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Première de couverture de Terre ceinte © éditions Présence Africaine. Mohamed Mbougar Sarr. Copyright photo - Stand des livres et auteurs du bassin du Congo

Tous les professeurs du lycée Pierre d'Ailly sont fiers et heureux d'avoir eu Mohamed comme étudiant en Hypokhâgne, puis en Khâgne-Lettres modernes. Nous lui adressons nos amicales et sincères félicitations ! (Futurs Hypokhâgneux, lisez le billet daté du 16 juillet 2013 : témoignage de Mohamed sur son passage en prépa à Pierre d'Ailly)

Peu d’étudiants, en cours comme dans la vie quotidienne, ont à ce point manifesté un goût aussi profond pour la littérature et la réflexion, qu’elle soit littéraire, philosophique ou même politique. Son talent ne m’étonne pas, il me surprend et me laisse rêveur. Je lui souhaite le meilleur dans la poursuite de cette exigence qui est la sienne et qui commence à produire de beaux fruits.

RAC


EN 2014, la nouvelle de Mohamed Mbougar Sarr intitulée « La Cale » est déjà récompensée par le Prix de la Jeune Ecriture Francophone Stéphane Hessel (organisé par RFI et L’Alliance Francophone). Il publie aux Editions Présence Africaine son premier roman, Terre ceinte, qui a reçu au Salon africain de Genève le Prix Ahmadou Kourouma 2015.

SUR TERRE CEINTE EN PARTICULIER :


DISCOURS PRONONCÉ POUR LA RÉCEPTION DU PRIX KOUROUMA AU SALON DU LIVRE DE GENÈVE LE 1er MAI 2015.

Mesdames, Messieurs,

Sans cette fausse modestie qui est si souvent de mise en de pareilles circonstances, je voudrais dire combien je suis surpris et ému de voir mon livre recevoir un prix littéraire prestigieux, que tant de grands écrivains ont eu, et que tant d’autres auraient mérité d’avoir. Je souhaiterais donc, avant tout, remercier les membres du jury pour la distinction dont ils honorent ce roman, et pour leur indulgence à son égard.

C’est un grand écrivain qui donne son nom à ce prix. Je crois que tout auteur africain francophone, en même temps qu’il admire Kourouma, l’envie un peu. Car il a accompli ce que chaque écrivain rêve peut-être secrètement de faire : réinventer une langue littéraire. Je veux dire en cela que c’est à lui que nous devons l’introduction durable des registres burlesque et grotesque, du style baroque, du genre picaresque et du souffle oral dans l’esthétique du roman africain francophone postcolonial ; esthétique somme toute très classique jusque-là, à quelques exceptions près –je songe à Yambo Oueleguem, dont Le Devoir de Violence a été publié la même année que Les Soleils des Indépendances. Tous les grands romanciers qui ont, par la suite, redéfini les canons du récit et de la langue, qui ont mis l’extravagance, le corps, la folie, « l’hénaurme », la démesure, le comique, au service d’une critique politique, doivent, je crois, quelque chose à Kourouma. Le paradoxe, pourtant, est que celui-ci, après avoir éclaté le classicisme romanesque, est devenu à son tour un incontournable classique. Il n’est pas donné à tous les écrivains d’être à l’origine d’une modernité littéraire. Kourouma est notre Rabelais.

Je reçois ce prix avec le seul sens qu’il me semble possible de lui donner : le sens d’un encouragement. Cet encouragement m’est bien sûr adressé ; mais je veux croire qu’il est aussi envoyé à tous ces anonymes qui vivent dans une terre ceinte quelque part en ce monde, qui y composent avec la terreur et, trop souvent, en meurent. En écrivant ce livre, je pensais à eux, à tous ces visages inconnus qui, à l’ombre de « l’Histoire avec une grande hache », sont aux prises avec des drames quotidiens. Ces drames silencieux qu’aucune caméra ne filmera parce que, voyez-vous, ce n’est pas très sensationnel.

Je ne prétends cependant pas être un porte-parole, bien que l’époque encourage aux indignations fracassantes, aux dénonciations héroïques, aux engagements superbes. Devant les drames au large de la Méditerranée, les horreurs au Nigéria et en Afrique du Sud, les crimes au Kenya, grande est la tentation d’être dans une réaction sans lucidité. Pour ma part, devant la multiplication de ces tragiques événements, et malgré l’émotion, je tente de rester fidèle à l’écriture, à sa lenteur, à son léger mais nécessaire retrait. Mon seul engagement est esthétique. Je ne le dis pas par allégeance à l’art pour l’art ou je ne sais quelle conception gratuite de la création. Je crois simplement qu’un écrivain doit un temps se soustraire à la tyrannie de l’actualité si, dans le langage le plus juste, la plus loyale écoute de sa conscience, le plus libre exercice de sa sensibilité, il veut avoir une chance de dire sur le monde et sur les Hommes quelque chose qui se rapprocherait le plus d’une vérité. En ce sens, l’écrivain est doublement inactuel : il l’est parce qu’il a le privilège de la solitude et du silence, choses devenues rares et suspectes dans l’exercice de la pensée; et il l’est surtout parce qu’il s’occupe de forme dans un monde qui en a de moins en moins le souci.

J’aimerais remercier les Editions Présence Africaine pour leur confiance, mes amis pour leur soutien, ma famille, mes proches, mes frères et mes parents en particulier pour leur amour. J’espère qu’au Sénégal, ils sont fiers. Je leur dédie ce prix. Merci, enfin, au Salon africain de Genève, à Mme Pascale Kramer et Mr Boniface Mongo Mboussa, pour leur invitation. Je crois qu’un écrivain ne devrait jamais trop parler. Il devrait plutôt écrire. Je vais donc m’arrêter là.

Je vous remercie.

(Publié avec l'autorisation de l'auteur)


LE MONDE Afrique (4 MAI 2015)

Le roman d’un jeune Sénégalais, Terre ceinte, reçoit le prix Kourouma 2015

Catherine Morand (contributrice Le Monde Afrique, Genève)

«Le Salon africain du livre de Genève a fermé ses portes dimanche 3 mai. Point d’orgue de ce rendez-vous incontournable des lettres africaines : la remise du prix Ahmadou Kourouma au sénégalais Mohamed Mbougar Sarr pour son premier roman « Terre ceinte ». Un livre magnifique qui nous fait pénétrer au cœur de l’âme des habitants d’une petite ville sahélienne, sous la coupe de milices islamistes qui font régner le silence et la terreur. Son nom ? Kalep, sorte de contraction entre Kidal au Mali et Alep en Syrie. Il ne s’agit cependant pas d’un roman « à la mode », qui surferait sur la vague de l’« actualité djihadiste ». Non, « Terre ceinte » rejoint l’universel, en posant la question de savoir comment chacun de nous réagirait dans une situation de tyrannie et d’oppression - collaboration, résistance, lâcheté, héroïsme – sans proférer le moindre jugement.

Lorsqu’on rencontre le lauréat du Prix Kourouma 2015, l’intensité et la profondeur de ses propos surprennent de la part d’un si jeune homme, qui fêtera ses 25 ans le 20 juin prochain. Cette gravité a également marqué le public présent au Salon africain du livre, lors de l’hommage rendu par Mohamed Mbougar Sarr à l’écrivain ivoirien Ahmadou Kourouma, reçu des mains du professeur Jacques Chevrier, président du jury : « Tout auteur africain francophone, en même temps qu’il admire Kourouma, l’envie un peu ; car il a accompli ce que chaque écrivain rêve peut-être secrètement de faire : réinventer une langue littéraire ». Il a enchaîné en dédiant son prix « à tous ces anonymes qui vivent dans une terre ceinte quelque part en ce monde, qui y composent avec la terreur et, trop souvent en meurent (…), ces drames silencieux qu’aucune caméra ne filmera parce que, voyez-vous, ce n’est pas très sensationnel ».

L’élément déclencheur qui lui a donné envie d’écrire « Terre ceinte » fut l’exécution d’une jeune fille et d’un jeune homme maliens, mis à mort pour s’être aimés sans être mariés. Même s’il n’a jamais mis les pieds à Bamako ou à Tombouctou, il s’est alors immergé dans cette réalité. « Il était important pour moi de mettre en scène toutes les formes de sentiments qu’on peut ressentir dans un univers assiégé, où règne la peur, décrire l’instinct de survie, de résistance, autant de sentiments qui se mêlent et dont mes personnages sont le reflet », raconte-t-il d’une voix posée, en buvant un thé à la menthe dans le brouhaha du salon du livre de Genève.

Mais que pense-t-il de ces nombreux jeunes qui en Afrique s’engagent aux côtés de groupes islamistes armés et autres Boko Haram ? Selon lui, la responsabilité des dirigeants africains est écrasante, incapables qu’ils sont d’offrir un avenir à leur jeunesse, privée de formation et de travail. « De nombreux jeunes n’ont aucune perspective ; ils se laissent alors séduire par des discours religieux intégristes, qui semblent porteurs de solutions à leurs problèmes, ou alors cherchent à gagner l’Europe, au péril de leur vie », constate-t-il, tout en relevant que les islamistes intégristes « détruisent les manuscrits, les bibliothèques, parce qu’ils n’aiment pas le savoir » – une réalité qu’il met précisément en scène dans son livre.

Né à Dakar, Mohamed Mbougar Sarr a, lui, passé son enfance à lire une vaste palette d’écrivains, de tous horizons, qui ont inspiré ses réflexions, et l’ont poussé à écrire à son tour. Une de ses nouvelles intitulée « La cale » a reçu l’année dernière le prix Stéphane Hessel 2014. Il poursuit actuellement ses études en France à l’École des Hautes études en sciences sociales, et prépare une thèse de doctorat sur la question du corps, dans le contexte du génocide rwandais. Un écrivain est né, une jeune pousse prometteuse, à suivre absolument.»