Maux féminins : la douleur amoureuse dans les Héroïdes d'Ovide par Manon TG7

Dans un monde où les chansons d’amour et de rupture modernes mettent en relief les blessures du cœur, la célèbre maxime Omnia vincit amor - l’amour n triomphe de tout - s’efface parfois devant la réalité douloureuse des maux féminins, une souffrance déjà concrétisée dans les Héroïdes d’Ovide où les voix des héroïnes trahies peignent l’amour non pas comme une force conquérante mais comme un fléau dévastateur. Dans l’Antiquité, la voix des femmes était souvent étouffée, et rares étaient celles qui avaient l’opportunité de s’exprimer par l’écriture. Les textes littéraires étaient exclusivement produits par des hommes qui se chargeaient non seulement de relater leurs propres expériences, mais aussi de parler à la place des femmes. Ovide, dans ses Héroïdes illustre parfaitement cette idée en mettant en scène des héroïnes mythologiques écrivant des lettres à leurs amants infidèles ou absents. Ces femmes telles que Pénélope, Didon ou Phèdre expriment des douleurs amoureuses profondes, mais ces mots pourtant puissants ne sont pas les leurs : ils sont forgés par Ovide. Cette appropriation des voix féminines par des hommes comme Ovide soulève donc une question importante : en quoi l’écriture masculine telle que celle d’Ovide révèle-t-elle une perception de l’amour qui associe la voix des femmes à la souffrance et à la trahison ?

Ovide et l’élégie romaine

• Ovide est un poète emblématique de l’élégie romaine, du grec ancien ἐλεγεία ( elegeía ) qui signifie “chant triste”. Parmi ses grandes œuvres, on retrouve les Héroïdes dans lesquelles Ovide cherche à donner une voix aux héroïnes mythologiques qui sont bien souvent abandonnées ou trahies par leurs amants. Dans cette série de 21 lettres fictives, ces femmes prennent la parole pour exprimer leur douleur, leur frustration et leur désespoir face à l’absence de l’homme qu’elles aiment. Toutefois, bien que ces voix semblent féminines, elles sont le produit de la plume masculine d’Ovide. Ainsi, chaque lettre met en scène un héroïne s’adressant à son amant absent, déplorant son abandon et parfois le suppliant de revenir. • Il est tout de même intéressant de noter qu’Ovide, à travers ces lettres, ne cherche pas à faire passer ses héroïnes comme des figures passives et soumises. Bien au contraire, ces femmes se montrent parfois audacieuses, manipulatrices, voire rusées dans leurs tentatives de reconquête. Mais leur souffrance reste évidente : elles sont l’incarnation de la déception amoureuse, de l’infidélité ou encore de la séparation. Ces héroïnes sont donc souvent victimes de leur amour qui devient source de tourments et de blessures pour elles. Dans ce contexte, la représentation de la femme est ambivalente : elle est à la fois une figure forte et une victime de l’amour, mais toujours dépeinte de la perspective d’un homme.

Ariane abandonnée : tristesse et angoisse

• Parmi les lettres fictives figurant dans les Héroïdes, celle d’Ariane à Thésée incarne avec une certaine force la douleur de l’abandon. Ariane, fille du roi Minos de Crète, tombe amoureuse de Thésée, le prince d’Athènes, lorsque celui ci arrive sur son île pour affronter le Minotaure dans le labyrinthe. Ainsi, Ariane décide de l’aider dans sa quête en lui donnant du fil pour qu’il puisse retrouver son chemin après avoir tué le monstre. Thésée, en échange, lui promener de l’emmener avec lui et de l’épouser. Fuyant ensemble la Crète, ils accostent sur l’île de Naxos pour pouvoir vivre leur vie mais au matin, Ariane se réveille seule : Thésée a reprit la mer et l’a abandonné. • Dans sa lettre à Thésée, Ariane exprime une tristesse profonde : son abandon brutal sur une île déserte la laisse dans un état de détresse et d’impuissance. De plus, son chagrin ne se limite pas à la perte de son amant : il est aussi nourrit par le sentiment d’avoir été trahie après avoir tout sacrifié pour lui. En effet, Ariane a quitté sa patrie et trahi sa famille pour sauver Thésée, espérant un amour éternel en retour. Sa tristesse est donc celle d’une femme prenant conscience de la triste réalité : l’homme qu’elle aimait s’est servi d’elle. • Ainsi, Ovide enferme l’héroïne dans une représentation stéréotypée de la femme délaissée. À travers Ariane, il donne une certaine conception de l’amour dans la littérature antique : un amour source de souffrance pour la femme qui est condamnée à attendre et à souffrir, tandis que l’homme est libre de faire ce qu’il veut et partir vers d’autres horizons. • L’image d’Ariane abandonnée sur son île rappelle un autre stéréotype persistant à travers les époques : celui de la femme victime. Dans de nombreuses oeuvres contemporaines, la femme trahie ou délaissée est souvent représentée comme une figure de souffrance, incapable d’avancer sans l’homme qui l’a quittée. La célèbre chanson d’Adèle Someone Like You évoque une douleur proche de celle d’Ariane où la femme se retrouve démunie face au départ de l’homme aimé.

Pénélope attend Ulysse : fidélité et loyauté

• Dans l’Antiquité, la figure de Pénélope est l’incarnation même de la fidélité conjugale et de la patience amoureuse. Femme d’Ulysse dans L’Odyssée d’Homère, elle passe vingt ans à attendre son mari, celui-ci étant resté éloigné d’Ithaque à cause de la guerre de Troie. Ce mythe, reprit par Ovide dans ses Héroïdes, met en lumière l’attente amoureuse comme une vertu féminine absolue. • À travers cette lettre fictive, Ovide donne la parole à une Pénélope anxieuse et épuisée par l’attente. Si Homère présente une Pénélope patiente et confiante, Ovide lui donne un aspect plus tourmenté. Son attente n’est pas sereine mais plûtot marquée par de nombreuses inquiétudes et incertitudes : elle exprime ses doutes sur le sort d’Ulysse et se demande s’il est encore vivant. • Ces vers montrent que l’amour de Pénélope, bien que fidèle, devient une source de souffrance pour elle puisque contrairement aux figures masculines qui voyagent et vivent des aventures, elle, est figée dans l’attente et la solitude. Cette douleur rappelle celle d’Ariane, abandonnée sur son île mais avec une certaine nuance : Pénélope ne sait pas si Ulysse l’a réellement abandonnée. Cette incertitude rend son sort encore plus cruel puisque là où Ariane finit par comprendre que Thésée ne reviendra pas, Pénélope est enfermée dans l’espoir étant incapable de savoir si son mari reviendra un jour. • L’un des principaux stéréotypes associés à Pénélope est celui de la femme définie par l’attente et la loyauté absolue envers l’homme aimé. De nos jours, on retrouve encore cette idée à travers des personnages féminins dont le destin semble suspendu au retour, au choix ou à l’amour d’un homme. Dans de nombreux récits contemporains, la femme incarne une figure dont le destin est suspendu à l’amour d’un homme. Bella Swan, dans Twilight, attend désespérément le retour de son amour, Edward, et fait le sacrifice de sa propre humanité pour être avec lui. Ainsi, son existence est marquée par l’obsession et la dépendance à l’amour, ce qui montre l’idée que l’amour devient un besoin vital, au point que le femme puisse perdre sa propre identité pour l’homme qu’elle aime.

Didon reine suicidaire : trahison et vengeance

• Didon, veuve du roi de Carthage, a bâti seule sa cité. Ainsi, lorsqu’Énée, prince troyen en exil, arrive sur ses terres, elle l’accueille avec bienveillance et leur relation évolue rapidement en un passion intense. Cependant, cette relation est vouée à l’échec : Énée, destiné à fonder Rome, est rappelé à sa mission par Jupiter. Malgré son attachement sincère à Didon, il choisit de partir, plaçant son pouvoir au-dessus de l’amour. Pour Didon, cet abandon est une véritable trahison : elle a tout sacrifié pour cet homme ( allant jusqu’à négliger son rôle politique) pour au final se retrouver seule et humiliée. • Face à cet abandon, Didon sombre dans une folie destructrice. Son désespoir se transforme en une rage qui ne trouve d’issue que dans un suicide lors duquel elle prononcera une malédiction contre Énée et sa descendance : “Qu’il connaisse lui aussi la guerre et l’exil, qu’il implore l’aide des autres et ne la trouve pas !” (L’Énéide). Son dernier acte est une vengeance symbolique contre Énée, mais aussi un geste politique : non seulement ce suicide se révèle être un acte de rébellion contre celui qui l’a détruite, il annonce aussi les guerres futures entre Rome et Carthage. • Didon incarne à la fois l’amoureuse trahie et la femme puissante brisée par la passion. Dans les Héroïdes d’Ovide, Didon écrit une lettre à Énée où elle exprime encore plus violemment son sentiment d’abandon, affirmant qu’elle préférait être morte dans les ruines de Troie plutôt que de connaître une telle humiliation. • La figure de Didon a marqué la culture occidentale et reste un symbole de l’amour destructeur et de la femme qui face à la trahison ne trouve d’autre issues que la mort. Son histoire est l’une des plus fortes du mythe antique, illustrant comment la douleur amoureuse peut se transformer en un cri de vengeance contre l’injustice du destin et de la cruauté des hommes.

Conclusion : La douleur féminine entre cri et dignité

• À travers les Héroïdes, Ovide donne la parole à des femmes mythologiques confrontées à l’abandon, à la trahison et à l’attente. Qu’ils s’agisse d’Ariane laissée seule sur une île, de Pénélope fidèle à Ulysse malgré l’incertitude de son retour ou de Didon consumée par l’amour et la vengeance, ces héroïnes incarnent une souffrance intime qui devient le coeur de leur identité littéraire. Si elles semblent figées dans la douleur, elles ne sont pas pour autant réduites au silence : leurs lettres sont un cri d’injustice, un témoignage de leur humanité et de leur dignité face à l’oublie ou à la trahison des hommes. • Ces figures féminines révèlent aussi une tension entre soumission et résistance : elles souffrent mais elles revendiquent aussi leur douleur cherchant parfois à en faire une arme. Didon maudit Énée, Ariane reproche à Thésée son ingratitude et Pénélope transforme l’attente en un acte de fidélité et de patience. Ainsi, malgré leur dépendance aux hommes et aux choix de ces derniers, elles refusent d’être totalement effacées et trouvent dans la parole et dans les mots un dernier moyen d’exister. • Mais cette vision de la femme abandonnée résonne encore aujourd’hui dans les représentations romantiques et tragiques de la femme où l’amour et la souffrance restent souvent liés. Mais à l’inverse de ces héroïnes antiques, les figures féminines contemporaines tendent à reprendre en main leur destin en transformant plus la douleur en une attente ou une malédiction mais en une force d’émancipation et de reconstruction. Peut-être est-ce là le véritable héritage de ces voix antiques : non pas leur silence mais leur capacité à faire entendre à travers les siècles la complexité et la puissance de l’expérience féminine.

Femme, magie et sorcellerie : le pouvoir d’Hécate est-il celui de la féminité ? par Eva TG7

Les magiciennes antiques sont des savantes, détentrices de connaissances sur les lois de la nature et sur les forces surnaturelles. Mais elles ont toujours été vues à travers l’histoire comme des êtres mesquins et égoïstes qui mettent leur savoir au profits de la satisfaction de leurs désirs personnels, même les plus noirs.

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Le crime féminin dans l'Antiquité : le mythe de Médée par Henri 1G2

De nos jours, les hommes sont en majorité incarcérés que les femmes dans les prisons. Les femmes représenteraient que 3,2% au 1er janvier 2023. Les comparatifs des crimes suivants montrent bien cette différence : - 15% pour les femmes sur violences physiques sur les personnes de moins de 15 ans - 3% pour les femmes sur les infractions à caractère sexuel - 7% pour les femmes sur les vols avec violence - 2% pour les femmes sur des destructions et dégradations - 20% pour les femmes sur des homicides

Mais elles seraient à 64% sur des homicides commis comme partenaire intime ou membre de même famille. Ces chiffres montrent peut-être le manque d’opportunité, c’est-à-dire que la femme en étant cantonnée au foyer aurait moins de possibilité de commettre des faits. S’il est vrai qu’il y a des crimes qu’elles commettent peu, elles sont parfois impliquées dans de proportions bien plus importantes que ce qu’on imagine. Des proportions horribles, monstrueux, diaboliques… Le traitement judiciaire pour une femme est plus clément mais n’a pas toujours était le cas. Pourquoi ce changement par rapport dans la Rome antique ? Et pourquoi considère t’on une femme monstrueuse alors que les hommes font plus de crimes. Evidemment, La criminalité dans la Rome antique n’est pas comparable à celle de nos jours. Rome était considéré comme un endroit sale et dangereux, comme des vols et des assassinats. Les criminels étaient mis à mort pour tout meurtre commis, on disait SUMMA SUPPLICIA. On parle de la criminalité des femmes dans l'antiquité en s’appuyant comme sur le mythe de Médée, ce qui, n'est en rien comparable à une réalité. Les sources sur ce sujet étant peu nombreuses, pour parler du crime féminin, il était plus simple de passer par ce mythe.

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Vox femina : le statut de la femme dans l'Antiquité : un regard nouveau

A l'occasion de la formation académique intitulée "Dux femina : repenser la femme antique" qui s'est tenu au Musée de Picardie en 2022-2024 A l'occasion des journées d'octobre de la Cnarella sur ce thèmes. Les élèves de l'option latin du lycée Jean Calvin de Noyon ont travaillé des articles sur le statut de la femme dans l'Antiquité :

- Tanaquil, la faiseuse de Rois et la place des femmes étrusques par Médiné 1G1 - Femme, magie et sorcellerie : le pouvoir d’Hécate est-il celui de la féminité ? par Eva TG7 - Maux féminins : la douleur amoureuse dans les héroïdes d’Ovide par Manon TG7 - Le crime féminin : mythologie ou réalité : l'exemple de Médée par Henri 1G2

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La numismatique antique

Découvrez l'histoire grecque et romaine à travers l'étude de la monnaie

__I. La numismatique : une science

II. Les origines de la monnaie

III. Le monnayage grec

IV Le monnayage romain__

NB : Nous nous excusons pour le changement inopiné de police de caractère/surlignage : le logiciel du blog ne permet pas de modifier ce point. Nous espérons que cela ne gênera pas trop votre lecture.

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Cultes orientaux : Cybèle

Rome n'a pas seulement dans sa religion honorer les dieux et déesses venu.e.s de Grèce. Elle a aussi pris le culte de certains dieux et déesses venu.e.s d'Orient, dont la plus connue est sans doute la déesse Cybèle : la Magna Mater des Romains ! Nous remercions Justine pour ce bel article ! voir l'article précédent ici : http://blogs.ac-amiens.fr/cordiaculturae/index.php?post/2018/08/11/Les-cultes-orientaux-romains-2-%3A-Cyb%C3%A8le

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Tenet de Christopher Nolan et le carré Sator

Cet été 2020 est sorti au cinéma le dernier film très attendu de Christopher Nolan (inception, Dunkerque, Le Joker) : Tenet Ce film fascinant et complexe a attiré en salles dès sa sortie quelques 948000 spectateurs.

Le Protagoniste (nom du personnage principal) agent de la CIA est recruté par une organisation appelée Tenet. Sa mission : empêcher Andréi Sator, un riche mafieux russe de mettre fin au monde. Pour cela notre Protagoniste aidé de Neil, de la femme de Sator et d'une multitude d'autres personnages sillonnera les quatre du monde mais aussi les trois strates du temps : le passé, le présent et le futur et maitriser le concept de l'"inversion temporelle"...

Nota Bene sur le mot et la notion de protagoniste : du grec "πρωτος" (protos" qui signifie le premier et du mot "αγωνιστης" (agonistès) "celui qui joue, combat à la lutte, plaide, joue le jeu d'acteur", le protagoniste désigne donc "celui qui joue en premier", dans le théâtre grec le premier acteur ( à l'origine du théâtre un seul acteur jouait tous les rôles, avant que Sophocle introduise le "tritagoniste" : troisième acteur) jouait les rôles principaux de la pièce.

Mais à part le titre Tenet, qui vient du verbe latin "teneo" signifiant à la 3 pers su sg "il tient", "il garde" ; "il maintient" et par extension "il dirige", le nom du protagoniste appelé protagoniste, quel rapport entretient ce film avec l'Antiquité ? Découvrons-le.

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