« J’allume une cigarette et je remonte vers le nord. J’ai l’impression que ma barbe est comme un chien que je dois promener. Elle me précède, comme si elle connaissait le chemin jusqu’à mon appartement. »
Il y a cinq parties : New York, Los Angeles, Sotogrande, Pittsburg, Ici et là, où l’on voit que si Saul Karoo a envisagé de faire disparaître des librairies une bonne partie de la littérature y compris les écrits de voyage, son histoire n’est elle-même pas exempte d’une dimension géographique. Chacune des parties est subdivisée en un nombre inégal de chapitres, eux-mêmes subdivisés en sous-chapitres de nombre et de longueur inégaux. Les quatre premières sont écrites à la première personne. La dernière, où Saul, qui a joué à Dieu, s’efface progressivement, à la troisième personne.
Karoo est un roman absolument singulier. Comme objet d’abord, belle couverture en mince cartonnage « natural sable de 350 grammes imprimé en offset, puis méchamment frappé pour lui faire payer », comme l’indique son colophon ( ?). Où l’on voit que l’éditeur ne manque pas d’une sorte d’humour à la Vian, jusque dans les plus petits détails. Ladite couverture est sobrement et bellement illustrée d’un couple d’hommes sans tête face à face, un couple de doubles saisi en plan italien, plus ou moins, et en train d’échanger des coups (Saul et Paul, le mauvais et le bon fils dans le délire pre mortem du père Karoo). Outre le titre, le nom de l’auteur et les nom et emblème de l’éditeur : un cheval ailé pour Monsieur Toussaint Louverture, le dos porte une citation du roman sur les rapports respectifs de la vérité et du mensonge avec la condition de l’homme moderne. Si je consacre autant de temps à décrire le livre, c’est que cela fait partie du plaisir de la lecture, et que cela tranche avec une tendance actuelle de l’édition française aux couvertures les plus calamiteuses. Je projetais de mettre Karoo en regard d’Une seconde vie, de Dermot Bolger, qui dans le genre peut prétendre au prix de la couverture la plus moche et la plus hors de propos. Mais je n’ai plus d’appareil photo…
Comme texte, ensuite. Il est étrange de rester suspendu(e) aux pensées et aux aventures d’un personnage aussi absolument antipathique.