le poète, le prêtre et le soldat, l’homme qui chante, l’homme qui bénit, l’homme qui sacrifie et se sacrifie.» (Folio, p. 102). Les œuvres de Philippe Le Guillou, qui peuvent se lire comme une théorie des exceptions, en sont, d'une certaine manière, l’illustration convaincante. Ainsi, la figure du grand écrivain, avec son aura et sa part de mystère, hante Le Donjon de Lonveigh. Le narrateur qui en raconte l’histoire, critique littéraire et éditeur aux éditions Gallimard, est un lecteur admiratif et passionné qui cherche à écrire le « roman de Thomas Daigre » à partir des entretiens que celui-ci lui a accordés dans son château irlandais. Dès lors, le narrateur veut percer le secret de celui qui, peut-être compromis avec la Collaboration, quitta la France et se mura ensuite dans le silence, solitaire dans son donjon. Tout le roman est construit sur cette rencontre bouleversante, qui confronte le narrateur à la signification sacrificielle de l’acte d'écrire (l'écrivain, double de saint Sébastien percé de flèches ?), les carnets de Thomas Daigre émaillant la narration à de nombreuses reprises pour laisser entrevoir les éclats miroitants d’une œuvre étrange et méconnue, mais constamment désirable, comme l’est aussi, sans doute, pour le narrateur, Florence, la fille de l’écrivain reclus, qui peint et aime avec la même violence que celle du paysage marin, des tourbières et des loughs, dont la description lancinante renvoie aux mêmes puissances envoûtantes qui tourmentent les personnages. « Il n’est de lecture possible que poétique », écrit Thomas Daigre, dans l’un de ses carnets (Folio, p. 156). On le prendra au mot, en étant attentif à tout ce qui, dans ce roman, excède l’événement et veut atteindre au poème - et dans le poème, à la parole originelle, c'est-à-dire au mythe -, en pensant mutatis mutandis à Mallarmé, qui voyait dans le roman de son ami Rodenbach, Bruges-la-Morte, un « poème, infini par soi mais littérairement un de ceux en prose les plus fièrement prolongés. » (Lettre du 28 juin 1892), mais en n'oubliant pas non plus ce qu'a dit Remy de Gourmont du « roman éternel», conçu dès l'origine comme un poème (cf. Promenades littéraires, 7e série, 1927, où il cite, vers et prose, l'Odyssée et Don Quichotte, Wilhelm Meister et Tribulat Bonhomet, Vita nuova et L'Education sentimentale : ne peut-on pas voir là un prolongement de la conception romantique du roman également pris en charge par Philippe Le Guillou ?). Cette écriture recherche en effet par moments la « sorcellerie évocatoire » d’un lyrisme tout entier habité par « l’imaginaire du secret », pour reprendre le titre d’un livre suggestif de Pierre Brunel, le secret étant l’une des modalités de l’attente du sens et, paradoxalement, de son omniprésence, à travers les épiphanies du symbole qui travaillent le texte. On sera enfin curieux de reconnaître (hypothèses à vérifier), à travers les personnages écrivains, les figures littéraires qui ont pu en être les sources d’inspiration, sachant que le personnage n’est jamais pur mais résulte d’une combinaison complexe d'éléments hétérogènes qu’il faudra identifier (Pensons, entre autres, et pour commencer à cartographier la géographie littéraire de ce roman, à Paul Morand, André Pieyre de Mandiargues, Maurice Blanchot, Julien Gracq, Pierre Drieu la Rochelle, Henry de Montherlant... Dans son avant-propos, Philippe Le Guillou mentionne, outre Barbey d'Aurevilly et Julien Gracq, Michel Mohrt, Beckett et Kafka). Le Donjon de Lonveigh a été publié en 1991, peu après la disparition d'écrivains aussi importants que René Char, Francis Ponge, Samuel Beckett, Philippe Soupault et Michel Leiris. Philippe Le Guillou avait trente-deux ans. Il faudra situer précisément cette œuvre ténébreuse, et le charme de son style, dans la production romanesque de cette époque, dernière décennie du XXe siècle. L’auteur, qui a confiance dans « Le Roman inépuisable », ne manquera pas de nous éclairer sur les circonstances de son écriture, le 24 novembre prochain, puisqu’il sera l'invité très attendu des « Rencontres de Pierre d’Ailly » !

Le Donjon de Lonveigh, p. 43-45 :

« Le journal commençant de Thomas Daigre habiterait mon insomnie. J'étais fatigué, toujours traversé de cette même nervosité qui m'empoignait dès que je visitais Lonveigh. Tout en lisant, j'écoutais Ruhevoll de Mahler, seule musique qui parvînt, dans mes moments d'angoisse, à me rattacher à une origine, un ancrage un peu stable. (...) Je poursuivis mon exploration, écoutant Mahler jusqu'à l'obsession.»


POUR LA RENTRÉE EN SEPTEMBRE

Attention : pour la rentrée,  vous devrez avoir lu avec précision les œuvres au programme. Celle qui nous occupera dès la rentrée, après une réflexion générale sur la littérature et quelques notions d’histoire littéraire (mises en perspective), est la suivante :

Philippe LE GUILLOU, Le Donjon de Lonveigh, éditions Gallimard, coll. « Folio ».

La prochaine édition des « Rencontres de Pierre d’Ailly » (jeudi 24 novembre 2022), qui proposera une conférence de Philippe LE GUILLOU, romancier et essayiste, sera consacrée cette année encore au roman et aura pour intitulé : « Le Roman inépuisable ».

En lisant, tenez compte de ce qu’affirme Michel Collot (professeur, poète et critique) au sujet de la poésie, mais qui vaut tout aussi bien, à des degrés divers, pour la littérature en général : « Toute expérience poétique engage au moins trois termes : un sujet, un monde, un langage (…). Toute poétique devrait donc essayer de comprendre la solidarité de ces trois termes, le jeu complexe des relations qui les unissent ». La Poésie moderne et la structure d’horizon, PUF, coll. « Ecriture », 1989, « Introduction », page 5.


Voici les œuvres sur lesquelles les colles porteront :

Attention bis : il faut lire ou relire dès cet été les oeuvres au programme des colles. Leur connaissance est nécessaire pour aborder la dissertation générale et l'explication de texte (qui portera, pour chaque genre, sur l'une de ces oeuvres).

Romans/Récits/Nouvelles : Madame de La Fayette, La Princesse de Clèves / Voltaire, Candide et autres contes (Folio/Classique) / Diderot, Jacques le fataliste/ Rousseau, La Nouvelle Héloïse (la 1re partie) / Chateaubriand, René / Stendhal, Le Rouge et le noir / Balzac, Eugénie Grandet / Théophile Gautier, Le Roman de la momie / Gustave Flaubert, Madame Bovary / Barbey d’Aurevilly, L’Ensorcelée / Alain-Fournier, Le Grand Meaulnes / Julien Gracq, Au château d’Argol / François Mauriac, Un adolescent d’autrefois / Michel Tournier, Vendredi ou les limbes du pacifique / Marguerite Yourcenar, L’œuvre au noir / Richard Millet, L’Écrivain Sirieix.* ŒUVRES (au moins 1 par siècle) À LIRE POUR LE 30 SEPTEMBRE 2022.

Théâtre : Molière, Le Malade imaginaire, Tartuffe, Le Misanthrope / Corneille, Le Cid, Polyeucte, Suréna / Racine, Britannicus, Andromaque, Phèdre / Marivaux, Le Jeu de l’amour et du hasard, La Double inconstance, Les Fausses confidences / Beaumarchais, Le Mariage de Figaro / Voltaire, Zaïre / Vigny, Chatterton / Hugo, Ruy Blas, Le Roi s’amuse / Musset, On ne badine pas avec l’amour, Lorenzaccio / Sartre, Huis clos / Giraudoux, Intermezzo / Beckett, En attendant Godot / Genet, Les Bonnes / Valère Novarina, L’Acte inconnu. *ŒUVRES À LIRE POUR LE 31 JANVIER 2023.

Poésie : Du Bellay, Les Regrets (20 premiers sonnets) / La Fontaine, Fables (Livres VII et VIII) / Victor Hugo, Les Contemplations (livre premier « Aurore ») / Baudelaire, Les Fleurs du mal (« Spleen et Idéal ») / Théophile Gautier, Émaux et camées / Rimbaud, Poésies, Une saison en Enfer, Illuminations / Apollinaire, Alcools (« Zone », « Le Pont Mirabeau », « La Chanson du Mal-Aimé ») / Francis Ponge, Le Parti pris des choses (« Le Cageot », « Le Pain », « Végétation ») / Guillevic, Art poétique / Georges Perros, Une vie ordinaire. *ŒUVRES À LIRE POUR le 31 MARS 2023.

Vous pouvez compléter ce programme en piochant dans la liste LIRE EN HYPOKHÂGNE (cf. QUE LIRE ? / COMMENT LIRE ?). La composition de cette liste sera étudiée en début d'année pour problématiser les notions de genre et de chronologie littéraires.


Il est possible à tout visiteur de poster un commentaire sur un billet, ou sur une page, et d’obtenir des informations plus précises en contactant l’éditeur de ce blogue à l’adresse suivante :

Reynald-Andre.Chalard@ac-amiens.fr