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Béatrice Didier, à l'Université de Technologie de Compiègne, amphithéâtre Colcombet, jeudi 30 novembre 2017.


Je remercie sincèrement Béatrice Didier de nous avoir fait partager son enthousiasme intellectuel, sa culture littéraire et sa connaissance érudite de Chateaubriand. Son intelligence des problèmes littéraires abordés ainsi que son attention généreuse nous ont tous réjouis. Mes remerciements vont également à M. Guy-Roger Meitinger, proviseur du lycée Pierre d'Ailly, qui a permis et facilité la préparation de ces «Rencontres» et en a présenté la 5e édition. Merci, enfin, à tous les participants, en particulier à mes collègues qui ont bien voulu encadrer les élèves et les étudiants présents.

Merci à Coline S., HK, et à Inès D., HK, pour leurs indispensables photos !


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Béatrice Didier et Reynald André Chalard


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L'auditoire, amphithéâtre Colcombet 1.


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L'auditoire, amphithéâtre Colcombet 2.


Pour introduire la conférence (discours de présentation de Reynald André Chalard) :

Nous voilà réunis aujourd’hui pour la 5 e édition des « Rencontres de Pierre d’ Ailly». Vous avez répondu présent, et je vous en remercie.

Les enjeux de ces « conférences » tournent autour de la littérature, de l’expérience esthétique et éthique qu’elle nous propose, de ce qu’elle nous donne à penser de notre rapport au monde, des problématiques qu’elle permet de croiser, au carrefour de la philosophie, de l’histoire et plus largement des sciences humaines.

Depuis le début de ces « Rencontres », grâce à l’intelligence et à la générosité de nos invités, nous avons pu confronter le questionnement littéraire aux grands problèmes qui intéressent aussi bien la pensée spéculative que la littérature : la technique, avec Michel Crépu, le réel et l’habitation poétique, avec Lucie Guillevic ; avec Benoît Chantre la transcendance, à partir de la vérité littéraire du désir mimétique selon René Girard, et le Mal, avec Mohamed Mbougarr Sarr, l’année dernière. Je signale que ce jeune et brillant écrivain, qui fut naguère notre élève en hypokhâgne et en khâgne, vient de publier son deuxième roman aux éditions Présence africaine : Le Silence du chœur.

Avec « Chateaubriand, poète du souvenir » cette année, ce sont le temps et la mémoire dans l’œuvre littéraire qui seront au cœur de notre réflexion. Et pour nous y aider, j’ai le plaisir et l’honneur de recevoir Mme Béatrice Didier, professeur émérite à l’Ecole normale supérieure de Paris, spécialiste de la littérature des Lumières et du Romantisme. Vous dirigez actuellement l’édition des œuvres complètes de Chateaubriand, comme vous l’avez fait pour George Sand, aux éditions Honoré Champion. Vous avez été directrice de collection aux Presses Universitaires de France, où avez fait paraître de nombreux ouvrages de critique littéraire que les étudiants d’hier et d’aujourd’hui ne peuvent pas ignorer. Vous avez-vous-même beaucoup écrit dans ce domaine : de Marivaux à Hélène Cixous, en passant par Rousseau, Diderot, Beaumarchais, Sade, Laclos, Chateaubriand, Senancour, Madame de Staël, Stendhal, Sand, Gide, Du Bos, Michel Butor, et je ne prétends ici tous les citer. C’est d’ailleurs à ce travail critique que l’on s’intéressera aussi aujourd’hui, car il est exemplaire dans l’approche des textes littéraires et dans la manière d’écrire qui est la vôtre, à la fois simple et profonde, toujours suggestive. Et vous avez à côté de vous un ancien étudiant et un professeur reconnaissants - je ne suis pas le seul ! – qui a lu et lit toujours avec bonheur et admiration vos ouvrages. Je voudrais présenter brièvement certains aspects qui m’ont nourri et m’ont incité à proposer à mes propres étudiants des extraits de vos ouvrages qui définissent et explorent des problèmes littéraires avec beaucoup de rigueur et de finesse. Et pour justifier mon admiration durable, ce sont l’élève et l’étudiant que je fus qui témoigneront un peu de leur expérience.

Je partirai du titre du beau livre d’hommage que Christine Montalbetti et Jacques Neefs vous ont consacré en 2005 : Le Bonheur de la littérature. Ce mot de «bonheur », qui fait de la littérature une fête, comme dirait Jean Paulhan, me paraît tout à fait important pour caractériser votre travail critique. C’est que vous transmettez ce « bonheur » de la lecture d’autant plus facilement que vous l’éprouvez dans vos études littéraires. Je cite les auteurs du livre d’hommage : «L’œuvre critique de Béatrice Didier se signale par l’ampleur des territoires qu’elle découvre et qu’elle commente. Parcourant volontiers le livre du monde, Béatrice Didier fait de la bibliothèque un monde également, monde large, ouvert, aux paysages mobiles et attirants.» « Parcours », « monde ouvert », «découverte », «bibliothèque», votre recherche en littérature peut être en effet comparée à un « voyage » aux multiples destinations. Vous n’êtes d’aucune chapelle, car vous n’aimez pas être assignée à résidence. Cela signifie concrètement que vous ne vous rangez définitivement à aucune « Méthode », même si vous restez « dans une écoute constante de la théorie », selon Chr. Montalbetti et Jacques Neefs, votre tâche consistant à étudier les « particularités de chaque écriture », qu’il soit question de « l’écriture-femme » en général ou de celle de George Sand en particulier. A la fin de la préface de votre thèse magistrale sur Senancour, après avoir distingué l’imaginaire de l’imagination et avoir opté pour l’esthétique plutôt que pour la psychanalyse, vous semblez émue en affirmant qu’il vous faut, « expérience anticipée de la vie et de la mort, revivre la genèse, l’épanouissement, les transformations d’un être dont tant d’années vous séparent. » Et vous ajoutez : « Au seuil de cette entreprise l’avouerai-je ? il est envoûtant de retracer un destin, de l’interpréter, de le recréer, surtout si à la quête de la 'structure profonde' d’un écrivain, on est amené à dévoiler le plus secret de l’âme (…). » L’Imaginaire chez Senancour, éd. José Corti, 1966, p. XIII.

Est-ce un hasard si vous avez consacré un peu plus tard un essai à l’amitié d’André Gide et de Charles Du Bos, ce dernier, critique littéraire, dont vous dites que pour lui un écrivain est «étranger», non pas quand il est d’une autre nationalité que la sienne mais quand en lui « il ne sent pas la présence d’une âme », Un Dialogue à distance, Gide et Du Bos (1976), éditions Desclée de Brouwer, page 33 ? Votre œuvre a bien sûr évolué depuis, et vous nous direz tout à l’heure ce que vous en pensez, mais je vois là comme une conviction dont vous ne vous êtes vraiment jamais départie. Une conviction qui accompagne une attitude face à l’œuvre, que Jean-Pierre Richard, me semble-t-il, a très bien résumée dans la contribution qu’il donne au livre d’hommage déjà cité. Ses propos portent sur Du Bos : «Interpréter (…), c’est se mettre ‘à la place de l’autre’, c’est se substituer à lui en un acte où participent à parts égales l’admiration, l’abnégation, l’hommage, la reconnaissance. » Le Bonheur de la littérature, éd. Presses Universitaires de France, 2005, p. 445-446. Je crois que l’on retrouve dans beaucoup de vos livres cette disposition d’esprit, qui ne fait pas obstacle à la rigueur du travail universitaire. Je ne voudrais évoquer ici - et très sommairement - que deux exemples significatifs de cette attention et de cette rigueur : dans un article très suggestif paru dans la revue Poétique (n° 51, 1982) sur « Senancour et la description romantique », vous montrez bien que l’analyse que fait Philippe Hamon dans le roman réaliste n’est pas pertinente dans la description des paysages où, contrairement aux récits de Zola, il ne se passe rien. Dans votre étude sur Stendhal autobiographe, Presses Universitaires de France, collection « Ecrivains », 1983, pages 5-7, en vous référant au Pacte autobiographique de Philippe Lejeune, vous contestez la définition de l’autobiographie «comme le récit au passé d’une vie », le journal intime pouvant s’inscrire dans un genre qui n’implique, selon vous, aucune distance temporelle. Loin de ce qui, dans la théorie, pourrait se figer dans une forme de dogmatisme, et que la tradition scolaire se charge parfois transformer en une vulgate indiscutable, votre pensée critique peut remettre en question, avec finesse et élégance, les idées les mieux assises.

Au fond, ce qu’il y a de précieux dans votre immense œuvre critique, c’est que vous n’y êtes pas «une autorité sans auteur», pour reprendre la formule de Jean Starobinski, dans Cahiers pour un temps, 1985, p. 10. J’ai pris progressivement conscience de cela en lisant les préfaces ou les commentaires - dont vous étiez l'auteur - qui étaient insérés dans les œuvres que je lisais ou que l’on me faisait lire lorsque j’étais lycéen. On aurait tort de croire que ces écrits mineurs ont peu de résonance dans l’esprit du lecteur. Entré en seconde, on me donna à lire L’Enfant de Jules Vallès, livre impressionnant pour un élève de quinze ans qui pense naïvement qu’il faut tout lire dans l’ordre, à commencer par la préface écrite par Béatrice Didier. Son titre m’intrigua : « L’Enfant, de Jules Vallès, roman réaliste ou psycho-drame sado-masochiste ? ». On dit toujours aux élèves et aux étudiants qu’il faut lire la préface après avoir lu l’œuvre, et que cette dernière lecture est la plus importante. On a bien raison, et dans ce sens la critique est bien une «littérature secondaire». Je me souviens d’ailleurs ne pas avoir dépassé les trois premières pages de cette préface, que je redécouvris deux ans plus tard, en terminale, à un âge où l’esprit jouit davantage des fruits de l’interdisciplinarité, notamment grâce à la philosophie. La lecture de Freud et la curiosité personnelle ont pu, à ce moment précis, me faire mieux entendre les soubassements du titre, mais plus encore, le style concis et les références suggestives de Béatrice Didier éclairaient d’une autre lumière que celle de ma première lecture le drame de Jacques Vingtras, humilié par sa mère, par l’école, par sa pauvreté mais qui restait prisonnier d’un masochisme nourri, entre autres, par son exclusion sociale. Parmi les formules lapidaires de cette préface, je me souviens en particulier de celles-ci : «la technique de Jules Vallès est essentiellement au service d’un combat : il ne suffit pas de décrire, il faut détruire…» (Folio, 1973, p. 16). Ou encore : « Le livre abonde en scènes de fouet ; on n’en trouve guère plus dans Justine et dans Les Petites filles modèles. » (ibid., p.20). Après avoir comparé Vallès à Labiche, pour la dénonciation de la «façade bourgeoise», «lézardée et clownesque» (p.9), vous évoquiez simultanément Sade et la comtesse de Ségur, dans une lecture orientée par la psychanalyse qui faisait tomber les masques de toutes les prétendues innocences, aussi bien celle de l’écrivain que celle du lecteur. Voilà une formation fondamentale qui prolongeait avec bonheur les cours que je recevais à cette époque, et qui s’est poursuivie avec la lecture des commentaires de La Princesse de Clèves. J’y appris pour la première fois que Dieu, qui n’était pas nommé, était cependant présent dans l’œuvre, et qu’il s’agissait du Dieu des jansénistes Au moment où je découvrais les Pensées de Pascal, je lisais que Mme de La Fayette avait été une des premières à les apprécier. C’est enfin avec votre interprétation de la folie de Nerval écrivant Aurélia – et de ce que vous dites de sa transmutation artistique – que je me suis rallié à votre «geste herméneutique», selon l’expression de vos admirateurs du livre d’hommage.

Cette manière de puiser à plusieurs sources et d’employer des instruments divers mais toujours adaptés à l’œuvre, je me dis qu’elle est peut-être aussi liée à votre goût et à votre pratique de la musique. Aimer les variations des styles, ne pas vouloir se laisser enfermer dans un cadre fixe, épouser les modulations de l’objet de sa réflexion en laissant à celle-ci toute sa liberté, n’est-ce pas un peu jouer rubato la partition de l’œuvre, en rapprochant le plus possible « l’acte critique » et le « mouvement créateur » ?

Telle est peut-être la condition sine qua non de ce « bonheur de la littérature », dont je tenais aujourd’hui à vous remercier de tout cœur.

R. A. C.


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Perrine A. (KH) lisant un extrait du livre de Béatrice Didier : Un Dialogue à distance, Gide et Du Bos, éditions Desclée de Brouwer, 1976.


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Marion P. (KH) lisant un extrait du livre de Béatrice Didier : L’écriture-femme, éd. Presses Universitaires de France, coll. « Écriture », 1981.


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Félicité S. (KH) lisant un extrait des Mémoires d’outre-tombe, de Chateaubriand : AVANT-PROPOS, 1846.


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Sarah D. (HK) lisant un extrait des Mémoires d’outre-tombe, de Chateaubriand : Livre III, chapitre 10 : «Mes joies de l’automne».


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Anaïs G. (HK) lisant un extrait des Mémoires d’outre-tombe, de Chateaubriand : Livre II, chapitre 9 : «La Grive de Montboissier».


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Gwendoline M. (HK) lisant un extrait des Mémoires d’outre-tombe, de Chateaubriand : Livre XXXIX, chapitre 4 : « Venise ».


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Margaux M., ancienne khâgneuse de Pierre d'Ailly.


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Elèves de terminale de l'Institution Jean-Paul II.


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Coline S. et Thibaud M. (HK) offrant à Béatrice Didier un livre et une boîte de chocolats pour la remercier de sa venue à Compiègne.


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Perrine A. et Louis R. (KH) offrant à Béatrice Didier un bouquet de fleurs.


LA MUSIQUE À L'ÉPOQUE DE CHATEAUBRIAND :