Saint-Quentin en août 1914

Le mois d'août 1914 marque l'entrée en guerre et l'arrivée progressive des Allemands.
Nous allons montrer comment les Saint-Quentinois vécurent ces événements.

mercredi, mars 5 2014

L'atmosphère à Saint-Quentin avant l'arrivée des Allemands

La peur de l’invasion

Une partie des Saint-Quentinois quittent la ville. « La mairie a délivré 6 000 laissez-passer ».
Les Fleury décident d’envoyer leur fille et leur petite-fille en Provence, où ils ont de la famille. En quittant la maison familiale, la petite-fille des Fleury dit : « Adieu tout ce que j’aime et que je ne reverrai jamais ! ».

La peur des espions

Les officiers anglais de passage à Saint-Quentin parlent de moins en moins avec la population : ils pensent qu’ils sont entourés d’espions.
Selon Elie Fleury, le risque est réel : il raconte comment deux hommes, qui se présentent comme un officier de marine et un sergent, se sont révélés être des espions. La population pense qu’il y a des espions allemands dans la ville et chacun se méfie de l’autre.

La perte de confiance dans les autorités

L’angoisse grandit d’autant plus qu’il est impossible d’avoir des informations fiables. Les populations font de moins en moins confiance aux autorités. Elie Fleury résume ainsi cet état d'esprit : « Ce qu’on voit de ses yeux, ce qu’on entend de ses oreilles, ce qu’on ressent dans son âme dément le texte des dépêches officielles imperturbablement affichées deux fois par jour en treize endroits de la ville et les dépêches dites « visées », publiées docilement par les journaux ».

L'entrée des Allemands à Saint-Quentin (28 août 1914)

Elie Fleury fait un double récit de cette journée en mêlant constamment la manière dont les autorités et lui-même vivent les mêmes événements.

L’événement vu par les autorités

Le préfet de l’Aisne est présent à Saint-Quentin dès 6 heures du matin : il a été envoyé par la présidence de la République pour évacuer la riche collection de pastels de Maurice-Quentin de La Tour.
Les nouvelles ne sont pas bonnes : la receveuse des Postes de Fontaine-Notre-Dame (12 kilomètres de Saint-Quentin) téléphone à la mairie pour préciser : « Voilà les Prussiens. Ils avancent, voilà les casques à pointe ». La même information est aussi communiquée depuis Homblières (7 km).
Ces informations ne sont pas prises au sérieux par les autorités : « Elle n’y connaît rien. La receveuse est folle : ce sont des Anglais ».
Le préfet de l’Aisne passe une heure en haut du beffroi « à regarder la fumée des proches incendies et les nuages blancs des shrapnels ».
Mais, comme toutes les autorités locales, il a confiance dans les dépêches officielles qui nient l’avancée allemande. Ainsi, il transmet la nouvelle à Paris mais en précisant : « Mais ce n’est pas sérieux ». Il dit aussi au sous-préfet qui a pour ordre de quitter la ville si Saint-Quentin est menacée : « Je crois que maintenant vous pouvez rester. Il n’y aura rien ».

L'événement vu par Elie Fleury

La population est de plus en plus angoissée et croit de moins en moins les dépêches officielles qui disent qu’aucun danger ne menace Saint-Quentin.
Elie Fleury décide de partir en voiture « en reconnaissance » le matin du vendredi 28 août à 6 heures du matin pour se faire sa propre opinion. Arrivé à Marteville, à la sortie de Vermand, il croise plusieurs personnes (un agriculteur, des cyclistes) qui lui confirment l’arrivée des Allemands.
De retour à Saint-Quentin, le maire lui demande de taire cette information. Il monte à 9 heures au petit clocher de la Basilique et voit, tout autour de la ville, des villages incendiés (« les petits nuages blancs des shrapnels luisent sous le soleil dans le ciel bleu du ciel »). Il apprend aussi que des soldats allemands sont signalés à Itancourt et au cimetière de l’Est.
Face à l'absence de réaction, les Allemands peuvent entrer sans problème dans la ville. Fleury se trouve à l’Hôtel-de-Ville dans l’après-midi où « tout le monde attend ». « Il est 5 heures 25. Tout d’un coup, Delhorbe se précipite dans le cabinet du maire en criant : « Les v’là ! ». On se jette aux fenêtres et par celle de gauche on aperçoit, s’alignant tout à l’entrée de la rue Croix-Belle-Porte, de l’angle du Café de Paris au coin de la rue Saint-André, un rang d’hommes gris coiffés de casques. En arrière, un fourmillement de troupes. »
Elie Fleury écrit aussi : "On illumina le 29 août 1914 en Allemagne et ... on donna un jour de congé aux élèves des écoles quand le communiqué annonça que la ville de Saint-Quentin était prise une troisième fois : 21 octobre 1870, 19 janvier 1871, 28 août 1914"

mardi, mars 4 2014

L'occupation allemande en Belgique

« Les Allemands se conduisent comme des sauvages : ils pillent et tuent même les enfants, sans pitié » tels sont les mots prononcés par les troupes françaises ou anglaises quand elles reviennent de Belgique.

Cette cruauté est reprise à travers le témoignage de Victor Delbruyer, un belge ayant fui son pays à cause de l’occupation allemande et qui est recueilli par Elie Fleury. L’auteur nous retrace l’ « Odyssée » de Victor Delbruyer qui vient de Sars-la-Bussière, un village entre Thuin et la frontière.

Cette situation est la conséquence de la violation de la neutralité de la Belgique par les Allemands. L'invasion du pays désorganise l'état-major allié. Les mauvaises nouvelles parviennent jusqu'à Saint-Quentin par les soldats : on apprend ainsi le recul des Anglais à Charleroi, à Mons et au Cateau.

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Source : Wikipédia

Sir John French, le Commandant en Chef des Troupes britanniques, est à Saint-Quentin, au lycée Henri Martin, le 26 août.
« Dès le 24 août, nous avons un prodrome d’invasion extrêmement émotionnant : l’arrivée de paysans belges. Cent cinquante le matin, quarante dans l’après-midi chassés par la bataille ».
Victor Delbruyer raconte que la violence des combats est telle qu'il a dû quitter son village avec sa famille immédiatement après l'arrivée des Allemands.

A partir du 21 août, les armées allemandes ont envahi la ville de Dinant et agissent de manière très violente : ils tirent à travers les fenêtres, défoncent les portes des habitations et mettent le feu. A proximité de l’abbaye de Leffe, les Allemands massacrent de nombreux civils. Pendant plusieurs jours, les maisons sont pillées par les Allemands et les villages belges sont en feu.

C’est dans ce contexte que des Belges arrivent à Saint-Quentin. Elie Fleury nous apprend qu’ils sont rassemblés dans le cirque de la rue Dachery à Saint-Quentin. Ils sont bien accueillis par les Saint-Quentinois puisque l’auteur nous dit qu’« ils sont vite adoptés par les Saint-Quentinois qui les emmènent les uns après les autres».

L'état d'esprit des Saint-Quentinois en août 1914

Le souvenir de la guerre de 1870

Au début de la Première guerre mondiale, en août 1914, les Saint-Quentinois étaient préparés à une guerre contre les Allemands, et cela depuis la guerre de 1870. Cette guerre, qui avait commencé en juillet 1870 pour s’achever en janvier 1871, est catastrophique pour la France. Les Français étant mal préparés et mal commandés, ils sont sévèrement battus dans plusieurs batailles.
Durant cette guerre, une bataille, qui est encore présente dans les esprits en 1914, a eu lieu à Saint-Quentin : les Saint-Quentinois ont repoussé un détachement allemand mais la ville est envahie et occupée après la défaite du général Faidherbe au moulin de Tous-Vents, à Gauchy, le 19 janvier 1871. Comme une partie du Nord de la France, Saint-Quentin est occupée par les Allemands pendant huit mois.

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Source : Bibliothèque Municipale

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Source : Bibliothèque Municipale

Les Français, après cette guerre, se sentent humiliés : la France perd l’Alsace et une partie des départements lorrains et doit payer cinq milliards de francs-or à l’Allemagne. C’est pourquoi certains Français développent un esprit revanchard après 1870 et attendent une nouvelle guerre comme Elie Fleury :
« Depuis quarante-quatre ans, je me demande, je ne dis pas quatre fois par jour, mais bien souvent, ce que nous ferons, ce que nous deviendrons, ce que nous penserons quand l’inévitable guerre aura lieu »

Un monument est élevé pour commémorer la bataille du 8 octobre 1870. La ville de Saint-Quentin est représentée par une ouvrière au rouet et à la quenouille qui soutient un défenseur blessé à mort. Le monument est inauguré en 1881 place du Chemin de Fer qui prend désormais le nom de place du 8 octobre.

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Source : Archives Municipales

Le déclenchement du conflit

L’ordre de mobilisation est affiché partout dans la ville :

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Source : Musée de l'Armée

Les services sont réorganisés : moins de tramways, la circulation sur les routes est interdite du soir au matin. Toute la vie de la cité est concentrée sur la Grand'Place dans l’attente de nouvelles. Elie Fleury montre cependant la confiance des Saint-Quentinois au début du conflit. La plupart passe l’après-midi du dimanche aux Champs-Elysées. On peut relever « comme d’habitude, les vieux sont assis sur les bancs», « je passe l’après midi du dimanche sous le marronnier », « les enfants jouent sur le large trottoir ».
On remarque qu’il s’agit de trois générations différentes : «les vieux», l'auteur et «les enfants». Aucune des trois ne semble inquiète par ce qui arrive.
La confiance des Saint-Quentinois est particulièrement visible au moment du passage des troupes anglaises en gare de Saint-Quentin à partir du 13 août : elles vont sur le front entre Mons et Maubeuge.
L’auteur décrit des « locomotives enguirlandées » et des habitants qui offrent du thé aux soldats. La vue des convois rassure les Saint-Quentinois : « ce sont des escadrilles et leur immense matériel, des ambulances auxquelles il ne manque rien, où tout est reluisant, neuf, confortable, des camions énormes, des chevaux incomparables ».
Jusqu’au 20 août, quatre-vingt deux trains chargés d’Anglais passent en gare de Saint-Quentin.

mardi, février 11 2014

L'offensive allemande menace Saint-Quentin

La population de Saint-Quentin est très surprise par la progression de l’armée allemande car elle n'est pas informée du succès de son offensive.
Des troupes anglaises quittent le front du Nord et vont vers le Sud en passant par la gare de Saint-Quentin. Certains soldats, anglais ou français, disent aux Saint-Quentinois : "Tout ce qu’on vous raconte dans les dépêches est absolument faux"
« La bataille de Charleroi est perdue» , « Les Allemands sont à Cambrai» (à 45 km de Saint-Quentin). Les officiers anglais, logés chez l'habitant, donnent le même conseil : "Fuyez ! Abandonnez tout ! pour être envahis, vous le serez et les Allemands se conduisent comme des sauvages : ils pillent et tuent même les enfants, sans pitié"
Un représentant des Charbonnages du Nord de passage à Saint-Quentin témoigne : "L’invasion par le Nord ... a été une surprise pour les autorités civiles et militaires. Le désordre est affreux. Les Allemands descendent en masses profondes et ne trouvent personne devant eux"

Ce changement rapide d'état d'esprit s'explique par le déroulement des opérations militaires.
Le plan Schlieffen (plan de guerre allemand), prévoit d’écraser la France dès le début de la guerre en contournant ses grandes lignes de fortifications (Verdun, Toul, Belfort) par la Belgique neutre. Les Allemands prévoient de garder quelques divisions sur le front oriental (Russie) afin de contenir la mobilisation russe.

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Source : Wikipédia

Le plan XVII (plan de guerre français) a pour objectif de lancer des offensives sur les frontières avec l'Allemagne mais elles connaissent toutes des échecs.

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Source : Wikipédia

Le succès de l'offensive allemande par la Belgique déstabilise l'état-major français. Les Saint-Quentinois vont devoir affronter une invasion à laquelle ils n'étaient absolument pas préparés.