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UN CLIN D’ŒIL AUX ANCIENS HK ET UN SALUT DE BIENVENUE AUX NOUVEAUX : LE ROMANTISME DANS TOUS SES ÉTATS…

Dessins humoristiques de Catherine Meurisse extraits de son excellent livre Mes hommes de lettres, éditions Sarbacanne, 2008. © Catherine Meurisse et les éditions Sarbacanne.

LUNDI 3 SEPTEMBRE : ORDRE DU JOUR

Accueil des élèves à 9h00, présentation générale par le professeur principal, coordonnateur de l'HK. Durée : à peu près une heure, sauf imprévu. Cours, selon l'emploi du temps, qui vous sera communiqué dès la première heure.

* Pour le cours de Lettres : LUNDI 3 SEPTEMBRE : 10H10-13H05 (nouvel horaire )

Il est nécessaire d'apporter ce jour-là la bibliographie que vous avez pu télécharger sur le site du lycée (ou qui vous a été remise), ainsi que les œuvres au programme, dans la mesure du possible. Il est en effet impératif que tous les élèves possèdent la même édition des œuvres qui seront étudiées cette année : je voudrais m'en assurer avec vous. Même si les raisons paraissent évidentes, j'expliquerai précisément pourquoi en cours. La bibliographie sera utile pour comprendre les informations que je donnerai au sujet des khôlles : textes à lire, calendrier, organisation.

Je présenterai ensuite le programme de travail que nous suivrons cette année, ainsi que les méthodes et les exercices auxquels vous serez formés. Des textes poétiques vous seront ensuite distribués, afin de préparer à l'exercice de l'explication de texte, et donc à la première série de khôlles - qui prendra place aux mois d'octobre et de novembre.

Nous étudierons, dès la rentrée, l’œuvre de Pascal, Pensées, dans le cours d’HISTOIRE LITTERAIRE qui a lieu le lundi matin. Le cours GENRES/NOTIONS du vendredi (13h10-15h05) portera au début sur la poésie et introduira notre travail sur les Romances sans paroles, de Verlaine, qui seront au centre des prochaines Rencontres de Pierre d'Ailly - avec Bertrand Degott - le lundi 26 novembre, à la salle Saint-Nicolas de Compiègne (cf. Billet du 7 mai 2018).

Il sera aussi question de critique littéraire, à partir du livre L’Œil de la NRF, dont les chroniques sont autant d’exercices de lecture qui peuvent stimuler l’intelligence de tout Hypokhâgneux curieux. Tout cela vous sera bien expliqué, ne vous inquiétez pas...

Si vous souhaitez me poser une question sur ce billet ou sur tout autre chose, vous pouvez laisser un commentaire sur ce blogue. Ma réponse intéressera sans doute tous les futurs Hypokhâgneux. Si votre question est personnelle, vous pouvez m'écrire à l'adresse suivante :

Reynald-Andre.Chalard@ac-amiens.fr

Ci-dessous, des extraits de la « Petite lettre sur les mythes », de Paul Valéry, parue en introduction aux Poèmes en prose de Maurice de Guérin, en 1928, puis reprise en tête de la NRF, en janvier 1929, avant d'être ajoutée aux autres textes qui composent Variété (1934), ouvrage que vous pouvez vous procurer dans la collection de poche Folio/Gallimard.

Empruntant la forme épistolaire, puisqu'il prétend répondre à « une dame tout inconnue» qui lui pose des questions sur des« points difficiles», Paul Valéry avoue être plongé dans le désordre de la pensée lorsqu'il réfléchit sur les mythes. Il peine à en esquisser les contours et se voit, dans la durée de la réflexion, griffonner «des formes baroques, poissons affreux, pieuvres tout échevelées de paraphes trop fluides et faciles»... Ne sont-ce pas là des mythes, qu'il engendre sans y penser ? Cette création incessante dans laquelle l'esprit se prend, où le mensonge et le temps forgent le mythe... Combinaison monstrueuse, chimérique, le mythe, puissant dans le sommeil, est en nous, affirme Valéry. Cette modalité de notre existence liée à la parole, qui se nourrit de ce qui n'existe pas, interroge à sa manière l'origine de la littérature...et le besoin que nous en avons. Voilà pourquoi la méditation de Valéry nous intéresse ! La suite, en cours...

A bientôt !


AU COMMENCEMENT ÉTAIT LA FABLE !

« (…) le mensonge et le temps ne seraient point sans quelque artifice. La parole est ce moyen de se multiplier dans le néant.

Et voici comme je vins enfin à mon sujet, et comme j’en fis une théorie pour la dame invisible et tendre : Dame, lui ai-je dit, ô mythe ! Mythe est le nom de tout ce qui n’existe et ne subsiste qu’ayant la parole pour cause. Il n’est de discours si obscur, de racontar si bizarre, de propos si incohérent à quoi nous ne puissions donner un sens. Il y a toujours une supposition qui donne un sens au langage le plus étrange.

Imaginez encore que plusieurs récits de la même affaire, ou des rapports divers du même évènement vous soient faits par des livres ou par des témoins qui ne s’accordent pas entre eux quoique également dignes de foi. Dire qu’ils ne s’accordent pas, c’est dire que leur diversité simultanée compose un monstre. Leur concurrence procrée une chimère… Mais un monstre ou une chimère, qui ne sont point viables dans le fait, sont à leur aise dans le vague des esprits. Une combinaison de la femme et du poisson est une sirène, et la forme d’une sirène se fait aisément accepter. Mais une vivante sirène est-elle possible ? – Je ne suis pas du tout assuré que nous soyons déjà si experts dans les sciences de la vie que nous puissions refuser la vie aux sirènes par raison démonstrative. Il faudrait bien de l’anatomie et de la physiologie pour leur opposer autre chose que ce fait : les modernes n’en ont jamais pêché !

Ce qui périt par un peu plus de précision est un mythe. Sous la rigueur du regard, et sous les coups multipliés et convergents des questions et des interrogations catégoriques dont l’esprit éveillé s’arme de toutes parts, vous voyez les mythes mourir, et s’appauvrir indéfiniment la faune des choses vagues et les idées. .. Les mythes se décomposent à la lumière que fait en nous la présence combinée de notre corps et de notre sens du plus haut degré.

Voyez comme le cauchemar compose en un drame tout-puissant, quelque diversité de sensations indépendantes qui nous travaille sous le sommeil. Une main sous le corps est prise ; un pied, qui s’est découvert et délivré des langes, se refroidit au loin du reste du dormeur ; de matinaux passants vocifèrent à l’aube dans la rue ; l’estomac vide s’étire et les entrailles fermentent ; telle lueur du grand soleil levant inquiète vaguement la rétine au travers des paupières abaissées… Autant de données séparées et incohérentes ; et personne encore pour les réduire à elles-mêmes et au monde connu, pour les organiser, retenir les unes, abolir les autres, ordonner leurs valeurs et nous permette de passer outre. Mais toutes ensemble sont comme des conditions égales, et devant être également satisfaites. Il en résulte une création originale, absurde, incompatible avec la suite de la vie, toute-puissante, toute effrayante, qui n’a en soi-même aucun principe de fin, point d’issue, point de limite… Il en est ainsi dans le détail de la veille, mais avec moins d’unité. Toute l’histoire de la pensée n’est que le jeu d’une infinité de petits cauchemars à très courte et très faible conséquence.

Tout notre langage est composé de petits songes brefs ; et ce qu’il y a de beau, c’est que nous en formons quelquefois des pensées étrangement justes et merveilleusement raisonnables.

En vérité, il y a tant de mythes en nous et si familiers qu’il est presque impossible de séparer nettement de notre esprit quelque chose qui n’en soit pas. On ne peut même en parler sans mythifier encore, et ne fais-je point dans cet instant le mythe du mythe pour répondre au caprice d’un mythe ?

Oui, je ne sais que faire pour sortir de ce qui n’est pas, chères âmes ! Tant la parole nous peuple et peuple tout, que l’on ne voit comment s’y prendre pour s’abstenir des imaginations dont rien ne se passe…

Songez que demain est un mythe, que l’univers en est un ; que le nombre, que l’amour, que le réel comme l’infini, que la justice, le peuple, la poésie… la terre elle-même sont mythes ! Et le pôle même en est un, car ceux qui prétendent d’y être allés n’ont pensé y être que par des raisons qui sont indivisibles de la parole…

J’oubliais tout le passé… Toute l’histoire n’est faite que de pensées auxquelles nous ajoutons cette valeur essentiellement mythique qu’elles représentent ce qui fut. Chaque instant tombe à chaque instant dans l’imaginaire, et à peine l’on est mort, l’on s’en va rejoindre, avec la vitesse de la lumière, les centaures et les anges… Que dis-je ! A peine le dos tourné, à peine sortis de la vue, l’opinion fait de nous ce qu’elle peut !

Je retourne à l’histoire. Comme insensiblement elle se change en rêve à mesure qu’elle s’éloigne du présent ! Tout près de nous, ce ne sont encore que des mythes tempérés, gênés par des textes non incroyables, par des vestiges matériels qui modèrent un peu notre fantaisie. Mais franchis trois ou quatre mille ans en deçà de notre naissance, on est en pleine liberté. Enfin, dans le vide du mythe du temps pur, et vierge de quoi que ce soit qui ressemble à ce qui nous touche, l’esprit – assuré seulement qu’il y a eu quelque chose, contraint par sa nécessité essentielle de supposer un antécédent, des « causes », des supports à ce qui est, ou à ce qu’il est, – enfante des époques, des Etats, des évènements, des êtres, des principes, des images ou des histoires de plus en plus naïves, qui font songer, ou qui se réduisent aisément à cette cosmologie si sincère des Hindous, quand ils plaçaient la Terre, afin de la soutenir dans l’espace, sur le dos d’un immense éléphant ; cette bête se tenant sur une tortue ; elle-même portée par une mer que contenait je ne sais plus quel vase…

Le philosophe le plus profond, le physicien le mieux armé, le géomètre le mieux pourvu de ces moyens que Laplace pompeusement nommait « les ressources de l’analyse la plus sublime», – ne peuvent ni ne savent faire autre chose.

C’est pourquoi il m’est arrivé d’écrire certain jour : Au commencement était la Fable !

Ce qui veut dire que toute origine, toute aurore des choses est de la même substance que les chansons et que les contes qui environnent les berceaux…

C’est une sorte de loi absolue que partout, en tous lieux, à toute période de la civilisation, dans toute croyance, au moyen de quelle discipline que ce soit, et sous tous les rapports, – le faux supporte le vrai ; le vrai se donne le faux pour ancêtre, pour cause, pour auteur, pour origine et pour fin, sans exception ni remède, – et le vrai engendre ce faux dont il exige d’être soi même engendré. Toute antiquité, toute causalité, tout principe des choses sont des inventions fabuleuses et obéissent aux lois simples.

Que serions nous donc sans le secours de ce qui n’existe pas ? Peu de chose, et nos esprits bien inoccupés languiraient si les fables, les méprises, les abstractions, les croyances et les monstres, les hypothèses et les prétendus problèmes de la métaphysique ne peuplaient d’êtres et d’images sans objets nos profondeurs et nos ténèbres naturelles.

Les mythes sont les âmes de nos actions et de nos amours. Nous ne pouvons agir qu’en nous mouvant vers un fantôme. Nous ne pouvons aimer que ce que nous créons. (...)»

Paul Valéry, « Petite lettre sur les mythes » dans Variété, « Etudes philosophiques », Œuvres, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade, Vol. 1, p. 963-967.