jeudi, décembre 18 2014

Exploiter les ressources de la ville

Le pillage des usines

Elie Fleury nous explique que les Allemands ont commencé, dès janvier 1915, le pillage des usines et des maisons de commerce de Saint-Quentin. Ce pillage est organisé par le capitaine Goërz qui, dans le civil, est un important industriel près d'Aix-la-Chapelle. Il nous raconte le pillage de l'usine Morel à Gauchy. il faut six chariots, une dizaine de soldats et quinze ouvriers réquisitionnés pour enlever la marchandise :"rien n'est négligé : coton fil simple, trame et chaîne, coton retors, gazé, mercerisé et noir. Même les fonds de caisses des ouvrières qui n'ont pas terminé leur tâche sont ramassés et pesés comme le reste". Goërz donne un reçu sur lequel Il indique le contenu et le poids « 29.679 kilogrammes et une fraction » mais refuse d'indiquer la valeur (« 106.000 francs »).

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Usine Morel, Source : Inventaire du Patrimoine Culturel de Picardie

A partir de mars, d'autres usines furent touchées : on réquisitionne la totalité du coton, de l'amidon et des fécules (Usines Decaudin, Léon Frères, Béguin). Parfois les usines sont reconverties par les Allemands comme le tissage Sébastien transformé en "maison de convalescence et de désinfection". L'usine Cliff devient une blanchisserie militaire occupant trente hommes et deux cents femmes. Deux autres usines sont transformées en garage pour les ambulances et en atelier pour réparer les véhicules militaires. Les ateliers Mariolle, dans le faubourg d'Isle, sont destinés à réparer le matériel de guerre, y compris les pièces d'artillerie.

Utiliser la main d'oeuvre présente à Saint-Quentin

Dès le début de l’occupation, les habitants de Saint-Quentin sont soumis à un dilemme : soit travailler pour l’ennemi qui a besoin de main-d’œuvre (ce qui permet d'avoir un revenu, très faible cependant) soit rester inactif et sans revenu (avec le risque d’être déporté dans des camps de travail obligatoire en Allemagne).
Les Allemands pensent que « Personne ne doit rester inactif. L’inactivité est mauvaise conseillère ». Ils ne souhaitent pas voir dans la ville une population sans travail et sans ressources, notamment masculine.
C'est pourquoi ils organisent un contrôle régulier de la population masculine de Saint-Quentin. Dans un avis du 16 octobre 1914, la Kommandantur indique que tous les hommes de 18 à 48 ans peuvent être appelés, à tout moment et individuellement, à se présenter devant les autorités allemandes. Il s'agit de s’assurer qu’ils sont bien présents dans la ville. « Toute personne qui ne répondra pas à cet appel sera recherchée, arrêtée et immédiatement envoyée en Allemagne. Il s’ensuivra de plus des mesures coercitives contre la Ville ».
Un autre avis du 23 octobre 1915 oblige tout habitant ayant plus de 15 ans à posséder sur soi une pièce d’identité. Chacun doit se présenter avant le 15 novembre 1915 muni de son carnet de famille et de deux témoins inscrits sur les listes électorales. Une carte de couleur jaune est délivrée aux habitants de Saint-Quentin et une carte de couleur bleue aux personnes "qui n'ont pas leur domicile habituel à Saint-Quentin". Les « cartes jaunes » doivent se présenter une fois par mois devant les autorités pour attester de leur présence en ville. Les « cartes bleues » doivent se présenter à chaque fin de quinzaine.

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Source : Bibliothèque Municipale de Saint-Quentin

En 1914, les Allemands réquisitionnent les enfants et les vieillards pour le nettoyage des cantonnements et, ponctuellement, de la main d'oeuvre réquisitionnée à l'aide d'affiches ( « Ordre : il faut tant d’homme à tel endroit à telle heure »). En janvier 1915, l’engagement de travailleurs civils prit de l’ampleur. Ils eurent besoin de nombreux ouvriers pour accomplir le pillage de grandes usines textiles comme David, Maigret et Donon, Pannier, Sidoux, Charles Basquin, Hugues,etc. Ils transformèrent aussi le boulevard Cordier en un grand chantier de mécanique et de construction. Des prisonniers durent y travailler mais il fallut aussi engager des ouvriers qualifiés comme des charpentiers, des mécaniciens, des forgerons, des serruriers, etc. Les salaires étaient payés par la Ville. Ils étaient faibles (2 à 3 francs). Elie Fleury a pu se procurer auprès des services de la mairie, un état détaillé de cette main d'oeuvre : 875 hommes et 1079 femmes travaillaient dans 91 établissements pour les Allemands. La somme de 125 785,37 francs a été donnée par la municipalité pour les rémunérer au mois d’octobre 1915.
Les Allemands cherchent ensuite à contrôler encore plus cette main d'oeuvre. Ils interdisent ainsi aux ouvriers de chercher du travail par eux mêmes. Il est aussi formellement interdit de quitter son poste. Les salaires sont aussi réglementés : une journée de 9 heures de travail est payée 2,5 franc ; les ouvriers mariés ou de plus de vingt ans peuvent obtenir une augmentation (plus 0.50 franc avec possibilité d'arriver jusqu’à 4 francs de salaire).
Les Allemands mettent donc en place un système complexe pour organiser le travail des ouvriers. Des cartes de couleurs différentes sont distribuées en fonction de l'âge, de la condition physique et des compétences de l'ouvrier.

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Source : Bibliothèque Municipale de Saint-Quentin

La réquisition des métaux

Une ordonnance datée du 1er août 1916 explique aux Saint-Quentinois que "tous les objets de ménage et d'installation composés entièrement ou principalement de cuivre, nickel, étain ou d'alliages de ces métaux, notamment de laiton, bronze... sont saisis et seront enlevés prochainement".Sont exclus de la réquisition les objets de culte, les objets d'Art et "la robinetterie des conduites d'eau et de gaz et celle des chauffages centraux, les poêles de bain, les loquets de portes et de fenêtres". La valeur des objets saisis doit être remboursée en bons communaux.
On commence par les comptoirs en étain des marchands de vin (les "zincs"). Chez Madame Lambert-Bucourt, commerçante rue du Palais-de-Justice (actuellement rue Victor-Basch), la perquisition dure deux heures et demie. Les Allemands ne laissent rien ni les plateaux de la balance de cuisine, ni la pomme d'escalier. Parfois, certains arrivent à "sauver" quelques objets auxquels ils tiennent particulièrement en donnant des bouteilles d'alcool aux soldats.
A partir de novembre 1916, les réquisitions sont de plus en en plus importantes et de mieux en mieux organisées : "Assez souvent, trois équipes se suivent dans la même maison : la première prend, la deuxième gratte et la troisième racle". Un certain nombre de Saint-Quentinois se plaint que de nombreux objets, qui ne sont pas concernés par l'ordonnance du 1er août 1916, disparaissent lors des perquisitions.