Signature de Molière

La problématique est une étape essentielle de tout devoir dissertatif : composition française (ou dissertation) mais aussi commentaire composé, qui doit organiser dans une synthèse démonstrative les éléments importants d’une explication de texte.

La récente correction du commentaire composé de la première scène du Misanthrope a révélé une incapacité générale à formuler ce qui doit justifier le plan proposé et commander tout le devoir. Rappelons que la problématique n’est pas réductible à une question, forme trop souvent simpliste d’une proposition d’analyse qui enferme le texte dans des lieux communs (valables pour n’importe quel passage de l’œuvre) ou dans une question de cours. Or chaque texte est singulier.

Si l’on s’interroge, à juste titre, sur le comique d’Alceste, il ne faut pas que l’étude plaque des généralités sur un personnage dont on ignorerait (ou feindrait d’ignorer) qu’il est un grand seigneur, et que sa misanthropie ne fait pas toujours rire, en particulier dans cette première scène, qui «expose» avec brio les contradictions de «l'homme aux rubans verts» (Molière ne donne pas à sa pièce les critères esthétiques qu’Aristote définit dans sa Poétique, où ce dernier affirme que la comédie est une imitation « d'hommes bas », « vulgaires » ou « sans grande vertu »). Ce «caractère » (Alceste) est complexe, et il est nécessaire de ne pas l’oublier.

La problématique doit donc être conçue comme un questionnement plutôt que comme une question. Questionner un texte ou une citation, c’est faire apparaître le « problème » qu’il pose à l’analyse ou à la réflexion. C’est postuler qu’il faut aller au-delà des apparences ou des évidences, en les remettant en question, ce qui signifie que le sens d’un texte n’est pas limité à ce qu’il « dit ». Et cela exige bien entendu des connaissances littéraires, que l’on adapte à l’extrait proposé.

Prenons l’exemple d’une problématique trouvée dans une copie . Elle est située, comme il se doit, dans l’introduction du commentaire de cette fameuse scène 1 de l’acte I du Misanthrope :

« Comment par cette scène d’exposition Molière parvient-il à nous démontrer le comique d’un personnage ridicule et en décalage ? » (sic)

Passons sur la maladresse de l’expression, et disons tout de suite que nous lisons ici une fausse problématique. Pourquoi ? C’est que la question posée contient en germe la réponse -devenant ainsi une simple formalité - et qu’elle se réduit à un « comment », purement « technique », où l’on risque de voir défiler des « procédés », dans une sorte d’inventaire qui omettra l’essentiel : l’élaboration d’une interprétation qui ne sépare pas le fond de la forme. La problématique de cette copie pose une question mais elle ne questionne rien. Elle annonce des points d’analyse acceptables (scène d’exposition, comique, personnage ridicule) sans les mettre en perspective – ce qui supposerait des précisions définitoires - et sans justifier ces choix, ce qui la fait ressembler à un plan. Or ce qui peut être problématique ici (et doit donc être problématisé), c’est l’ambiguïté du comique d’Alceste, l’extrême cohérence voire la force de ses propos, surtout dans sa critique des moeurs (ce qui nous impressionne nous, Modernes, qui lisons cette pièce avec les lunettes de Rousseau et du romantisme mais se voit déjà, mutatis mutandis, aux réactions de Philinte, personnage dont on se demandera s’il est vraiment le parfait antagoniste d’Alceste). L’interrogation doit donc porter sur cette « faille » et entrer dans la "brèche", en s’interrogeant sur ce que le texte ne dit pas explicitement, clairement

On demande donc aux Hypokhâgneux de réfléchir à une formulation possible de cette problématique, pour mardi 19 mars !

La suite, en cours…