Mohamed Mbougar SARR en 2018. © Melania Avanzato/Opale/Leemage.

10e édition exceptionnelle des RENCONTRES DE PIERRE D'AILLY

Conférence de Mohamed Mbougar SARR sur La Plus secrète mémoire des hommes, éditions Philippe Rey / Jimsaan (Prix Goncourt 2021), prévue JEUDI 12 MAI 2022, à 14 heures, au lycée Pierre d'Ailly, en salle Imago Mundi, à Compiègne.

Thème de cette nouvelle conférence :

« DANS LE LABYRINTHE DU ROMAN»

Mohamed Mbougar SARR est né en 1990 au Sénégal. Il a été formé au Prytanée militaire de Saint-Louis (Sénégal) et au lycée Pierre d'Ailly de Compiègne, où il a été élève en classes préparatoires aux grandes écoles littéraires (Hypokhâgne et Khâgne Lettres modernes) de 2009 à 2012. Il prépare actuellement une thèse de doctorat à l'École des Hautes Études en Sciences Sociales, à Paris. Il a reçu le prix Stéphane Hessel de la jeune écriture francophone en 2014 pour sa nouvelle intitulée « La Cale».

Il est l'auteur de quatre romans : Terre ceinte, éditions Présence africaine (Prix Ahmadou Kourouma 2015) ; Silence du choeur (2017), éditions Présence africaine ; De purs hommes (2018), éditions Philippe Rey ; et La Plus secrète mémoire des hommes, éditions Philippe Rey / Jimsaan (Prix Goncourt 2021).


Dans cette nouvelle conférence, Mohamed Mbougar SARR nous parlera de son dernier livre, qui déploie avec subtilité dans les méandres de sa narration ce qu’André Siganos appelle «L’imaginaire du labyrinthe » (Mythe et écriture.- La nostalgie de l’archaïque, Presses Universitaires de France, coll. « écriture », 1999, p. 41.). L’incipit de ce roman passionnant ne se contente pas de donner le ton, il livre également une clé de lecture qui problématise sa composition :

« D’un écrivain et de son œuvre, on peut au moins savoir ceci : l’un et l’autre marchent ensemble dans le labyrinthe le plus parfait qu’on puisse imaginer, une longue route circulaire, où leur destination se confond avec leur origine : la solitude.

Je quitte Amsterdam. Malgré ce que j’y ai appris, j’ignore toujours si je connais mieux Elimane ou si son mystère s’est épaissi. Je pourrais convoquer ici le paradoxe de toute quête de connaissance : plus on découvre un fragment du monde, mieux nous apparaît l’immensité de l’inconnu et de notre ignorance ; mais cette équation ne traduirait encore qu’incomplètement mon sentiment devant cet homme. Son cas exige une formule plus radicale, c’est-à-dire plus pessimiste quant à la possibilité même de connaître une âme humaine. La sienne ressemble à un astre occlus ; elle magnétise et engloutit tout ce qui s’en rapproche. On se penche un temps sur sa vie et, s’en relevant, grave et résigné et vieux, peut-être même désespéré, on murmure : sur l’âme humaine, on ne peut rien savoir, il n’y a rien à savoir. »

La Plus secrète mémoire des hommes, p. 15.

Métaphorisé par l’image du « cercle de solitude » (cette expression revient à la page 43), le labyrinthe ne sera donc pas seulement le mot-titre emblématique du livre mystérieux d’Elimane (Le Labyrinthe de l'inhumain), il symbolisera simultanément l’écriture du roman et sa lecture, sur le mode paradoxal de la docte ignorance, qui affirme ironiquement, dès les premières lignes, qu’ « on ne peut rien savoir » sur l’âme humaine, mais qu'il est besoin des quatre cent quarante pages suivantes pour le démontrer. Le lecteur – c’est sa seule certitude – pourra donc s’y perdre, en compagnie de l’écrivain, dont le sort, nous dit le narrateur, est strictement identique. Le pacte est conclu !

« Aventure d’une écriture » mais aussi « écriture d’une aventure » (en dépit de la brillante formule de Jean Ricardou, qui réduit le roman à la production du texte dans ses Problèmes du nouveau roman, Seuil, 1967, p. 111.), l'oeuvre de Mohamed Mbougar SARR réconcilie le roman avec lui-même, loin d'un formalisme desséchant ou amnésique, prouvant avec brio que « le fond, c’est la forme » (Victor Hugo, William Shakespeare, Folio, p. 449 et sqq.) : «une technique romanesque renvoie toujours à la métaphysique du romancier», affirmait Sartre (cité p. 49), à propos de Faulkner (cf. Situations I, coll. Idées/Gallimard, p. 86.). Or il saute aux yeux que la métaphysique de notre auteur est une métaphysique du labyrinthe : ne s'agit-il pas de questionner l'humain en cherchant à résoudre l'énigme fascinante de son épiphanie, l'inhumain, avers et revers d'une même médaille au centre de cette quête littéraire : «le lieu du plus profond mal conserve toujours un fragment de la vérité» (p. 420)? Le sujet même du livre d'Elimane, Le Labyrinthe de l'inhumain, invite à un tel questionnement (cf. pp. 49-50). Dans sa confrontation critique de la littérature africaine avec ce que Milan Kundera appelle le grand «roman européen », dans Les Testaments trahis (Folio, p. 41 et sqq.), La Plus secrète mémoire des hommes s’apparente bien à un roman labyrinthique, qui arpente toute une géographie littéraire, dont les principaux points cardinaux sont Borges, Sabato, Kundera, Gombrowicz et Bolaño, bien que ce dernier ne soit cité qu’en épigraphe – sauf erreur.

C’est pourquoi, lors de cette prochaine RENCONTRE, notre réflexion se mouvra avec curiosité et bonheur « Dans le Labyrinthe du Roman », grâce aux fils d’Ariane que Mohamed voudra bien nous donner pour comprendre ce qui se présente aussi comme l’histoire d’une vocation. Elle a commencé avec un premier ouvrage, Terre ceinte, dont il était venu nous entretenir en 2016, pour notre plus grand plaisir !


Gian Carlo Menotti, Errand into the Maze (ballet, chorégraphie de Martha Graham), New York, Ziegfeld, 28 février 1947.