© Mohamed Mbougar Sarr.
Les Anciens Khâgneux s’adressent aux Nouveaux Hypokhâgneux !
Voici le premier d’une série d’entretiens qui fera connaître à tous ceux qui sont curieux des prépas littéraires du lycée Pierre d’Ailly le parcours des anciens khâgneux qui ont passé deux voire trois ans dans notre établissement. Quelle fut leur expérience ? Quelle leçon en ont-ils tirée ? Dans quelle mesure la classe préparatoire a-t-elle modifié leur rapport au savoir et leur façon de travailler ? Qu’en ont-ils retenu, au bout du compte ? L’image qui accompagne chaque entretien a été choisie par l’ancien élève qui s’est plié de bonne grâce à cet exercice pour représenter symboliquement sa vision de la prépa ou illustrer son parcours.
PREMIER ENTRETIEN :
Mohamed Mbougar Sarr.
Ancien Etudiant en Classe Préparatoire à Pierre d’Ailly, de 2009 à 2012 :
2009-2010 : Hypokhâgne.
2010-2011 : Khâgne Option Histoire.
2011-2012 : Khâgne Option Lettres modernes.
Sous-admissible au concours de l’ENS Lyon Lettres et Sciences humaines, session 2012.
1. Après l’obtention du Bac, saviez-vous à quel type d’études vous souhaitiez vous consacrer ?
Ainsi que la plupart des nouveaux bacheliers, je n’avais pas encore une idée très précise de la suite que je souhaitais donner à mes études. J’étais à la fois attiré par plusieurs voies : par la Littérature, bien sûr, mais aussi par la Philosophie, l’Histoire, la Géographie et même le Droit. Je crois d’ailleurs que c’est le Droit que j’aurais finalement choisi si l’on ne m’avait parlé de la Classe Préparatoire, et convaincu d’y aller.
2. Comment avez-vous découvert l’existence des classes préparatoires littéraires, Hypokhâgne (Lettres supérieures) et Khâgne (Première supérieure) ?
Du Sénégal, je n’avais de la Classe Préparatoire littéraire qu’une connaissance succincte, presque anecdotique. Etant un grand admirateur de Léopold Sédar Senghor, je savais, à la lecture d’une de ses biographies, qu’il était passé par une Classe préparatoire littéraire. J’avais brièvement cherché ce que pouvait bien être cette fameuse « khâgne ». Ce fut d’abord tout. En terminale, l’idée ne m’a, dans un premier temps, pas effleuré l’esprit de tenter d’intégrer une de ces classes. Puis un de mes oncles, qui avait fait une Classe Préparatoire, m’en a reparlé, et m’a assuré que, pour un élève comme moi, attiré par plusieurs disciplines en même temps et incapable d’arrêter son choix sur l’une d’elles, la Classe Préparatoire littéraire, par sa dimension généraliste, conviendrait parfaitement. C’est alors que j’ai reconsidéré la question, et commencé plus sérieusement à m’informer sur ce parcours. Je suis allé sur le site de plusieurs prépas, ai visité des forums, ai cherché à entrer en contacts avec d’anciens Khâgneux. C’est ainsi, véritablement, que j’ai découvert la Classe préparatoire littéraire. Et que ce qu’elle proposait, ce qu’elle incarnait, m’a assez vite convaincu.
3. Arrivé en Hypokhâgne, quelles ont été vos premières impressions ?
A mon arrivée, cela n’a été ni la grande masse de travail ni l’intense rythme des cours qui m’ont le plus impressionné. Ce qui m’avait en revanche immédiatement frappé, c’était le langage, je veux dire, le langage des professeurs. Je remarquai en effet, lors des premières séances, que, de cours en cours, de discipline en discipline, et de professeur en professeur donc, il y avait dans le langage utilisé des éléments qui revenaient, dans une étonnante similitude. A croire que c’était joué —j’ose croire pourtant que non ! Ils parlaient tous de « réfléchir en profondeur », de « problématiser », de « saisir les enjeux véritables », de « lire vraiment », de « goût du travail », etc. J’ai vite compris, alors, qu’à travers la récurrence de ce langage, s’incarnait en réalité l’esprit de la classe préparatoire. Un esprit fait d’amour du savoir, d’exigence dans le travail, d’intransigeance dans la réflexion approfondie, de recherche incessante de la pensée la plus juste et la plus claire. La Classe Préparatoire a tout de suite dégagé une étrange impression de puissance et d’humilité à la fois, à l’égard du savoir. Cela m’a littéralement impressionné : fait peur, fasciné, intrigué, attiré.
4. Quelles sont les exigences de la classe d’Hypokhâgne ? Qu’attend-on des élèves qui veulent y entrer ?
A première vue, les exigences de la Classe Préparatoire ne diffèrent pas tellement de celles de toute structure d’enseignement qui se pique d’un minimum de sérieux: goût de l’effort et du travail, curiosité, volonté, abnégation, persévérance. Cependant, là où, je crois, la Classe Préparatoire se distingue des autres structures, c’est qu’elle porte ces exigences à la dimension d’un mode de vie. Je veux dire par là qu’elle ne souhaite pas simplement qu’un élève fasse montre de ces qualités dans un cadre strictement scolaire ; elle vise surtout à lui inculquer ces valeurs, à les lui inculquer profondément, à les enraciner en lui, de sorte qu’il en use toute sa vie, et partout. L’on attend de l’étudiant en Classe préparatoire qu’il ait, à l’instar des humanistes, une libido sciendi, un désir fort de connaissance, et la motivation nécessaire à son acquisition, malgré les obstacles, la fatigue, les découragements. Cela implique de l’abnégation, du courage, une incessante volonté de progresser, de découvrir, d’apprendre, de comprendre. Cela implique aussi de l’humilité, beaucoup d’humilité.
5. Comment êtes-vous parvenu à organiser votre travail pour répondre à ces exigences ? Avez-vous rencontré des difficultés dans ce domaine ?
J’avoue qu’au début de mon cursus, j’ai manqué d’organisation. J’avais certes beaucoup d’énergie à revendre, beaucoup de curiosité, et jouissais d’une certaine endurance physique, mais tout cela finit par manquer d’efficacité devant la régulière masse des travaux demandés (Devoirs à la Maison, lectures complémentaires, fiches de travail, traductions, relecture et digestion des cours, préparations, etc.). J’ai commencé à avoir des sautes de concentration, à faire de plus en plus de travaux à la dernière minute, à veiller de plus en plus tard, à être frustré de ne pouvoir lire autant que je l’aurais voulu. A côté de cela, j’ai vite dû faire face à mon premier hiver, qui n’a pas été facile, physiquement et moralement. J’ai alors essayé d’être plus précis, de privilégier l’idée des choses au détriment de leur pure forme, de penser plus vite et plus efficacement, de me remettre en question. Je me suis accroché. J’ai également pris conscience du fait que je n’étais pas seul dans cette aventure : il y avait les condisciples, les amis, les professeurs, qui vous soutiennent et vous conseillent. Tout cela aide.
6. Certains prétendent que la classe préparatoire est un « enfer »… Qu’en pensez-vous ?
Eh bien, si la Classe Préparatoire est un enfer, il faut y entrer tel Orphée : avec du courage, avec du panache, avec la volonté d’y (re)trouver et d’en ramener l’Amour (le Savoir) et, surtout, avec poésie, avec musique ! La Classe Préparatoire est très exigeante, et il est vrai qu’à certains égards, elle peut apeurer. Le rythme de travail peut y sembler « infernal », certes. L’on y traverse de grands moments de découragement et de solitude, certes. L’on y pleure, l’on y sue, l’on s’y épuise, certes encore. Mais l’on y apprend aussi à souffrir tout cela, à surmonter tout cela. Parce qu’elle apprend à réagir, à prendre sur soi, à ne pas s’effondrer devant l’épreuve, ou du moins, à se relever après s’être effondré, la Classe Préparatoire est une formidable leçon de courage et de vie. Rien que pour cela, elle est moins un enfer qu’une façon d’y survivre (l’enfer véritable n’étant jamais constitué que de ses peurs propres). L’on en sort grandi, et fort, et confiant par rapport à nos propres capacités et ressources mentales, voire physiques.
7. Que vous ont apporté vos trois ans de prépa ?
Je n’en finirais pas si je devais énumérer tout ce que la Classe Préparatoire, au bout de ces trois années, m’a apporté. J’y ai gagné un amour plus affirmé pour le savoir, appris à travailler avec rapidité, organisation, efficacité, enrichi ma culture, acquis une rigoureuse méthode de travail ; je m’y suis découvert des passions que je ne soupçonnais pas, m’y suis forgé une véritable éthique —et une esthétique aussi— du travail précis, clair, touchant toujours à l’essentiel. Pour tout dire, la prépa m’a appris à mieux réfléchir, à mieux penser. Ce n’est pas banal. J’ai également fait en Prépa des rencontres inoubliables, et y ai noué des amitiés que je garderai, j’en suis sûr, à vie, que ce soit avec des professeurs ou avec des étudiants. Cela vous change à vie.
8. Pourquoi avez-vous choisi le lycée Pierre d’Ailly, à Compiègne ? Quels sont, d’après vous, ses atouts ?
A vrai dire, je n’ai pas moi-même choisi le Lycée Pierre d’Ailly. Un responsable de l’enseignement supérieur au Sénégal, qui s’occupait des étudiants désireux d’intégrer une Classe Préparatoire, a choisi pour moi les vœux. Je ne sais par quel mystère il a choisi de placer Pierre d’Ailly en tête, mais ce fut une excellente décision. J’avais déjà perçu, à travers la brochure que l’on m’avait envoyée, et sur le site du lycée, que la Classe Préparatoire de Pierre d’Ailly s’appuyait sur deux atouts majeurs : la qualité des enseignements dispensés d’une part, le cadre de travail de l’autre. Cela s’est vérifié à mon arrivée. Le corps professoral y est d’excellente qualité, en plus d’être très à l’écoute des élèves. Ce mélange de rigueur dans le travail et de disponibilité envers les élèves a été très bénéfique. Quant au cadre, l’on n’en peut rêver de plus idéal : le lycée est charmant, calme, et jouit d’excellentes conditions de travail : le CDI est très bien documenté, et les effectifs sont à taille humaine. Cela permet aux professeurs de suivre chaque élève individuellement. Le mythe — peut-être réel dans d’autres prépas— de la classe de soixante élèves qui ne se connaissent pas entre eux, qui sont dans une féroce compétition, et que les profs humilient constamment en plus de ne pas connaître, n’est pas du tout présent à Pierre d’Ailly. C’est même tout le contraire !
9. Où en êtes-vous de vos études aujourd’hui ? Quels sont vos projets ?
Après mes trois années de prépa, j’ai intégré l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS) à Paris. J’y effectue un Master de Recherche en littérature africaine, et prépare actuellement mon mémoire. J’aimerais pousser mon travail sur ce sujet jusqu’à la thèse. Parallèlement, j’aimerais également passer l’agrégation de lettres modernes. J’aimerais, à la fin de mes études, être professeur agrégé de lettres modernes, enseignant-chercheur, maître de conférences. Tout cela demande du travail, de la volonté, de l’humilité, de la patience, autant de valeurs que la prépa m’a données. Est-ce d’ailleurs un hasard si je me suis découvert l’amour de l’enseignement, donc de la transmission, en classe préparatoire ?
10. Quel(s) conseil(s) donneriez-vous aux nouveaux Hypokhâgneux, ainsi qu’à ceux qui se demandent s’ils feront ou non ce choix en 2014 ?
J’aimerais d’abord féliciter les nouveaux Hypokhâgneux pour leur choix. Celui-ci, j’en suis convaincu, s’avèrera le bon. Je partage avec tous les camarades que j’ai croisés en prépa ce même sentiment : que nos deux/trois années là ont été parmi les plus belles de notre existence. Ce que nous y avons gagné nous suit encore, nous suivra toujours, et nous n’évoquons jamais notre cursus sans nostalgie. L’hypokhâgneux est l’héritier d’une longue et prestigieuse tradition d’amour du travail et d’amour du savoir. En ces temps où ces notions paraissent désuètes, snobs, élitistes, ces temps où toute passion de l’intelligence est suspecte, ces temps où l’enseignement des humanités est décrié, menacé, remis en question, l’hypokhâgneux se doit de tenir. Tenir, c’est-à-dire être une figure de la curiosité intellectuelle, du savoir, de la culture ; autant de choses sans lesquelles toute société perd en identité, en fondements. J’aimerais donc que les hypokhâgneux soient conscients de cela, et travaillent, avec courage, joie et noblesse. Qu’ils ne baissent jamais les bras ! A ceux qui hésitent encore, qui ne savent s’ils feront le choix de la classe préparatoire ou non, je dis que le cursus de la classe préparatoire a cet avantage immense sur les autres, qu’il permet de ne se fermer aucune porte, et donne la possibilité de continuer à réfléchir sur la voie à suivre tout en profitant d’un enseignement dont la qualité est rare dans le paysage de l’enseignement supérieur.
Et puis, qu’on se le dise, quelle classe quand même, de pouvoir dire, pendant un repas de famille ou pour épater une fille/un garçon que l’on essaie de séduire, « je suis hypokhâgneux !».