jeudi, décembre 18 2014

Punir toute résistance à l'ordre allemand

La "gendarmerie allemande"

La police militaire est chargée, en temps de paix, de la sécurité et de la bonne application des lois au sein de l'armée. En temps de guerre, elle a des fonctions supplémentaires : elle assure la protection de ses officiers et des personnes politiques. Elle est aussi chargée de la surveillance des prisonniers de guerre et contrôle l’approvisionnement. En Allemagne, elle porte le nom de « Feldengendarmerie » ("gendarmerie allemande" dans le livre d'Elie Fleury).
L'auteur nous présente les gendarmes allemands comme des personnes puissantes. L’expression "maître du pavé" prouve qu’ils sont supérieurs aux Français. Le pouvoir des gendarmes, quel que soit leur grade, ne peut être contredit. Leur autorité parait sans limites. Ils terrifient la population et les officiers n’osent pas se mettre en travers des ordres d’un simple gendarme. Cependant, cette présentation d'Elie Fleury ne semble pas objective : les gendarmes allemands semblent avoir tous les droits et sont décrits comme des êtres brutaux, et violents.
Le chef de cette police militaire s’appelle Von Malzhan (un "ivrogne" et un "bourreau"). 5 postes de gendarmerie sont présents à Saint Quentin. Ils sont répartis dans tous les quartiers afin de mieux contrôler les habitants. le quartier général se trouve rue Wallon de Montigny (dans l'usine Bernheim). Chaque poste est organisé de la même manière : un maréchal-des-logis faisant fonction de commissaire, deux gendarmes et un interprète. De plus 6 patrouillards circulent dans toute la ville par deux pendant deux heures toutes les six heures.
Elie Fleury exploite le témoignage de M.Honoré, directeur du tissage David et Maigret où est installé le poste de gendarmerie n°2 (rue Denfert-Rochereau). Il décrit les gendarmes allemands comme des personnes sans gène, terrorisant sa famille et obligeant sa cuisinière à leur faire à manger. Il montre leur brutalité avec l’exemple d'une femme de 70 ans, frappée, jetée à terre et laissée inconsciente pour avoir réclamé sa fille, arrêtée par les Allemands ou celui d'un ravitailleur battu et trainé par l'oreille sur plusieurs mètres. Ils maltraitent aussi les enfants qu'ils ramassent dans le quartier pour cirer leurs bottes et nettoyer leurs locaux. Le témoin souligne aussi leur cruauté envers les chiens qu'ils trouvent dans la ville : ils sont lâchés dans la cour, poursuivis et tués à coups de bâtons ou pendus. Les gendarmes allemands sont aussi décrits comme des voleurs puisqu’ils entrent dans les maisons abandonnées et embarquent les objets de valeur pour les envoyer en Allemagne.

Un exemple de "répression"

Dans la nuit du 23 au 24 juin 1915, les fils téléphoniques au coin de la rue du Quatre-Septembre et de la rue Alfred Clin ont été coupés. Pour les Allemands, il s'agit d'un sabotage. La ville de Saint-Quentin doit verser un dédommagement de 200 000 marks (monnaie allemande). De plus certains civils, réquisitionnés en tant qu’"otage"seront contraints de surveiller le poteau pendant un certains nombre de jours. Le soir du 2 juillet à 8 heures doivent se présenter à la Kommandantur six hommes français. Sur le brassard de chaque otage est écrit un mot en allemand qui signifie "garde-de-punition-française". La garde du poteau doit être faite par groupe de deux hommes pendant deux heures sans fumer. Ils ne doivent pas s’éloigner du poteau et attendre le roulement avec le prochain groupe français. Des soldats allemands effectuent des rondes la nuit pour surveiller les "otages" français. Le témoignage de Fleury est intéressant car il montre que les rondes se sont déroulées de façon amicale entre Français et Allemands et que le regard des Saint-Quentinois change à l'égard des Allemands : "Ah ! La guerre ! Quel malheur ! Vous en France, nous en Allemagne, on serait si bien !" ; "Nous aimons bien Franzous. Malheur, la guerre". L'anecdote est aussi destinée à souligner l'écart entre le commandement allemand et les simples soldats. La punition est ici disproportionnée et absurde d'autant plus que, selon les habitants du faubourg Saint-Jean, la rupture des fils est due à la maladresse d'un télégraphiste plutôt qu'à un attentat.

Le rôle de l'abbé Boudet

L'abbé Boudet est un prêtre de la paroisse Saint-Jean. Il a été arrêté le 9 juillet 1916 par les Allemands. Elie Fleury nous raconte comment il a "résisté" à l'ordre allemand. Son premier "acte de résistance » à l’autorité allemande remonte à l'entrée des Allemands dans Saint-Quentin (28 août 1914). Vers 5 heures du soir, alors qu’il remonte la rue de Baudreuil, il croise un détachement de l’armée allemande où il aperçoit un soldat anglais se faufilant derrière les arbres des Champs-Elysées. Il le cache chez M. et Madame Lecomte habitant au 154, boulevard Gambetta. Il revient le chercher le lendemain et le ramène, habillé en ecclésiastique, chez lui au 40, rue Emile-Malezieux.
Elie Fleury montre l'audace et le culot de l'abbé Boudet. Il fait faire de faux papiers par l'imprimeur Harwich afin de faciliter la circulation dans la ville et d'éviter à de nombreux jeunes gens d’aller travailler en Allemagne. Craignant que les autorités découvrent ce trafic et la présence de personnes recherchées par les Allemands dans sa maison, Elie Fleury nous raconte qu'il "trouva tout simple de se présenter chez le "général-curé", l'aumônier en chef et inspecteur de l'armée 2, Uppenkamp, et de lui demander une garantie pour son "patronage". Très flatté qu'on eût recours à lui, le général-curé fit apposer sur la porte de l'abbé une pancarte le dispensant des perquisitions de patrouilles."Il bénéficia aussi de la complicité du commissaire, M. Lambert, qui lui fournit des papiers et des cachets du commissariat ainsi que ceux de la Kommandantur qu'il pouvait se procurer.
L'abbé Boudet a accueilli dans sa maison essentiellement des soldats français, anglais ou russes (anecdote de ceux vivant dans le bois d'Origny-Sainte-Benoite depuis la bataille de Guise et ramenés par un ravitailleur rue Emile Malézieux). Selon Elie Fleury, "le nombre des pensionnaires s'accroissait sans cesse et la maison et même les maisons voisines avaient été machinées comme un théâtre de féeries". S’il y avait une alerte, les "pensionnaires" de l'abbé Boudet pouvaient fuir grâce à une armoire sans fond qui communiquait avec la maison voisine de Madame Parjouet. Au rez-de-chaussée, ils pouvaient se sauver par un ouverture pratiquée dans la cheminée. La cave avait aussi un escalier tournant qui abritait une cachette. Cette maison, qui devenait une vraie caserne, avait été organisée pour loger une soixantaine de personnes. La nourriture était toujours suffisante grâce à la générosité de Saint-Quentinois mis dans la confidence. La lessive se faisait toutes les semaines au dehors. On peut émettre des doutes sur ces derniers points : une telle présence "d'ennemis" dans la maison de l'abbé Boudet ne serait pas passé aussi longtemps inaperçue.
L’abbé Boudet fut cependant arrêté le 7 juillet 1916 car les Allemands avaient trouvé chez lui des documents compromettants. Il fut inculpé pour avoir « avoir été détenteur d’un communiqué interdit » (les Allemands ne surent jamais le rôle qu'il a joué auprès des soldats de l'Entente, éloignés du front et de leurs armées). Il fut arrêté à son confessionnal et refusa de retirer son surplis et son étole. Il fut déporté en Allemagne et transféré de camp en camp où il faisait toujours son entrée en étole et en surplis, ce qui, nous dit Fleury, "occasionnait chaque fois une émeute"."Je veux montrer, disait-il, comment les Allemands traitent un prêtre français". Elie Fleury précise que son "oeuvre" fut poursuivie par un autre vicaire de la paroisse Saint-Jean, l'abbé Fouchard.