Quatrième de couverture

«L’homme de Lascaux était un artiste de génie, la Bible est toujours vivante, la Révolution française s'approfondit, Hegel continue très étrangement d'exister, les galaxies fuient à toute allure, les marchés financiers délirent, le terrorisme fait rage, la pensée et la poésie chinoises n'ont jamais été aussi passionnantes, les dieux grecs ne demandent qu'à vous parler, une sérénité incroyable peut être trouvée. » Ph.S.


Pour introduire à la lecture de ce livre, qui est au programme des khôlles, je vous propose l'article de Jacques Drillon, dans L'OBS, et un entretien avec Philippe Sollers, qui parle lui-même de son oeuvre : MOUVEMENT, Gallimard, 2016.

En épigraphe : «Il y a une phrase de Mallarmé que j'aime beaucoup et qui dit : 'Penser est écrire sans accessoires'. La question de la technique ou de la rédaction est importante, bien sûr, mais secondairement. Le plus important, c'est la concentration mentale permanente, la rumination interne, l'attention à la façon dont le langage se formule intérieurement, et là est le travail constant sur soi.»

Philippe Sollers, «Entretien avec Irène Salas», dans Le Roman français au tournant du XXIe siècle, sous la direction de Bruno Blanckeman et alii, éd. Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2005, p. 81.


SOLLERS : HEGEL ET MOI

Par Jacques DRILLON, L’Obs du 10 mars 2016

Rien de plus jouissif qu’un Sollers réussi. Il y a des gens qui pensent tout haut, lui écrit tout bas, pour soi-même et quelques autres (Dieu reconnaîtra les siens). Son soliloque est organisé cette fois autour de l’idée de mise à plat du temps et de l’espace : cela va de Lascaux aux nanotechnologies, de Ré à Pékin. Et c’est le sens du titre : « Le mouvement est l’infini en tant qu’unité de ces deux opposés, le temps et l’espace. » C’est de Hegel. Il faut dire que Hegel est le personnage principal de ce roman ; parfois Hegel se prend pour Sollers, et parfois c’est Sollers qui se prend pour Hegel.

Donc Sollers-Hegel considère d’un seul regard le monde tel qu’il était, tel qu’il est et deviendra. C’est l’éternel retour : « Il fait chaud, ou il pleut, ou il neige. Je suis sur des skis, une luge se renverse sur moi, mais non, le soleil brille, je suis sur une plage et je nage. » Pendant ce temps-là, « vous continuez vos petites affaires, tueries, assassinats, élections ». Un thème par chapitre : coke, lumière, Fronde... Il récrit des bouts de Bible, c’est hilarant, il raconte les dernières « découvertes » de la science, c’est terrifiant.

Hegel lui tient chaud. « Je demande à Hegel de relire les Mémoires d’outre-tombe. Ça a l’air de l’embêter, mais j’insiste. » Il rêve de Lénine, parle du pape, fait un portrait de Mao, un autre de Pascal, de Hugo, le « banquier de l’absolu ». Les formules sont parfois saisissantes. Du Christ (J.-C.) : « Il a gagné la bataille du calendrier. » Sollers n’a jamais écrit aussi légèrement et aussi cruellement à la fois. Aussi gravement, parfois. Son pèlerinage à La Mecque, où il rencontre Hegel, bien entendu, est un grand morceau : « Dieu est le souverain de l’intox. » Voilà de la pensée en mouvement. Il cite, il cite, parce que toute l’histoire, tous les livres, toutes les personnes, circulent dans les veines, en un mouvement continu.

(Les poètes chinois, on en a tout de même un peu soupé, à la fin.) Tout cela est brillant, tout cela éclate de rire, tout cela s’envole joyeusement. Parfois, « Victor Hugo, furieux, tambourine dans son cercueil », car les morts sont vivants, mais n’aiment pas toujours rigoler. Face au marketing, Sollers ne rit pas : « Pendant ce temps-là, le rhinocéros de Lascaux s’éloigne, impassible. » Car Sollers-Hegel est aussi l’homme de Lascaux dans sa grotte. A la fin, Hegel« prend du papier, et écrit le titre de son roman futur : Mouvement. Ce sera une révélation pour les générations à venir ».