Les différentes formes de l'occupation allemande › Gérer les prisonniers français et étrangers

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jeudi, décembre 11 2014

Gérer les prisonniers français et étrangers

Les prisonniers français en transit à Saint-Quentin

En janvier 1916, les Saint-Quentinois apprennent que le village de Frise a été pris par les Allemands sur le front de la Somme. Il y a 927 prisonniers selon les dépêches allemandes qui doivent transiter par Saint-Quentin.
Les Allemands prennent des mesures pour empêcher les débordements et les manifestations de patriotisme : "A partir de midi, gendarmes et patrouillards arrêtent la circulation depuis la gare jusqu'à la place et font entrer de force les passants dans les magasins. Les fenêtres doivent être fermées : les spectateurs qui regardent aux carreaux sont menacés". Une partie des prisonniers va à la Bourse de Commerce, l'autre à la caserne où le service d'ordre est moins important. La foule crie de nombreuses fois : "Vive la France !". Certains parviennent à discuter avec quelques soldats.
Les Saint-Quentinois sont cependant surpris de l'apparence des soldats : "Quelle douleur ! Il y en a à barbe grise, il y en a de très jeunes. Tous n'ont pas de casque, mais des calots, des passe-montagne, de vieux képis. Et cette boue !"
Le dimanche suivant, 200 nouveaux prisonniers arrivent et sont enfermés dans une usine. Grâce à la bienveillance des gardiens allemands, les Saint-Quentinois parviennent à leur faire passer de l'argent et de la nourriture.
Quand les prisonniers quittent Saint-Quentin, ils se dirigent vers la gare avec une attitude différente selon Elie Fleury : "Cette fois, nos soldats, brossés, reposés, avaient fière mine et ils défilèrent à bonne allure et pas du tout en attitude de vaincus : Nous aurons notre tour, semblaient-ils dire."
Le départ du train de prisonniers donnent lieu à une véritable manifestation de patriotisme : "Tout le faubourg d'Isle s'était transporté le long de la voie et ce furent des acclamations, des baisers envoyés du bout des doigts, des cris de : Vive la France ! Les prisonniers, la moitié du corps hors des portières, répondaient sur le même ton..."
Le 6 septembre 1916, 1 400 prisonniers arrivent à Saint-Quentin : 450 sont enfermés dans l'église Saint-Martin, le reste dans l'usine David et Maigret. Cette nouvelle arrivée entraîne une nouvelle manifestation de solidarité et de patriotisme. De la nourriture et de la vaisselle ("car c'est de vaisselle qu'on sait que les prisonniers manquent le plus"). Quand les prisonniers quittent Saint-Quentin (la plupart sont déportés en Allemagne), "ils avaient chacun une musette avec chemises, chaussettes, savon, serviettes, cache-col et mouchoirs, sans compter les cigares, les paquets de tabac et même de pièces d'argent jetés dans leurs rangs. C'étaient une acclamation continue. Ils répondaient : "çà va bien ! Merci ! On n'a pas fini de se souvenir de Saint-Quentin"

Utiliser les prisonniers de guerre : l'exemple des Russes

Les Russes sont comparés à des esclaves. Un Allemand lettré dira même à Elie Fleury qu’ils sont victimes « d’un esclavage antique ». Mais d’après le directeur du journal local, les esclaves grecs ou romains avaient des garanties alors que les Russes étaient plutôt dans les mains de "barbares" sans aucune garantie de survie.

Photo_1.jpg Source : Elie Fleury Sous la botte - Illustration Paul Séret

Ces Russes ont été acheminés depuis le front Est jusqu’à Saint-Quentin par train. Ils sont envoyés dans le Nord de la France pour travailler dans les champs, à la démolition des usines, à la réparation des routes ou encore à la construction des gares et de voies de chemin de fer. On pense que les Russes n’étaient que quelques milliers dans le Nord de la France mais bien plus nombreux en Allemagne à travailler dans des camps de prisonniers. Cela peut paraître étonnant que des Russes viennent travailler en France mais ce sont plus de 90 000 Russes que les Allemands ont capturé fin août 1914. Les Allemands ne mirent pas longtemps à les envoyer dans les zones occupées pour les faire travailler.
Les Russes sont maltraités : ils sont mal nourris et souvent tabassés par les Allemands s’ils ne travaillent pas assez vite. Elie Fleury fait une description très négative des Allemands : il les dépeint comme des barbares, des sauvages "inhumains". On peut cependant se demander si Elie Fleury n'exagère pas la description des mauvais traitements que subissent les Russes dans le but de discréditer encore plus les occupants allemands.
Les Saint-Quentinois prennent les Russes en pitié et essayent de leur faire passer des vivres tels que du riz, des pommes de terre, du pain ainsi que du cidre. Elie Fleury nous raconte quelques une de ces tentatives : « de braves femmes font cuire et égoutter du riz salé et l’entassent dans des sacs de toile en forme de saucisson. Elles les jettent par-dessus les murs, là où les Russes travaillent ou gîtent » ou encore « M. Cartignies fît des pommes de terre en quantité et les sema le long du grillage pour que les Russes se servent »
Paradoxalement, les traitements infligés aux Russes s’adoucissent avec l’avancée de la guerre. Elie Fleury écrit que « Vers le milieu du mois de novembre 1916, les affreux traitements infligés aux Russes commencèrent à cesser. » En effet les gardiens allemands sont aussi mal nourris que leurs prisonniers et à condition d’obtenir une part, ils acceptent que les Saint-Quentinois fassent passer des vivres.