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Affiche du Festival des écrivains du monde : « Écrivains de l’Inde », du 17 au 21 septembre 2014 (détail d'une œuvre de Gopal Swami Khetanchi, Bani Thani, la Mona Lisa indienne).

(Source pour l'image : Le Monde.fr)

CINQUIÈME ENTRETIEN :

Sandrine P.

Ancienne Elève en Classe Préparatoire à Pierre d’Ailly, de 2010 à 2012 :

2010-2011 : Hypokhâgne.

2011-2012 : Khâgne Spécialité Lettres modernes.

Sous-admissible au concours de l’ENS Lyon Lettres et Sciences humaines, session 2012.

J'ai le plaisir d'ajouter que Sandrine a reçu en 2014 le 3e Prix de la Nouvelle de Paris III Sorbonne Nouvelle.

(http://www.univ-paris3.fr/prix-de-la-nouvelle-les-resultats-de-la-19e-edition-295281.kjsp)

1. Après l’obtention du Bac, saviez-vous à quel type d’études vous souhaitiez vous consacrer ?

Oui, j’étais déterminée à poursuivre dans la filière littéraire, et ce dès la fin de la classe de Première. Cependant, cette décision n’a pas été simple et franche. Un peu comme beaucoup d’élèves à qui l’on conseille d’opter pour un BAC S afin de ne se fermer aucune porte pour la suite, je me suis dirigée vers les sciences au lycée ; ceci, alors que j’avais déjà un faible pour les lettres, les langues et l’histoire. Je ne regrette néanmoins en rien ce parcours. Tout élève issu d’une filière scientifique a aussi sa place dans les classes préparatoires littéraires. Les enseignements scientifiques du lycée m’ont apporté clarté, rationalité et rigueur, des qualités qui sont aussi celles de tout bon littéraire.

2. Comment avez-vous découvert l’existence des classes préparatoires littéraires, Hypokhâgne (Lettres supérieures) et Khâgne (Première supérieure) ?

Cette question fait ressurgir dans mon esprit les mots de mon professeur de français en Première. Il m’avait félicité un jour pour un commentaire de texte qu’il jugeait de très bon niveau et avait alors rapidement ajouté en me rendant la copie : « vous devriez faire une khâgne ! ». Je dois avouer que je ne compris pas à ce moment-là la signification exacte de ces mots. Et honteuse de mon ignorance, je n’osai également pas lui demander. Je me suis renseignée plus tard sur ces fameuses classes préparatoires littéraires et j’ai eu l’impression que cela correspondait exactement à ce que je souhaitais faire : poursuivre des études en littérature tout en gardant une perspective multidisciplinaire à travers l’enseignement des langues, de l’histoire, de la philosophie… Je reste reconnaissante envers ce professeur qui aujourd’hui encore ne sait pas combien ses quelques mots ont été déterminants pour moi. Qui sait ? S’il ne m’avait pas soufflé l’idée, mon parcours aurait peut-être été différent.

3. Arrivée en Hypokhâgne, quelles ont été vos premières impressions ?

Ma première réaction, notamment lors des premiers cours, a été celle d’une intense satisfaction : j’avais la sensation de pouvoir enfin suivre des cours passionnants qui correspondaient à mes centres d’intérêts tout en étant dans la continuité du lycée. Néanmoins, l’exigence du parcours s’est affichée d’emblée à travers les prescriptions et conseils des professeurs : ressortaient de tous les discours de rentrée l’importance du travail, de la persévérance, mais aussi de l’implication personnelle pour réussir ces deux années. De là cette grande appréhension qui a été la mienne durant les premières semaines – celle de ne pas être au niveau, à cause de mon cursus scientifique et par rapport à d’autres déjà issus de filières littéraires. Effectivement, un court temps d’adaptation a été nécessaire. Je me souviens très bien par exemple de mes premiers cours de littérature : beaucoup d’auteurs pourtant classiques ne m’étaient pas familiers et j’avais l’impression de ne pas du tout maîtriser un certain nombre de références que le professeur tenait pour acquises. Mais au fil de lectures et avec un peu de curiosité, j’ai compris que les lacunes pouvaient progressivement – et agréablement – être comblées.

4. Quelles sont les exigences de la classe d’Hypokhâgne ? Qu’attend-on des élèves qui veulent y entrer ?

S’engager en Hypokhâgne – et en Khâgne – c’est avant tout donner de soi, intellectuellement, moralement, physiquement. Cela ne peut se faire sans un véritable intérêt pour les lettres et les sciences humaines, ni sans une réelle soif de connaissance et de perfectionnement. Ces deux ans demandent motivation, appétit intellectuel, capacité à se remettre en question et à aller de l’avant même quand on a l’impression d’être en situation d’échec. Il faut en avoir conscience, s’y préparer, certes, mais tout en sachant que la classe préparatoire, j’en suis persuadée, reste ouverte à toutes les personnalités du moment qu’elles soient prêtes à s’adapter et à évoluer, du moment qu’elles accueillent en elle l’ « esprit » de la classe prépa. Car, s’il y a bien sûr des exigences, ce sont aussi ces exigences qui nous apprennent le plus et qui modèlent notre façon de travailler et de concevoir le savoir. Ainsi, d’exigences, on arrive à parler plutôt d’aspirations au sens du tendre vers et même du désir ; il faut aspirer à réussir, aspirer à comprendre le monde des lettres – ou des sciences humaines – en cherchant toujours par-là à se dépasser soi-même. Là se trouve, je pense, la véritable qualité de tout bon hypokhâgneux.

5. Comment êtes-vous parvenue à organiser votre travail pour répondre à ces exigences ? Avez-vous rencontré des difficultés dans ce domaine ?

Déjà au lycée, j’étais d’une nature plutôt organisée et la gestion du temps n’était pas vraiment un problème : je prenais toujours de l’avance dans les devoirs et j’avais l’habitude de travailler régulièrement. La transition vers l’hypokhâgne et la khâgne ne m’a donc pas semblée brutale, loin de tout ce que laissent entendre les préjugés. Reste qu’il a fallu tout de même une adaptation de certaines de mes méthodes aux exigences de ces études littéraires. L’hypokhâgneux et le khâgneux ont une foule de choses à faire : par exemple se familiariser avec la lecture de critiques incontournables en littérature ou philosophie en plus de la lecture des œuvres au programme, savoir rédiger un commentaire ou une dissertation rapidement et efficacement, préparer les versions de langue ou apprendre chaque semaine du nouveau vocabulaire, faire des fiches au fur et à mesure pour l’histoire ou les lettres, lire des articles universitaires ou s’initier à la cartographie en géographie, tout cela tout en gardant – dans l’idéal – un rythme de travail régulier pour réviser les cours vus dans la journée, sans oublier les nombreux entrainements oraux qui sont demandés. C’est loin d’être facile ! Bien organiser son travail en prépa se résume peut-être donc à trouver, dans tout ce que l’on fait, un juste milieu : ne négliger aucune discipline tout en apprenant à faire des choix, à établir des priorités dans le travail à faire, fournir des efforts importants sans pour autant s’épuiser à la tâche, et même dans notre tâche de lecteur, ne pas lire « trop vite » ou « trop doucement » au risque de ne rien entendre, comme dirait Pascal. C’est un peu ce jeu d’équilibriste que j’ai essayé de tenir face au travail demandé.

6. Certains prétendent que la classe préparatoire est un « enfer »… Qu’en pensez-vous ?

Dans la philosophie hindouiste, l’enfer ou « naraka » n’est pas un Enfer éternel comme on le conçoit dans la pensée chrétienne mais un espace, qu’il soit réel, mental ou symbolique, temporaire, certes difficile à vivre, mais dans lequel les âmes sont promises à une renaissance plus belle dans le monde humain si elles savent se montrer méritantes. Si éventuellement, la classe préparatoire est considérée par certains comme un « enfer », j’aurais tendance à l’associer plutôt à cette image. Il y a sans doute des moments difficiles, parfois de découragement, durant ces deux années, mais j’ose dire que l’issue du parcours nous promet une re-naissance épanouie au monde, du moins un réel enrichissement. Personnellement, ces deux années ont été loin des stéréotypes associés par beaucoup, sans doute par méconnaissance, à l’univers de la prépa – « on n’a plus de vie à côté », « trop de compétition » - ; au contraire, durant ces deux années, je me suis épanouie dans mes études tout en continuant à pouvoir consacrer du temps à faire ce que j’aimais le weekend, et en pouvant compter sur des rencontres inoubliables. Beaucoup même quittent le lycée Pierre d’Ailly et son équipe de professeurs la larme à l’œil, ou en restent, longtemps après, nostalgiques…



7. Que vous ont apporté vos deux ans de prépa ?

Mes deux années de prépa représentent pour moi les deux années où j’ai forgé ou renforcé une bonne part de ce que je suis aujourd’hui. Elles m’apparaissent comme des piliers, des fondements à l’édifice personnel qui ne cesse de se construire depuis. On y apprend beaucoup de soi à travers des rencontres humaines marquantes, tandis que la fréquentation par les livres des Grands lettrés, figures historiques ou philosophes nous enseigne l’honnêteté et l’humilité face au savoir. Ce sont aussi deux années qui m’ont donné envie de transmettre, comme mes professeurs, ce qui me passionnait et qui m’ont aussi engagée à me questionner sur la place du savoir aujourd’hui et sur ce que les mots, la littérature ont à dire sur le monde. Plus concrètement, ces années m’ont appris à travailler vite et bien, qualités qui souvent font la différence lors des examens, à m’intéresser à des disciplines différentes et à savoir faire des liens entre elles, à miser sur l’endurance plutôt que sur le sprint dans tout objectif, à faire preuve de sens critique, et à « problématiser » pertinemment, que ce soit pour une dissertation, un commentaire de texte ou tout simplement dans la compréhension de la société qui nous entoure.

8. Pourquoi avez-vous choisi le lycée Pierre d’Ailly, à Compiègne ? Quels sont, d’après vous, ses atouts ?

Avant de choisir Pierre d’Ailly, j’avais visité plusieurs lycées parisiens lors de leurs Journées Portes Ouvertes sans grand enthousiasme ou du moins avec une satisfaction en demi-teinte. Le lycée Pierre d’Ailly, que j’ai vu en dernier, m’a frappée par son cadre agréable mais surtout par l’atmosphère « familiale » qui s’en dégageait. Pour cause, on y bénéficie d’un enseignement à taille humaine et surtout d’une équipe de professeurs remarquables, passionnés, et toujours disponibles pour nous aider. Certains impressionnent par leur savoir, d’autres marquent l’esprit par leurs méthodes, la plupart nous touchent par leur amour de la transmission et leur volonté de voir leurs élèves réussir. Les infrastructures du lycée sont également des atouts indéniables. L’internat, d’une part, donne un bon cadre de travail dans l’entraide et la proximité, et évite de perdre du temps dans les transports. Souvent les internes peuvent travailler ensemble ou simplement profiter d’une « deuxième famille » lors des moments de découragement, ou pour partager les réussites ! Le lycée possède d’autre part un CDI extrêmement bien fourni, avec des salles réservées aux prépas permettant le travail en groupe. Sans oublier le parc de l’établissement et sa verdure réconfortante quand comme Rousseau il nous prend parfois l’envie de rêver en solitaire.

9. Où en êtes-vous de vos études aujourd’hui ? Quels sont vos projets ?

Après mes deux ans en classe préparatoire, j’ai poursuivi mes études en double licenceLettres modernes et Anglais – à la Sorbonne Nouvelle car je souhaitais conserver plusieurs cordes à mon arc. J’ai ensuite opté pour un Master Recherche car, malgré mon désir d’être professeur, je ne voulais pas immédiatement me spécialiser par un Master Enseignement. L’université de la Sorbonne Nouvelle a le mérite de proposer un Master en Littérature Générale et Comparée, qui m’a permis d’élargir le champ de la littérature à des espaces géographiques et disciplinaire plus larges que ne me l’aurait permis un cursus en Lettres modernes normal. J’y ai retrouvé une possibilité multidisciplinaire qui m’avait déjà été offerte par l’hypokhâgne et la khâgne à Pierre d’Ailly. Cela m’a donné l’occasion de revenir sur mes origines indiennes et de rédiger pour mes recherches deux études comparatives croisant auteurs français et indiens autour de perspectives historiques et littéraires. C’est là que je me suis aussi appuyée sur ma capacité à lire et à écrire en langue originale le tamoul pour traduire un roman du Sud de l’Inde en français. Parallèlement à mon cursus en Master, j’ai aussi eu l’occasion d’exercer comme professeur de lettres vacataire dans un lycée, ce qui a confirmé mon envie d’enseigner, et j’ai préparé en candidate libre le CAPES de Lettres modernes que j’ai réussi, sans aucun doute grâce aux bases qui m’avaient été données par les professeurs à Pierre d’Ailly, que je remercie !

Cette année, je suis en report de stage pour préparer l’Agrégation de Lettres modernes, un concours difficile et exigeant qui me donne l’impression de retourner en classe préparatoire. Je suis également chargée de cours de langue et littérature tamoules à l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales (INALCO). J’ai plusieurs projets en tête outre une carrière dans l’enseignement des lettres dans laquelle je commence à avoir un pied : j’aimerais, si j’y arrive, continuer à faire de la traduction d’œuvres tamoules vers le français pour faire connaître des littératures méconnues en France, concrétiser un jour des projets d’écriture – commencés aussi durant mon Master –, et si possible poursuivre dans ces mêmes préoccupations doubles entre littérature française et littérature indienne. J’ai donc encore de quoi m’occuper pour longtemps !

10. Quel(s) conseil(s) donneriez-vous aux nouveaux Hypokhâgneux, ainsi qu’à ceux qui se demandent s’ils feront ou non ce choix en 2016 ?

Lancez-vous. Avant tout, et notamment au lycée Pierre d’Ailly, il s’agira pour vous d’une aventure humaine dans laquelle on entre parfois avec peur mais d’où l’on ressort grandi – c’est le cas de tous les anciens –, plus passionné qu’on ne l’était, et reconnaissant. On y donne de soi, beaucoup même, mais cet enseignement nous répond par des fruits certains que l’on récolte tôt ou tard dans notre parcours. Futurs hypokhâgneux, n’hésitez donc pas, vous n’avez absolument rien à perdre ; allez-y avec votre personnalité, vos propres désirs de connaissance et du courage. Vous trébucherez parfois, avancerez à tâtons et dans l’obscurité d’autres fois, vous serez aveuglés souvent, mais sachez toujours que la lumière, celle que vous parviendrez bientôt à contempler, n’est pas bien loin…