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UN CLIN D’ŒIL AUX ANCIENS HK ET UN SALUT DE BIENVENUE AUX NOUVEAUX : CRITIQUE DE LA DIFFICULTÉ, DIFFICULTÉS DE LA CRITIQUE…

Dessins humoristiques de Catherine Meurisse extraits de son excellent livre Mes hommes de lettres, éditions Sarbacanne, 2008. © Catherine Meurisse et les éditions Sarbacanne.

LUNDI 4 SEPTEMBRE : ORDRE DU JOUR

Accueil des élèves à 10h15 (exceptionnellement lundi 4 /09), présentation générale par le professeur principal, coordonnateur de l'HK. Durée : à peu près une heure, sauf imprévu. Cours, selon l'emploi du temps, qui vous sera communiqué dès la première heure. Si je dispose d'autres informations, je vous les donnerai dès que possible.

* Pour le cours de Lettres : LUNDI 4 SEPTEMBRE : 09H15-12H15 (horaire habituel)

Il est nécessaire d'apporter ce jour-là la bibliographie que vous avez pu télécharger sur le site du lycée, ainsi que les œuvres au programme, dans la mesure du possible. Il est en effet impératif que tous les élèves possèdent la même édition des œuvres qui seront étudiées cette année : je voudrais m'en assurer avec vous. Même si les raisons paraissent évidentes, j'expliquerai précisément pourquoi en cours. La bibliographie sera utile pour comprendre les informations que je donnerai au sujet des khôlles : textes à lire, calendrier, organisation.

Je présenterai ensuite le programme de travail que nous suivrons cette année, ainsi que les méthodes et les exercices auxquels vous serez formés. Des textes poétiques vous seront ensuite distribués, afin de préparer à l'exercice de l'explication de texte, et donc à la première série de khôlles - qui prendra place aux mois d'octobre et de novembre.

Nous étudierons, dès la rentrée, l’œuvre de Du Bellay, Les Regrets, dans le cours d’HISTOIRE LITTERAIRE qui a lieu le lundi matin. Le cours GENRES/NOTIONS du vendredi (13h15-15h10), qui portera au début sur la poésie, encadrera jusqu’à la fin du mois de septembre notre travail sur Du Bellay, après quoi nous nous consacrerons aux Mémoires d’outre-tombe, de Chateaubriand, qui seront au centre des prochaines Rencontres de Pierre d'Ailly - avec Béatrice Didier - le jeudi 30 novembre, à l'Université de Technologie de Compiègne, amphithéâtre Colcombet (cf. Billet du 2 mai 2017).

Il sera aussi question de critique littéraire, à partir du livre L’Œil de la NRF, dont les chroniques sont autant d’exercices de lecture qui peuvent stimuler l’intelligence de tout Hypokhâgneux curieux. Tout cela vous sera bien expliqué, ne vous inquiétez pas...

Si vous souhaitez me poser une question sur ce billet ou sur tout autre chose, vous pouvez laisser un commentaire sur ce blogue. Ma réponse intéressera sans doute tous les futurs Hypokhâgneux. Si votre question est personnelle, vous pouvez m'écrire à l'adresse suivante :

Reynald-Andre.Chalard@ac-amiens.fr

Ci-dessous, le premier mouvement d'une sonate de Beethoven, dont l'énergie et l'intensité, je l'espère, vous aideront à vous forger le tempérament nécessaire à votre entrée en Hypokhâgne ! Vous trouverez également une réflexion de Valery Larbaud sur la lecture, activité fondamentale des littéraires que vous êtes. Lisez ce texte pour la rentrée, nous en reparlerons en classe. A compléter avec les billets du 27 août 2013 et du 7 juillet 2016.

A bientôt !


Beethoven, Sonate Waldstein, premier mouvement.


A lire attentivement et à méditer pour la rentrée....

Valery Larbaud, Ce vice impuni, la lecture (1936)

« Il y a l'expression d'un sentiment bien des fois éprouvé, et le résultat d'une expérience souvent faite, par beaucoup d'entre nous, dans le joli poème de Logan Pearsall Smith que voici, tel que l'a traduit Philippe Neel :

L'autre jour, accablé dans le métro, je cherchais un réconfort dans la pensée des joies réservées à notre vie humaine. Mais il n'y en avait aucune qui me parût digne du moindre intérêt ; ni le Vin, ni la Gloire ; l'Amitié ni la Mangeaille; l'Amour ni la Conscience de la Vertu. Valait-il donc la peine de rester jusqu'au bout dans cet ascenseur, et de remonter sur un monde qui n'avait rien de moins usé à m'offrir ? Mais soudain, je pensai à la Lecture, au fin et subtil bonheur de la Lecture. C'était assez, cette joie que les Ans ne peuvent émousser, ce vice raffiné et impuni, cette égoïste, sereine et durable ivresse.

Une espèce de vice, en effet, la lecture. Comme toutes les habitudes auxquelles nous revenons avec un sentiment vif de plaisir, dans lesquelles nous nous réfugions et nous isolons, et qui nous consolent et nous tiennent lieu de revanche dans nos petits déboires. Mais c'est, aussi, un vice qui nous donne l'illusion qu'il nous mène à la vertu, à une haute sagesse qu'il nous fait entrevoir. Emerson, de qui on n'attendrait pas quelque chose d'aussi grossier, a écrit: « Lisez n'importe quoi pendant cinq heures tous les jours, et au bout de peu d'années vous serez savant. » (On ne peut s'empêcher de rêver un instant au malheureux qui aurait pu suivre un tel conseil.) Nous savons bien que nous ne deviendrons pas savants à force de lire n'importe quoi, - mais nous avons un espoir, assez confus, de devenir, à force de lire, plus sages et plus heureux. Ce n'est peut-être qu'une mauvaise excuse: un nombre immense d'hommes qui ont été parfaitement sages et heureux, et un certain nombre de saints, ne savaient pas lire. C'est un vice, encore, parce que l'expérience et la statistique nous montrent que c'est une habitude exceptionnelle, anormale, comme tous les vices. L'homme normal lit par nécessité professionnelle, ou pour se distraire de ses occupations et de ses travaux ; les gens qui lisent pour le seul plaisir de la lecture et qui recherchent ce plaisir avec ardeur sont des exceptions. Le fait que presque tout le monde sait lire, et lit plus ou moins, ne doit pas nous tromper : il y a la grande majorité de ceux qui savent lire, comme ils savent monter à bicyclette, se servir du téléphone ou conduire une automobile, et il y a une minorité de gens qui sont des liseurs, comme d'autres, en minorité aussi, sont des joueurs ou des avares. Avant l'établissement de l'instruction obligatoire, la distinction était bien nette: il y avait les classes illettrées et les classes lettrées. Cette distinction peut encore se faire, non plus entre classes, mais entre individus pris dans toutes les classes ; seulement, on hésite à dire d'un homme qui sait lire qu'il est un illettré. Le mot exact nous manque. Certaines langues ont « analphabète », qui laisse la place libre à « illettré » dans le sens de non-lettré, mais qui ne voit qu'« analphabète » est destiné à disparaître bientôt avec l'espèce qu'il sert à désigner ? On cherche des tournures : «Un homme peu instruit, sans culture » ou encore « un demi-lettré » ; on peut le dire de certains hommes de métier ou d'action ; mais d'un médecin qui lit des ouvrages de médecine, d'un avocat qui lit des traités de jurisprudence, ou même d'un ouvrier électricien qui étudie les manuels de sa spécialité ? -peut-on les traiter d'illettrés parce qu'ils ne lisent pas d'ouvrages littéraires, de recueils de poèmes, ni de romans ? On évite de le faire, on esquive la fâcheuse décision, mais lorsqu'on rencontre un homme qui à force de s'adonner à la lecture est devenu possesseur d'une culture littéraire étendue, on dit: « C'est un lettré. » À quoi ce mot de lettré s'oppose, - on le tait, poliment.

On a tort. Mais ce n'est pas nous qui avons qualité pour prêcher à notre médecin ou à notre avocat les avantages et les plaisirs qu'ils retireraient de la possession d'une culture littéraire, artistique et philosophique. Tant pis pour eux s'ils n'ont pas cette culture; pour nous, l'important, c'est que le médecin nous guérisse et que l'avocat gagne notre procès. Mais il y a des gens dont la fonction consiste à prêcher cela, et à répandre le plus possible le vice de la lecture. Il y a dans chaque pays civilisé une catégorie de personnes qui sont payées pour dire aux enfants et aux jeunes gens: «En dehors et au-delà des métiers, des professions et des hautes spécialités auxquelles nous vous préparons, il existe une aristocratie ouverte à tous, mais qui n'a jamais été nombreuse en aucun temps, une aristocratie invisible, dispersée, dépourvue de marques extérieures, sans existence officiellement reconnue, sans diplômes et sans lettres patentes, et pourtant plus brillante qu'aucune autre; sans pouvoir temporel, et qui cependant détient une puissance considérable et telle qu'elle a souvent mené le monde et disposé de l'avenir. C'est d'elle que sont sortis les princes les plus véritablement souverains que l'histoire connaisse, les seuls qui, des années et dans certains cas des siècles après leur mort, dirigent les actions de beaucoup d'hommes. Vous pouvez faire partie de cette aristocratie: elle vous y invite, elle vous attend, et la seule condition qu'elle exige pour vous admettre, c'est que vous vous soyez livrés modérément et pendant des années à une certaine forme de plaisir qu'on appelle la Lecture. » Ils devraient ajouter: « Ce plaisir, comme tous les autres, attirera sur vous la désapprobation des puritains, et peut-être même des persécutions. Vos parents, s'ils vous voient lire des ouvrages qui ne peuvent pas contribuer à vous faire recevoir à vos examens et à entrer dans une carrière où vous ne leur serez plus à charge, vous reprocheront de perdre votre temps et de vous fausser l'esprit. Et nous-mêmes, qui sommes loin d'appartenir à cette aristocratie sans diplômes dont nous vous parlions, si nous surprenons entre vos mains des livres de ces prétendus écrivains, récents ou contemporains, qui ne sont pas sur nos programmes, nous vous les confisquerons, car la lecture est un vice et, comme les autres vices des enfants et des mineurs, punissable. »

Merveilleuse contradiction, inoubliable style de la vie... Mais c'est aussi sa voie détournée, sa curieuse ruse : elle élève notre vice à la dignité d'une passion. »