UN CLIN D’ŒIL AUX ANCIENS HK ET UN SALUT DE BIENVENUE AUX NOUVEAUX :

CORNEILLE ET LE CID : SPLENDEURS ET MISÈRES DE L'ART POÉTIQUE

Dessins humoristiques de Catherine Meurisse, extraits de son excellent livre Mes hommes de lettres, éditions Sarbacanne, 2008. © Catherine Meurisse et les éditions Sarbacanne.


MARDI 1er SEPTEMBRE : ORDRE DU JOUR

Accueil en classe des élèves à 9h00 (plus tôt, accueil internat à préciser, voir site du lycée), présentation générale par le professeur principal, coordonnateur de l'HK (moi-même, en l'occurrence). Durée : une heure. Ensuite (à 10h20), cours selon l'emploi du temps, qui vous sera communiqué dès la première heure.

* Pour le cours de Lettres : VENDREDI 4 SEPTEMBRE : 13H10-15h05

Il est nécessaire d'apporter ce jour-là la bibliographie que vous avez pu télécharger sur le site du lycée (ou qui vous a été remise), ainsi que les œuvres au programme, dans la mesure du possible. Il est en effet impératif que tous les élèves possèdent la même édition des œuvres qui seront étudiées cette année : je voudrais m'en assurer avec vous. Même si les raisons paraissent évidentes, j'expliquerai précisément pourquoi en cours. La bibliographie sera utile pour comprendre les informations que je donnerai au sujet des khôlles : textes à lire, calendrier, organisation.

Je présenterai ensuite le programme de travail que nous suivrons cette année, ainsi que les méthodes et les exercices auxquels vous serez formés. Des textes narratifs vous seront ensuite distribués, afin de préparer à l'exercice de l'explication de texte, et donc à la première série de khôlles - qui prendra place aux mois d'octobre et de novembre.

FIN SEPTEMBRE / DÉBUT OCTOBRE

Après une réflexion générale sur la littérature et quelques notions d’histoire littéraire mises en perspective, nous étudierons l’œuvre de Philippe Le Guillou, Le Donjon de Lonveigh, dans le cours d’HISTOIRE LITTERAIRE qui a lieu le lundi matin (10H10-13H05). Le cours GENRES/NOTIONS du vendredi (13h10-15h05) portera au début sur le roman (et plus largement sur les textes narratifs). Il introduira notre travail sur Le Donjon de Lonveigh, qui sera, avec l'oeuvre de Philippe Le Guillou, au centre des prochaines Rencontres de Pierre d'Ailly, mardi 1er décembre, à la salle Saint-Nicolas de Compiègne. Tout cela vous sera bien expliqué, ne vous inquiétez pas...


«La tâche littéraire est mystérieuse car si elle ne l'était pas ce serait un simple jeu sur les mots...» Borges

Borges el memorioso (conversation avec Antonio Carrizzo, p. 301), cité dans Borges, Oeuvres complètes, Gallimard, coll. «Bibliothèque de la Pléiade», p. 1255.

Voici deux textes suggestifs qui retiendront notre attention lors du premier cours, vendredi 4 septembre. Ils portent sur la lecture, qui sera, comme chaque année en Hypokhâgne, notre grande affaire. Lisez-les attentivement, comparez-les, en relevant les conceptions de la lecture qu'ils proposent ou discutent - et en vous demandant pour quelles raisons. En lisant Philippe Le Guillou, romancier et essayiste dont nous étudierons bientôt Le Donjon de Lonveigh, n'oubliez pas que tout ce qu'il écrit sur la lecture peut aussi révéler des aspects de son art poétique : ars legendi / ars poetica... Il n'est pas inutile d'y réfléchir dès maintenant !

Philippe Le Guillou, Le Roman inépuisable, Gallimard, 2020, p. 16-18.

« Pour quelle raison se plonge-t-on dans la lecture d’un roman, au point de couper toute attache avec le monde, ce qui nous entoure, les obligations de la vie réelle ? Pourquoi en arrive-t-on à cette sorte d’autisme qui fait que la tour Eiffel ou les falaises d’Étretat pourraient s’effondrer, pour peu que le roman soit bon, bien ficelé, captivant, on ne s’en rendrait même pas compte ? Cette forme primordiale et presque juvénile de la lecture, qui se vit sur le mode d’un engagement radical, d’une immersion totale dans ce que Gracq appelle l’ « éther romanesque », cet abandon corps et biens à la souveraineté et à l’allégresse d’une fiction qui s’empare du lecteur au point de disposer de lui, suppose qu’on entre pieds et poings liés dans le champ émotionnel que déploie ce monde singulier et autonome, qu’on y adhère sans réserve, sans soupçon, et que jouent à plein tous les vieux ressorts tant décriés au moment de la Nouveauté romanesque des années 1960, à savoir l’identification aux personnages, le plaisir pris à déchiffrer leur psychologie, la soumission à la toute-puissance de l’intrigue. Lire un roman, c’est d’une certaine manière cesser de faire la fine bouche, renoncer à l’exercice d’une intelligence orgueilleuse et pleine de méfiance, c’est accorder crédit à celui qui parle en donnant blanc-seing à l’architecte d’une construction vivante, mobile et fascinante ; c’est aussi, le temps que durera cette lecture, oublier qui l’on est en renonçant au primat d’une identité forte et encombrante, quitter le nœud de ses hantises et de ses obsessions en acceptant que celles de l’autre – en l’espèce celles de l’architecte invisible – sont bien plus originales et séduisantes, non pas en raison de leur nature, mais bien plus du fait même de leur mise en forme, de leur expression, de leur configuration.

En ce sens, d’une certaine manière, abdiquer toute indépendance en s’en remettant à l’autorité cachée, magique, de ce tireur de ficelles, de ce preneur d’otages, de cet enchanteur puissamment pervers qu’est tout romancier, c’est presque retomber enfance, dans cet état mystérieux, perdu, où l’on se sait protégé, entouré, j’ose le mot, aimé. La belle et bonne lecture d’un roman exige cette ferveur première, cette confiance qui va résolument à l’encontre de tout ce que la vie et les contraintes de l’âge adulte imposent, la défiance, la lucidité constante, la conviction que tout est affaire de cérébralité et de Meccano formel, que l’œuvre littéraire est un leurre, quand elle n’est pas un piège, que tout relève de la facticité mensongère, d’un jeu des signes essentiellement trompeur et malsain. Oui, lire, c’est retomber en enfance, c’est accepter d’être ce sujet soumis qui se livre à l’autre, à cet architecte caché, ce grand prêtre manipulateur et mystificateur, sans crainte ni réserve, en acceptant de mettre sous le boisseau toute la palette de nos clairvoyances rétives.

Je l’avoue, j’aime redevenir l’enfant qui lisait sans réserve, dans une sorte d’allégresse naïve, les beaux récits de la collection « Rouge et Or » - Mon petit Trott, Le petit lord Fauntleroy, Michel Strogoff, L’île mystérieuse, Le tour du monde en quatre-vingts jours -, l’enfant émerveillé aussi qui écoutait, les jours de pluie, dans le grenier de Kerrod, son grand-père paternel lui raconter la submersion de la ville d’Ys, le déferlement des vagues furieuses, la folle cavalcade du cheval de Morvak au milieu des crêtes écumeuses… Une voix se manifestait alors, impérieuse, magistrale, une voix qui ne tolérait pas qu’on en écoutât une autre, jalouse, susceptible, souveraine, une voix qui fixait le cap pour les heures à venir.

Il y a, dans les grands moments de lecture, quelque chose de cette ferveur lointaine, de cet abandon captif : la fascination, retrouvée, de la transparence et du mouvement des vagues au moment où descend sous les eaux la cité du soufre et des orgies sans fin…».


Thomas Pavel, Comment écouter la littérature ?, Collège de France / Fayard, 2006, p. 15-18.

« Comment écouter la littérature ? On peut écouter une œuvre littéraire pour y capter les échos du moment historique qui l’a vue naître. On peut y chercher les traces des soucis de son auteur. On peut apprécier la gamme des procédés narratifs et rhétoriques mis en œuvre. Dans Britannicus de Racine, un lecteur informé identifie sans peine les traces de la réflexion du XVIIe siècle sur la tyrannie politique et sur ses liens avec la tyrannie des passions. Ce lecteur se rend compte, à juste titre, que Racine, disciple de Port-Royal, a longuement médité sur la condition de la nature déchue. Le même lecteur est libre de porter son attention sur les trois unités de la tragédie néo-classique, sur la noblesse contenue du ton ou sur la musique des vers. Ces préoccupations, admirablement développées par la critique historique, biographique et rhétorique, ne forment pourtant pas l’objet de mon propos. Le lecteur qui m’intéresse ici n’est pas celui qui étudie le texte, mais celui qui s’y abandonne.

Celui qui s’y abandonne. En employant cette formule, je vous propose de quitter – provisoirement – l’attitude de ceux – moi-même compris – qui considèrent la littérature comme une cible cognitive, comme un objet d’étude ou d’interprétation savante, pour tenter, à la place, de réfléchir à la situation de quiconque d’entre nous, vous ou moi, qui lisons Britannicus ou allons voir cette pièce au théâtre et qui, loin de consulter le programme, la préface et les notes en bas de page, nous laissons aller, afin qu’une certaine détente, qu’une certaine intimité s’établisse entre nous et l’œuvre. Une certaine confiance, une espèce de familiarité.

Jean-Marie Schaeffer, admirable théoricien de la fiction, dirait : ‘Mes amis, vous êtes sujets à l’immersion (1) . Vous plongez dans l’univers de la Rome impériale imaginée par Racine. Vous traversez l’immense distance qui vous sépare de cette fiction, vous vous y retrouvez, telle Agrippine, sans suite et sans escorte, et vous en accepter sans broncher toutes les caractéristiques : les alexandrins, la sourdine du style, l’horreur des événements représentés, la sinistre grandeur des personnages.’ C’est tout à fait juste. Ayant franchi la frontière de la fiction, nous sommes étonnés de ne plus être chez nous, et pourtant nous nous adaptons volontiers au paysage qui nous entoure.

Il nous est facile de nous fondre dans ce paysage, parce que les mondes de la fiction, pour étranges, fantastiques ou bourrés de mythologie qu’ils soient, demeurent toujours pleinement humains. Il n’en saurait être autrement, et lorsqu’on parle de littérature et d’art, le terme de « monde », comme l’allemand Umwelt, désigne un milieu, un habitat humains. C’est la seule famille de mondes au sein de laquelle nous sommes susceptibles d’être accueillis, et par conséquent la seule à laquelle nous pouvons nous abandonner. Notre affinité avec cette famille est mise en lumière par la facilité avec laquelle, une fois arrivés en son sein, nous sommes prêts à fréquenter n’importe quel de ses membres, fût-il le cousin le plus éloigné. Je dirai même que les mondes fictionnels lointains, ceux dont nous sépare une distance temporelle ou géographique considérable, sont ceux vers lesquels nous nous déplaçons avec le plus de plaisir. Cette distance, nous ne nous contentons pas de la subir, le plus souvent nous la préférons. »

(1) Jean-Marie Schaeffer, Pourquoi la fiction ?, Le Seuil, coll. « Poétique », 1999.


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