(c) Comédie-Française pour cette photographie de la mise scène de Bajazet par Éric Ruf, en 2017.

MERCREDI 10 JUIN, NOUS SERONS À NOUVEAU SOUS LE CHARME DES PUISSANCES DE PARIS (Jules Romains)

Cette sortie de fin d'année est, comme les précédentes, une fête de la culture et de l'amitié.

Visite du musée d'Orsay pour les Hypokhâgneux :

PROGRAMME : de l'académisme à l'impressionnisme.

Pour une présentation du musée d'Orsay, lire le billet du 1er juin 2017.


Visite du musée Guimet pour les Khâgneux :

Présentation du musée Guimet :


Comme l'année dernière, nous prendrons le temps de nous promener dans Paris : quais de la Seine, Louvre, jardins du Palais-Royal, Quartier Latin... Car il importe de profiter de cette sortie pour découvrir et admirer la «poétique» de cette ville - du moins de l'un ou deux de ses quartiers -, et devenir, l'espace de quelques heures, des «flâneurs des deux rives», à la manière d'Apollinaire ou de simples «piétons de Paris», comme Léon-Paul Fargue... Sur le Palais-Royal, ses jardins, ses arcades, et sur Diderot, qui fréquentait assidûment ces lieux, on peut lire le billet du 10 mars 2014.


PROMENADES DANS PARIS

Les artistes et les écrivains aiment Paris. Dans Le Paris des poètes et des romanciers, illustrations de René Carliez, éditions Elsevier, 1955, Jean Gallotti évoque, sur le ton de la confidence et à travers ses souvenirs personnels, son intérêt pour les lieux hantés par ses auteurs préférés. Voici comment il présente son livre. Que ses propos nous donnent envie, à travers les belles promenades littéraires qu'ils suggèrent, de mieux retourner aux oeuvres, puisque «seule l'oeuvre compte» !

«J’éprouve toujours comme un sentiment de pudeur froissée devant les études qui, sans autre but que d’amuser la curiosité, mettent à nu la vie privée des écrivains. Seule l’œuvre compte. Nous ne savons rien d’Homère, et nous n’en admirons pas moins l’Iliade.

Cependant bien des auteurs, depuis Rousseau et Chateaubriand, en publiant le récit de leur propre existence, nous y ont fait eux-mêmes pénétrer et semblent avoir autorisé la critique à l’explorer sans discrétion, ne serait-ce que pour vérifier l’exactitude de leurs confidences.

Certaines pages d’ailleurs et, plus souvent encore, certaines poésies ne sont intelligibles que pour qui sait les circonstances dans lesquelles elles ont été écrites. Ainsi de la nécessité d’éclairer l’œuvre de l’homme par sa vie nous est venue l’habitude de nous intéresser autant à celle-ci qu’à celle-là ; ce qui, dans bien des cas, ne saurait se justifier.

Nous pouvons pourtant, sans tomber dans cette erreur, nous mettre en quête d’édifices, de rues, de paysages dont il est question chez tel ou tel maître de notre littérature, afin, quand il les a décrits, de mieux juger sa manière de peindre et, s’il n’a fait que les nommer, de nous les représenter.

Je me suis, je le confesse, laissé attirer par quelques-unes des demeures où vécurent un temps Balzac, Hugo, Musset, Baudelaire, et dont ils n’ont jamais parlé. Mais la connaissance des lieux où l’ouvrage fut élaboré ajoute parfois à sa saveur et à sa portée. Les appels nostalgiques de Spleen et Idéal prennent, pour celui qui a hanté les quais déserts de l’Ile Saint-Louis, des résonances ignorées de ceux qui n’y sont point venus. Et comment les sanglots de la Nuit de Mai n’auraient-ils pas des accents plus poignants quand ils résonnent en nous au fond d’une cour silencieuse, devant les fenêtres de l’appartement familial où Musset épancha les premières blessures de son cœur d’adolescent ?

Il m’est malheureusement arrivé plus d’une fois de constater la disparition de l’objet que je cherchais ou de le trouver défiguré ou d’en voir les abords transformés de telle sorte qu’en cette inharmonie et cet isolement, il ne gardait pas plus de vertu évocatrice qu’un bibelot de vitrine.

Je n’ai pu me tenir alors de déplorer qu’on continuât à détruire ou à gâter des monuments et des sites, précieux soit par les souvenirs auxquels ils sont liés, soit par leur pittoresque, soit par le témoignage qu’ils portent des mœurs anciennes, soit par tout cela réuni.

Les nouvelles générations ne s’intéressent guère qu’au présent ou à l’avenir. Pourtant le premier n’existe pas ; de l’autre nous ignorons tout ; et c’est encore en rendant le passé présent qu’il nous est le moins difficile de croire à une réalité.

Pourquoi alors, sans prétendre arrêter la marche du monde, et dans les limites du possible beaucoup moins étroites qu’on le dit, ne pas conserver ce qu’ont édifié nos aînés, tout comme ce qu’ils ont écrit ?

Chacun des chapitres qui suivent est un regard jeté sur une parcelle de ce double héritage. Toutes les promenades s’y font sous la conduite d’un poète ou d’un romancier de Paris ; et aucune ne nous entraîne hors de cette ville. L’ensemble est loin de constituer un tout homogène et complet. Tel quel pourtant il porte le reflet des joies que Paris réserve à celui qui, pour guides, y choisit nos livres de chevêt. Ils nous en montrent les recoins les plus cachés, nous en rapportent les échos les plus oubliés. Nos émotions s’affinent en leur compagnie et nos émerveillements s’exaltent. Ils multiplient nos visions en ajoutant la foule des morts à la cohue des vivants ; ils peuplent les vieux quartiers d’habitants accordés à l’âge et au style des pierres ; avec eux nous retrouvons les bretteurs Place-des-Vosges, les petits-collets rue Saint-Sulpice, les merveilleuses au Palais-Royal, les charlatans sur le Pont-Neuf, les bateleurs boulevard du Temple et les équipages aux Champs-Élysées ; grâce à eux l’évanouissement des êtres et le lent déclin des choses s’accomplissent à nos yeux sous l’embellissante lumière de l’art et de la poésie. Ils nous offrent pour visiter la plus belle cité du monde le mode d’exploration à la fois le plus délicat et le plus enrichissant.»

Pages VII-VIII.


«(...) l'étonnant petit carrefour de la rue de la Colombe et de la rue des Ursins (sur l'île de la Cité), ses dénivellations, ses marches, sa tonnelle disparaissant sous la vigne vierge et son estaminet derrière une grille épaisse, sous une enseigne sculptée, sont un rappel de ce que devait être le Cabaret de la Pomme de Pin, où l'on nous a tant répété que Boileau aimait à boire avec Racine et Molière

(c) Jean Gallotti, Le Paris des poètes et des romanciers, illustrations de René Carliez, éditions Elsevier, 1955, p. 12-13.


Baudelaire et l'île Saint-Louis.

(c) Jean Gallotti, Le Paris des poètes et des romanciers, illustrations de René Carliez, éditions Elsevier, 1955, p. 78-79.


Rue Berton (16e arrondissement), non loin de la clinique psychiatrique du Docteur Blanche où Gérard de Nerval fut soigné.

«En proie à l'angoisse métaphysique, hanté par le besoin d'un amour idéal mais victime des plus aberrantes illusions visuelles et cérébrales, il (Gérard de Nerval) a des crises d'égarement durant lesquelles ses coutumières déambulations prennent une incohérence et une précipitation de cauchemars. Elles le conduisent, un même jour, au Cimetière Montmartre, dans les terrains vagues de la barrière de Clichy, rue de la Victoire, Place de la Concorde, rue St. Honoré, Place du Louvre et chez lui, rue du Mail. Une autre fois, nous le trouvons à Saint-Eustache, aux Tuileries, au Luxembourg, à Saint-Eustache encore et, de là, au Jardin des Plantes, au Pont-des-Arts, rue du Coq, puis au Palais Royal, au café de Foy, et enfin rue St. Honoré.»

(c) Jean Gallotti, Le Paris des poètes et des romanciers, illustrations de René Carliez, éditions Elsevier, 1955, p. 60-61.


Pensez à visiter les passages (cf. billet du 17 mai 2018, avec un texte d'Aragon, extrait du Paysan de Paris, 1926, sur le passage de l'Opéra). Pensez au passage Choiseul, dont l'entrée se trouve au 40 rue des Petits-Champs (2e arrondissement), derrière le jardin du Palais-Royal. Louis-Ferdinand Céline, auteur du Voyage au bout de la nuit (1932), y a vécu enfant de 1899 à 1907 (au numéro 64).

Voici ce qu'il en dit dans un entretien, et que l'on peut retrouver formulé différemment dans Mort à crédit (1936) ou dans D'un château l'autre (1957) :

« Moi, j’ai été élevé au passage Choiseul dans le gaz de 250 becs d’éclairage. Du gaz et des claques, voilà ce que c’était, de mon temps, l’éducation. J’oubliais: du gaz, des claques et des nouilles. Parce que ma mère était dentellière, que les dentelles, ça prend les odeurs et que les nouilles n’ont aucune odeur.» Cahiers Céline 2, p. 62

Le Passage Choiseul, en 1910.


Nous irons tous ensuite à la Comédie-Française (salle du Vieux Colombier) pour assister à la représentation de Bajazet, de Racine, dans une mise en scène d'Éric Ruf :

«Bajazet est le terrain des atermoiements de coeurs à Byzance. Éric Ruf s’empare de ce drame racinien de 1672 où le sérail du Grand-Seigneur nourrit tous les fantasmes sur le pouvoir et les passions. Les sentiments contrariés culminent au rythme des alexandrins jusqu’au dénouement sacrificiel.

Écrite en 1672 par un Racine en pleine gloire, « Bajazet » est l’une des ses pièces les plus rarement montées. S’y retrouvent pourtant tous ses thèmes privilégiés plus que dans n’importe quelle autre de ses pièces. Deux fantasmes y sont extraordinairement imbriqués, celui du gynécée, antre de l’intime féminin, et celui du pouvoir qui, porté par un être absent dont le retour est incertain, s’en trouve décuplé.

Parti assiéger Babylone, le sultan Amurat a transmis tout pouvoir à sa favorite Roxane. Suspectant l’ambition de son frère Bajazet qu’il tient enfermé au sérail, il fait envoyer à la nouvelle sultane une lettre porteuse d’un ordre de mise à mort. Par ailleurs, le grand vizir Acomat se sentant en disgrâce complote pour que Bajazet accède au trône : il tue l’esclave messager et organise une rencontre entre son protégé et Roxane afin qu’elle tombe amoureuse et lui donne le pouvoir. La princesse Atalide, qu’il prévoit d’épouser, lui sert d’intermédiaire. Tous ignorent encore l’amour secret qui unit Bajazet et Atalide depuis l’enfance.

Le sérail qu’Éric Ruf met en scène en 2017 au Théâtre du Vieux-Colombier et décrit comme le lieu du pouvoir rencontrant celui de l’intimité absolue, agit alors comme une chambre sourde : « rarement lieu de fiction aura figuré le cœur abîmé d’amour : Racine y concentre sa plume pour les errements du cœur, l’espace physique est celui du sentiment, l’architecture du sérail celle des détours intérieurs. Pas de vent tragique ici, ni de chapiteaux corinthiens, nulle mythologie mais la description plus concrète, plus narrative, des atermoiements du cœur humain ».

DISTRIBUTION :

Sylvia Bergé (Zatime)

Alexandre Pavloff (Acomat)

Clotilde de Bayser (Roxanne)

Birane Ba (Bajazet)

Bakary Sangaré. (Osmin), entre autres...

ÉQUIPE ARTISTIQUE

Mise en scène et scénographie :Éric Ruf

Costumes : Renato Bianchi

Lumières : Franck Thévenon

Son : Dominique Bataille

Maquillages  et  coiffures : Catherine Bloquère

Collaboration artistique : Claude Mathieu

Assistanat à la mise en scène : Thomas Gendronneau

Assistanat à la scénographie : Caroline Frachet

Source : Site de la Comédie-Française.


Les Hypokhâgneux se procureront la pièce de Racine dans l'édition de poche suivante , à lire pour la rentrée des vacances de Pâques :

Jean Racine, Bajazet, Le Livre de Poche, coll. «Le Théâtre de Poche», 2000, édition de Georges Forestier. ISBN-13: 978-2253060086.


Sortie organisée - chaque année depuis 2010 - par Mme Peiffert, professeur d'Histoire (musée : Orsay / Louvre), et M. Chalard, professeur de Lettres (théâtre : Comédie-Française / Odéon).


Récapitulatif des spectacles vus, depuis 2010 :

2010-2011 : Théâtre de l’Odéon, Paris : Mille francs de récompense, de Victor Hugo, mise en scène de Laurent Pelly.

2011-2012 : La Comédie-Française (salle Richelieu), Paris : Les Trois sœurs, de Tchékhov, mise en scène d’Alain Françon.

2012-2013 : La Comédie-Française (salle Richelieu), Paris : Phèdre, de Jean Racine, mise en scène de Michael Marmarinos.

2013-2014 : La Comédie-Française (salle Richelieu), Paris : Lucrèce Borgia, de Victor Hugo, mise en scène de Denis Podalydès.

2014-2015 : Théâtre du Vieux-Colombier, Paris : Le Système Ribadier, de Feydeau, mise en scène de Zabou Breitman.

2015-2016 : La Comédie-Française (salle Richelieu), Paris : Tartuffe, de Molière, mise en scène Galin Stoev.

2016-2017 : La Comédie-Française (salle Richelieu), Paris : Cyrano de Bergerac, d’Edmond Rostand, mise en scène de Denis Podalydès.

2017-2018 : La Comédie-Française (salle Richelieu), Paris : Britannicus, de Racine, dans une mise en scène de Stéphane Braunschweig.

2018-2019 : La Comédie-Française (salle Richelieu), Paris : Électre / Oreste, d'Euripide, dans une mise en scène d'Ivo van Hove.

2019-2020 : La Comédie-Française (salle du Vieux Colombier), Paris : Bajazet, de Racine, dans une mise en scène d'Éric Ruf.


Pour Bajazet


Pour la concentration


Pour la gaieté