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(Avec l'autorisation des éditions Gallimard)


«Toute fleur n’est que de la nuit

qui feint de s’être rapprochée

Mais là d’où son parfum s’élève

je ne puis espérer entrer

c’est pourquoi tant il me trouble

et me fait si longtemps veiller

devant cette porte fermée

Toute couleur, toute vie

naît d’où le regard s’arrête

Ce monde n’est que la crête

d’un invisible incendie.» (1)

«Airs», dans Poésies, 1946-1967, préface de Jean Starobinski, Poésie / Gallimard, n° 71, 1971, p. 108.

(1) Les paramètres de ce blogue ne me permettent pas de respecter la disposition strophique de ce poème.


«Ou elle (la poésie) est ornement, ou elle devrait être intérieure à chacun de ces gestes ou actes (de la vie quotidienne) : c’est ainsi que Simone Weil (1) entendait la religion, que Michel Deguy (2) entend la poésie, que j’ai voulu l’entendre. Reste le danger de l’artifice, d’une sacralisation ‘appliquée’, laborieuse. Peut-être en sera-t-on réduit à une position plus modeste, intermédiaire : la poésie illuminant par instants la vie comme une chute de neige, et c’est déjà beaucoup si on a gardé les yeux pour la voir.»

La Semaison, Gallimard, 1979, p. 121.

(1) Philosophe française : 1909-1943.

(2) Poète contemporain né en 1930.


Philippe Jaccottet a lui-même choisi les œuvres rassemblées dans ce volume, y recueillant tout ce qu’on pourrait qualifier d’écriture «de création» et laissant de côté son travail de critique et de traducteur, ainsi que certains textes de circonstance liés à des voyages ou à des hommages ; il a veillé à ce que ses livres apparaissent selon la chronologie de leur publication initiale, qui était jusqu’alors parfois masquée par des regroupements éditoriaux ultérieurs.

Recueils de poèmes et livres de prose alternent d’abord, bientôt ponctués à intervalles plus ou moins réguliers par les notes de carnets qu’égrènent les différentes livraisons de La Semaison. Retrouvant leur titre unique, celles-ci sont ici restaurées dans toute la cohérence de leur projet et complétées par les Observations, 1951-1956, longtemps inédites et qui sont comme l’amorce de ces semences littéraires rassemblant choses vues, choses lues et choses rêvées.

L’évolution des poèmes est frappante : des sonnets rimés de L’Effraie (1953) aux pièces brèves et épurées d’Airs (1967) se fait sentir l’influence des révélations majeures que furent les paysages de Grignan et les haïku japonais. Par les chants plus tourmentés des livres de deuil qui se succèdent ensuite, de Leçons (1969) à Pensées sous les nuages (1983), le poète tente de maintenir le flux des mots malgré la mort qui semble faire vaciller jusqu’au langage. À partir de Cahier de verdure (1990), proses poétiques et vers se mêlent au sein d’un même recueil. Une forme éminemment personnelle s’invente, se concentrant sur les éclats de joie épars dont il s’agit de restituer la lumière.

Comment embrasser à la fois le clair et le sombre, le grave et le léger, le tout et le rien? L’œuvre de Jaccottet s’impose par l’exigence de sa quête, la pureté rayonnante et sans affectation de son chant – «L’effacement soit ma façon de resplendir», écrivait-il dès L’Ignorant (1957). Sans céder jamais à l’épanchement, se refusant autant au nihilisme qu’à l'exaltation – à «l’écœurant brouillard d’un certain lyrisme» –, elle trouve certes dans la beauté subtile et poignante de la nature – lumière d’hiver, vergers en fleurs – une réponse vitale à la violence du monde et au désenchantement. Mais cette beauté n’a rien d'un refuge éthéré ; elle est comme une lame qui permet de creuser dans l’opaque. Cette poésie, nourrie d’ombre, s’écrit avec le vide et contre lui.

Source : http://www.la-pleiade.fr/Catalogue/GALLIMARD/Bibliotheque-de-la-Pleiade/OEuvres90


En personne, une émission (un peu ancienne mais très édifiante) consacrée à Philippe Jaccottet et réalisée par Liliane Annen. Descriptif sur le site de RTS :

En 1972, l'émission En personne marche dans les pas du poète Philippe Jaccottet installé à Grignan dans le sud de la France. L'on y découvre ainsi un Jaccottet intime, entouré de sa famille, de ses amis, d'intellectuels proches de son oeuvre qui dressent le portrait de l'homme et de l'écrivain.

Et Philippe Jaccottet livre avec conviction ce qui fait le secret de la poésie: un poème est "de tels accords de sonorités, de pensées, d'images, de sons, de sentiments et de sensation, si merveilleusement combinés qu'ils attestent -contre les conditions les pires- qu'il peut y avoir pour l'homme une espèce d'ordre caché, d'ordre secret du monde".

Source : http://www.rts.ch/archives/tv/culture/en-personne/3992144-philippe-jaccottet.html


Les moments intéressants de l'émission :

  • Présentation de Philippe Jaccottet par Gustave Roud (début).
  • Philippe Jaccottet répond aux questions suivantes : - Qu'est-ce qu'un poème ? Exemple du poète russe Ossip Mandelstam qui, parce qu'il avait écrit un poème contre Staline, fut déporté en Sibérie et en mourut. - Pourquoi la poésie a-t-elle si peu de lecteurs ?
  • Différence entre la poétique de René Char et celle de Philippe Jaccottet.
  • La double activité de Philippe Jaccottet : traducteur et poète.
  • Poésie et paysage. Présence discrète d'Anne-Marie Jaccottet, qui accompagne le poète de son regard de peintre.
  • La poésie et la mort.
  • La poésie et le sacré.
  • Ce que peut la parole poétique : commentaire de Jean Starobinski.
  • La poésie et l'inconnu.

Vous entendrez également dans cette émission la fameuse ritournelle instrumentale de L'Orfeo (1607) de Claudio Monteverdi et la «Cantilena» de la Sonate pour flûte et piano (1956-1957) de Francis Poulenc.