Déporter ou évacuer une partie de la population saint-quentinoise

Déporter

Le 15 juin 1915, un train contenant 460 Saint-Quentinois entre en gare de Saint-Quentin. Il vient d'Allemagne et transporte des personnes rapatriées pour différentes raisons : maladie, fin de peine ou grâce accordée suite à une intervention.
Elie Fleury recueille le témoignage d'Henry Leblay. Pensant qu'il était concerné par l'affiche du 29 novembre 1914, destinée pourtant uniquement aux "personnes appartenant aux armées", il se rendit à la Kommandantur. Il fut déporté, alors qu'il n'était que simple garde des voies ferrées, pour le camp de Wetzlar avec les soldats de la 10ème armée territoriale présente à Saint-Quentin lors de l'arrivée des Allemands. Wetzlar est une ville d’Allemagne située dans le Land de Hesse, à mi-chemin entre Francfort-sur-le-Main et Cassel, à environ 500 kilomètres de Saint-Quentin.
Henri Leblay raconte qu'ils furent entassés à 42 dans un wagon à bestiaux et qu'ils n'ont pas pu manger pendant les 36 heures de voyage. Il nous renseigne ensuite sur les conditions de vie dans le camp de Wetzlar. Ils étaient peu nourris : on leur donnait un quart de café et une boule de pain de 4 livres par 10 hommes et par journée à leur lever, à 5 heures du matin ainsi qu'une soupe très délayée et composée d'orge, de féverolles, d'avoine ou de rutabagas à 10h du matin et à 6h du soir. Ils devaient travailler dans des carrières de pierre. Les punitions étaient nombreuses (la plus fréquente était d'être privé de nourriture pendant toute une journée). Selon Elie Fleury, "les coups de poing, de pied ... pleuvaient à tort et à travers".
Des industriels allemands demandaient parfois de la main d’œuvre au camp. Au début, il y eut de nombreux volontaires, "espérant avoir un peu plus à manger" car ils touchaient un salaire. Mais, selon Elie Fleury, "le travail leur était rendu si pénible par les injures des contremaitres et l’hostilité des populations qu’ils demandaient à rentrer au camp où ils étaient punis, en arrivant, de quinze jours de prison, comme paresseux".
Henri Leblay raconte ensuite qu'une photographie de groupe fut mise en scène à destination des pays neutres : "Un beau jour apparurent des officiers qui offrirent une cigarette à chaque homme convoqué au rassemblement et les firent asseoir devant des tables où étaient des verres et des bouteilles. On entendit le déclic d'un appareil photographique et l'orgie se termina là. A grands coups de poing, les hommes furent poussés dans les baraques et durent jeter leurs cigarettes mâchurées"
La description de la foule des 460 déportés en gare de Saint-Quentin par Elie Fleury est une condamnation de la déportation pratiquée par les Allemands et de la brutalité de la Première guerre mondiale : "Sont-ce bien des humains ? ... Ils paraissent ne pas s'être lavés depuis des mois. ils ont perdu ce que l'on peut appeler la dignité de l'alimentation. Traités, en effet, comme des bêtes immondes, on leur jetait une pitance dégoûtante dans des récipients qu'ils trouvaient au tas d'ordures : boîtes à sardines, faÏences cassées, casseroles trouées, et il leur était interdit de se servir de fourchette et de couteau. Battus, engueulés, voués à l’inaction, ils sont presque tous ... dans un état d'hébétude complet qui semble irrémédiable. A la façon dont ils se précipitent sur la nourriture que la ville leur a fait préparer, on saisit sur le fait le retour à l’animalité. Ils bousculent un camarade qui tombe et se casse le bras sur l'angle du trottoir". Elie Fleury termine son récit en précisant que certains disent : "C'était mieux en Allemagne". La ville n'était pas préparée à accueillir ces déportés ce qui explique la déception de certains déportés à leur retour.

Evacuer

Le dimanche 7 mars 1915, à 8h30 du matin, le comte Bernstorff, commandant la ville de Saint-Quentin, avertit le maire, M. Gibert, qu’il va faire partir un train à 15 heures pour évacuer en Suisse et, de là, en France non occupée par les Allemands, « 500 personnes de la classe pauvre ». Il lui dit ensuite qu’il faut 600 personnes à évacuer pour le lendemain lundi à la même heure, et 500 pour le mardi. Elie Fleury raconte l'embarras de la municipalité : "de quel droit pousser hors de chez eux des Saint-Quentinois ?". Cependant, il montre aussi les "avantages" de cette mesure : le départ de ces personnes représente moins de bouches à nourrir et à aider financièrement. De plus, il s'agit d'une évacuation vers la "France libre".
La mairie décide, dans un premier temps, d'évacuer un certain nombre de personnes hospitalisées à Saint-Quentin et originaires de la Somme : 89 hommes, 121 femmes et 209 enfants de moins de 15 ans originaires des environs de Roye, Péronne et Chaulnes. On y ajoute 40 prostituées malades ainsi qu'un "certain nombre d'indésirables indiqués par la police et quelques miséreux de bonne volonté".
Le lundi 8 mars, les Allemands utilisèrent cependant la violence : "ils fermaient une rue, entraînaient dans les maisons les plus modestes et saisissaient les gens au lit : "Habillez-vous, il faut partir !". les pauvres diables, à peine vêtus, étaient poussés dehors, parqués à la gendarmerie et finalement conduits à la gare sans boire ni manger .... D'autres gendarmes parcouraient la ville en auto et happaient au passage tout ce qui leur paraissait "bouche inutile". De vieux ménages se trouvèrent ainsi désunis sans que la femme sût ce qu'était devenu le mari ou réciproquement."
D'autres évacuations furent organisées. Un nombre croissant de personnes se portent volontaires pour quitter la ville occupée et, au fur et à mesure, la procédure d'évacuation est mieux organisée par les Allemands qui en tirent aussi profit : les Saint-Quentinois doivent désormais payer pour leur voyage comme le montre l'affiche suivante datée du 1er janvier 1916 :
Evacuation_janvier_1916.jpg

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