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Benoît Chantre au lycée Pierre d'Ailly jeudi 26 novembre 2015.

(Photos d'Amandine C. HK)


Un grand merci à Benoît Chantre, dont le généreux et très intelligent exposé, avec pertinence et finesse, a conquis tout le monde. C’était une belle performance, riche et dynamique.

Un grand merci également à tous ceux qui étaient présents pour l'écouter, HK, KH, PC, TL et quelques professeurs, «happy few», dont l'intérêt, l'attention et les questions ont fait honneur à notre conférencier.

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L'auditoire en salle Imago Mundi.


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Benoît Chantre et R. A. C.


Pour introduire la conférence (discours de présentation de Reynald André Chalard) :

Chers étudiants des classes préparatoires littéraires et scientifiques, chers élèves de Terminale Littéraire, chers collègues, chers amis,

Nous voilà réunis aujourd’hui pour la 3 e édition des « Rencontres de Pierre d’ Ailly».

Les enjeux de ces « conférences » tournent autour de la littérature, de l’expérience esthétique et éthique qu’elle nous propose, de ce qu’elle nous donne à penser de notre rapport au monde, des problématiques qu’elle permet de croiser, au carrefour de la philosophie, de l’histoire et plus largement des sciences humaines.

C’est pourquoi nous avons reçu en novembre 2013 Michel Crépu, alors directeur de La Revue des Deux Mondes et aujourd’hui directeur de la Nouvelle Revue Française, la NRF, revue des éditions Gallimard.

Et c’est Lucie-Albertini-Guillevic, qui a longtemps été la compagne du grand poète Guillevic, qui nous a fait l’amitié – en mai dernier - de venir nous parler de la poésie, rare et exigeante, de l’auteur de Terraqué. Son travail d'écrivain et d'éditrice l'y prédisposait tout autant que sa vie passée avec Guillevic.

Aujourd’hui, nous avons l’honneur et le plaisir d’accueillir Benoît Chantre, qui a eu le privilège de travailler en étroite collaboration avec celui qu’il appelle – avec autant d’affection que d’admiration, je crois – son « Maître », René Girard, dont nous avons tous appris avec tristesse la disparition le 4 novembre dernier. René Girard, qui n’est pas seulement cet immense lecteur des classiques que nos étudiants ont pu découvrir avec Mensonge romantique et vérité romanesque, mais aussi l’auteur d’une théorie, la « théorie mimétique », qui a fécondé tous les champs du savoir, de la littérature à l’anthropologie, de la philosophie à la sociologie, à la neurologie même, avec la découverte récente des « neurones miroirs », qui conforte la thèse mimétique. René Girard, dont l’œuvre s’est constamment confrontée à celle des grands penseurs, de Durkheim à Lévi-Strauss, en passant par Freud et Jean-Paul Sartre, est probablement lui-même l’un des derniers grands penseurs du XXe siècle. Aussi cette « Rencontre » lui est-elle dédiée, comprendre, analyser et discuter son œuvre étant – me semble-t-il – le plus bel hommage que l’on puisse lui rendre !

Collaborateur et spécialiste de René Girard, par conséquent, vous êtes le président de l’«Association Recherches Mimétiques », qui - vous me corrigerez, si je me trompe – est l’antenne française de la Fondation Imitatio, qui se trouve aux Etats-Unis, et dont René Girard est à l’origine. La vocation de cette fondation est de développer la recherche de la théorie mimétique et de faire connaître la pensée de René Girard, par des colloques, des conférences et des publications qui en approfondissent les aspects.

Vous êtes docteur ès Lettres, attaché également – entre autres - à la pensée de Bergson, d’Emmanuel Levinas et de Péguy, auquel vous avez consacré un livre l’année dernière – car vous êtes aussi écrivain – intitulé Péguy point final. Il est frappant de constater – quand on lit votre bibliographie – que vous aimez confronter votre propre pensée avec celles des autres, pour vous en nourrir, bien entendu, mais aussi pour provoquer cette pensée, la stimuler, la mettre en valeur, ce qui donne des livres d’entretiens qui sont de véritables dialogues, avec des auteurs aussi différents que Philippe Sollers, dans son ouvrage intitulé La Divine comédie en 2000, Jacques Julliard, dans Le Choix de Pascal en 2003 et René Girard, dont vous avez coécrit le dernier livre Achever Clausewitz. C’est un livre qui est bâti sur de longues discussions que vous avez eues avec lui et que vous avez entièrement remanié et rédigé, dit-il lui-même dans l’introduction. Il faudrait aussi mentionner les films d’entretien La Violence et le Sacré, Le Sens de l’histoire, les nombreux colloques que vous organisez, notamment à Bibliothèque nationale de France, sur René Girard ET d’autres penseurs comme Levinas, Bourdieu, Sartre, Michel Henry ; je note que vous avez participé au beau Cahier de L’Herne consacré à René Girard en 2008…

Vous êtes également directeur éditorial aux éditions Carnet Nord, où vous avez publié le fameux Achever Clauswitz, en 2007 et La Conversion de l’art, en 2008, ouvrage dans lequel vous avez rassemblé des textes de René Girard, écrits à différentes époques (certains dates du début des années 1950). C’est dire si vous avez été et êtes encore en contact permanent avec une œuvre qui manifestement vous habite et dont – je l’espère – vous nous direz le retentissement qu’elle a pu avoir dans votre vie personnelle. Je n’ai pas tout dit de vos activités, mais j’oublierais sans doute un aspect non négligeable de vos multiples occupations, si je ne mentionnais pas votre travail de dramaturge pour l’opéra et le théâtre : livret du Chant de Lune (Compiègne, 1991 ; Bourg-la-Reine, 2002) ; dramaturgie du Naufragé de Thomas Bernhard (Avignon, 2001 ; Paris, 2002) ; dramaturgies du Messie de Haendel (Théâtre du Châtelet, Paris, 2011) et du Roi pasteur de Mozart (Théâtre du Châtelet, Paris, 2014). Vous nous direz peut-être si ce goût pour un art «mimétique », au sens d’Aristote, entretient un quelconque rapport avec votre réflexion sur l’œuvre de René Girard.

Si j’ai souhaité que cette troisième « Rencontre » porte sur la pensée de celui qui se présente comme un anthropologue de la violence et du religieux, c’est en grande partie pour l’usage qu’il fait de la littérature, qu’il prend très au sérieux. Je pense au très suggestif aphorisme de Cioran : « Tant de pages, tant de livres qui furent nos sources d'émotion, et que nous relisons pour y étudier la qualité des adverbes ou la propriété des adjectifs! » Syllogismes de l'amertume (1952). Eh bien avec Mensonge romantique et vérité romanesque, publié en 1961, à une époque où le structuralisme va de plus en plus se concentrer sur le texte et sa clôture, au détriment de son ouverture sur le monde, René Girard fonde sa lecture des grands textes de la littérature mondiale sur une expérience singulière qui lui fait découvrir, notamment dans les romans, la mise en œuvre, le mécanisme et le dévoilement du « désir métaphysique », qu’il appellera le « désir mimétique », fondé sur l’imitation du désir de l’autre.

Cette expérience est donc littéraire mais elle est aussi existentielle, car René Girard affirme précisément que la littérature, la grande littérature a le pouvoir de révéler et d’approfondir notre expérience des relations humaines et du monde. Dans un article très suggestif, que l’on trouve dans La Conversion de l’art, et qui s’intitule « La Conversion romanesque : du héros à l’écrivain », René Girard dit ceci : « (…) c’est la littérature qui m’a conduit au christianisme », associant son parcours intellectuel et spirituel à celui de Saint Augustin, François d’Assise et Thérèse d’Avila, qui sont passés de la littérature – en l’occurrence pour les deux derniers, les romans de chevalerie – à la Bible et aux Ecritures chrétiennes. Mais ce qui m’a frappé, dans cet article, c’est l’autre exemple prestigieux qu’il prend pour illustrer son propos, à savoir Dante, l’auteur de la Divine comédie, qui illustre bien, selon R. Girard ce type de conversion, avec pour symbole Virgile, qui fait visiter les enfers à Enée, dans l’Enéide, et sert de guide à Dante, perdu dans sa visite de l’Enfer, symbole du péché et de son égarement spirituel. « Dante assigne à la littérature profane la fonction de nous guider à travers l’enfer et le purgatoire. », écrit R. Girard, puis, plus loin : «Dans mon cas, ce ne furent ni Virgile ni Dante qui me guidèrent à travers l’enfer, mais les cinq romanciers dont je parle dans mon premier livre : Cervantès, Stendhal, Flaubert, Dostoïevski et Proust. » Voilà des propos introductifs, qui nous permettront, grâce à vous cher Benoît, de mieux comprendre l’itinéraire de René Girard, que le titre de cette « Rencontre » tente de résumer : « Du désir mimétique à l’apologie du christianisme »...

R. A. C.


Questions à Benoît Chantre :

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Benjamin G. KH

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Amandine H. KH


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Alexandre F. KH

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Yannis A. PC


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Alexandre L. HK

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Arthur D. HK


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France A. TL


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Anaïs P. HK et Marie-Gwennaelle M. HK remettant à Benoît Chantre un livre sur Compiègne.