Dictionnaire Académie française

Je vous demande de réfléchir aux remarques sur la langue française que ces deux articles, ci-dessous, développent d'un point de vue normatif. Connaître les règles de la grammaire et le bon usage est un impératif catégorique. Cela permet d'opposer la justesse de la langue, nécessaire dans les travaux écrits (et à l'oral), à la tyrannie des parlures contemporaines. Nous en avons déjà traité en cours, et nous y reviendrons, pour discuter de ces deux textes . Nous évoquerons la tradition des « remarqueurs», que Vaugelas a inaugurée en 1647 avec ses Remarques sur la langue française, et nous insisterons sur l'intérêt d'associer à la connaissance rigoureuse de la norme une réflexion «critique» sur l'histoire de la langue.

Point bibliographique :

  • La grammaire de Roland Eluerd, que vous possédez déjà.
  • Riegel, Martin et alii, Grammaire méthodique du français, Presses Universitaires de France, coll. « Linguistique nouvelle».
  • Wilmet, Marc, Grammaire critique du français (5e édition), De Boeck et Duculot, 2010.
  • Hagège, Claude, Le Français, histoire d'un combat, Librairie générale française, 1998 (Livre de Poche).
  • Huchon , Mireille, Histoire de la langue française, Librairie générale française, 2002 (Livre de Poche).
  • Borer, Alain, De quel amour blessée : Réflexions sur la langue française, Gallimard, 2014.
  • Delacomptée, Jean-Michel, Notre langue française, Fayard, 2018.

POUR EN FINIR AVEC L'EXPRESSION « AU FINAL »

Chronique. « Au final » est une mauvaise traduction du latin ou de l'anglais, presque aussi insupportable que l'immonde « finaliser »

M le magazine du Monde 07.02.2014

Par Didier Pourquery, journaliste

« Au final, il est parti avec cette p... et moi, je me retrouve toute seule comme une c... dans notre appart. » Cette confidence partagée par une jeune femme au téléphone dans le métro avec sa copine (et l'ensemble du wagon) me fait penser que cette expression a de nos jours progressivement pris place au début de nombreuses phrases. Bien sûr, on se souvient de la rappeuse Diam's susurrant dans son émouvant morceau de 2009 Si c'était le dernier : « Au final, c'est toujours les mêmes, toujours les vrais qui me soutiennent. Ceux-là mêmes qui m'aiment, que je pleure de rire ou de peine. » Cette phrase est devenue depuis une citation quasi littéraire sur les blogs d'adolescentes. Et les forums de discussion des sites féminins regorgent aujourd'hui de « au final », pour parler d'histoires d'amour qui finissent mal, en général, comme dans la conversation volée citée plus haut.

Mais quand on fouille un peu la presse on s'aperçoit que cette expression, jugée fautive par l'Académie française, s'est imposée dès le début du XXIe siècle. Dans les traductions d'abord, comme souvent : ainsi dans une interview de Ben Harper parue dans L'Express, en février 2003, le journaliste lui fait dire, en français : «Au final, je joue du folk » (« In the end... »). Dix ans plus tard, l'affaire est entendue, et les sportifs au micro des reporters ont ajouté cette expression à leur panoplie de clichés. Un seul exemple, attrapé dans l'excellent gratuit 20 minutes : « Au final, je me suis fait avoir », déclare le volleyeur Cédric Hominal après un transfert malheureux. Et qu'on ne s'imagine pas qu'il s'agit de dérapages verbaux populaires. Quand le préfet de l'Oise explique au Parisien, le 26 octobre 2011 : « Au final, je trancherai », il ne fait que reprendre une tournure utilisée abondamment par les journalistes ; certains écrivant même pour de grands journaux que je ne citerai pas.

Que reproche-t-on à « au final » ? D'être une mauvaise traduction du latin in fine ou de l'anglais (in the end, at the end of the day, etc.) ? D'être construite par analogie à « au total » – l'expression fétiche des instituts de sondage et de leurs commentateurs ? Pas vraiment. On estime, à juste titre, que c'est une faute de grammaire, un bricolage qui fait de l'adjectif « final » un substantif. Oui, « final » est un adjectif, comme dans « point final » et « lutte finale ». Et qu'on ne vienne pas m'opposer le nom commun (italien) finale qui désigne le morceau qui termine une oeuvre musicale. Qui peut croire à ce glissement du vocabulaire mélomane vers le parler de tous les jours ? Ou à un import sauvage de la « finale », toujours au féminin, qui parle d'épreuve sportive ? Ainsi le Super Bowl, point final de la saison de football américain, est-il la finale du championnat.

Soyons positif : « au final » en français se dit, au choix : finalement, pour finir, en dernier lieu, en dernière analyse, en fin de compte, au bout du compte, en définitive... Une fois encore, la palette est large. Le français est une langue épatante pleine de nuances et de possibilités.

Et pour finir, profitons-en pour faire un sort à l'immonde « finaliser », anglicisme utilisé depuis les années 1980 pour signifier la mise au point définitive, l'action de terminer un travail, d'y mettre la touche finale. Même chose pour finalisation. Aux chercheurs de poux dans la tête qui me feront remarquer qu'en philosophie « finaliser » existe, par exemple chez Jacques Maritain et son Humanisme intégral de 1936, je répondrai qu'il l'utilise dans le sens d'assigner un but, une finalité. Idem pour les grands auteurs de la cybernétique qui décrivaient des systèmes finalisés (orientés vers une fonction déterminée). Arrêtez de finaliser, à la fin !


L'EXPRESSION «DE PAR» EST-ELLE VRAIMENT À BANNIR ?

Par Alice Develey, journaliste

Le Figaro

Publié le 27/04/2017

ORTHOGRAPHE - « Il a réussi de par son seul nom de famille » ou « Il a réussi par son seul nom de famille » ? La formule vieillie refait florès. Mais est-il vraiment toujours correct de l'employer ? Le Figaro revient sur son bon usage.

«Elle était connue de par son titre», «De par leur histoire, on peut dire que...», «le sort du chêne est préoccupant de par son rôle structurant», écrivait encore ce 18 avril La Voix du Nord. Les exemples sont nombreux et éloquents. La locution «de par» a peu à peu remplacé ses prétendus équivalents «du fait», «étant donné» à l'oral comme à l'écrit. Pourquoi cette dérivation? Est-il vraiment toujours incorrect de l'employer? Le Figaro revient sur son bon usage.

À l'instar des formules «au final», «à la base» ou de la non moins jolie expression «littéralement», la locution «de par» n'est pas aussi incorrecte qu'elle n'y paraît, ce bien qu'Internet puisse avec beaucoup de véhémence prétendre le contraire. «De par» est en réalité inexactement employé.

● «De par» ou «du fait de» ?

Apparu pour la première fois en France au XIIe siècle, nous indique le CNRTL, «de par» s'utilise dans deux formules bien précises. Il se rencontre par exemple dans les locutions vieillies «de par le roi» et «de par la loi» prises dans le sens de «par la volonté de» ou «au nom de». Mais également nous rappelle l'Académie française dans sa rubrique Dire/ Ne pas dire , dans l'expression «de par le monde» comme un équivalent d'«en quelque endroit du monde». Qu'en est-il alors de cette étrange formulation «de par» employée comme synonyme de «du fait de»? Selon le CNRTL, la locution serait venue d'une altération de la formule «de la part de». De quoi la bannir? Pas vraiment selon le thésaurus qui ne fait nulle part mention d'un avertissement concernant le bon usage de l'expression.

Toutefois du fait des règles restrictives de la locution, précisent les sages, il est préférable de ne pas l'employer dans la vie quotidienne. Préférons donc la simplicité au risque de passer pour un cuistre et écrivons: «Il a réussi par son talent» et non «Il a réussi de par son talent».