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dimanche, mars 6 2011

La Couleur des sentiments ("The Help") de Kathryn Stockett

J’avais une amie qui s’appelait Marthe Wencelius. Elle était vive et mince, pleine de passion sous ses cheveux gris  coupés courts. Je l’avais rencontrée aux cours de maîtrise de Didier Pralon, qu’elle suivait aussi, pour le plaisir. Elle était prof de philo à la retraite, et la dernière fois que je l’ai vue dans sa merveilleuse maison de Lourmarin au bout d’un champ caillouteux cette fois-là rouge de coquelicots, elle avait perdu la mémoire immédiate, je crois qu’elle ne savait plus qui j’étais, mais elle savait réciter par cœur, en grec ancien, des poèmes de Sappho. Marthe avait enseigné aux Etats-Unis, et elle m’avait raconté – nous passions ensemble à Lourmarin des séjours à lire à haute voix Cendrars devant la cheminée ou à boire du champagne avec une paille d’herbe sèche, en riant comme des écolières – elle m’avait raconté que lorsque son fils était petit enfant, elle avait un jour trouvé leur « bonne » ? domestique noire lui montrant dans sa baignoire que leurs deux bras, couleur mise à part, étaient exactement semblables. Elle montrait à cet enfant, alors qu’il était encore accessible à un amour sans calcul, qu’il n’y avait pas de différence d’humanité  entre eux. Qu’un homme est un homme, quelle que soit la couleur de sa peau. Marthe est morte fin mai 2009, très âgée, je viens de le découvrir en ayant tout à coup l’idée de la chercher sur google. Que cette chronique salue sa mémoire, son hospitalité chaleureuse, et les  moments de bonheur qu’elle a offerts à la jeune femme que j’étais. Il y a toujours à la maison un cendrier huître fossile. C’était une coutume, aux Coustières, que d’utiliser les innombrables huîtres que donnait la terre comme cendriers.

J’évoque ce souvenir de Marthe à propos de ma dernière lecture, La Couleur des sentiments (The Help), de Kathryn Stockett, publié en 2010 chez Jacqueline Chambon, éditrice liée à Actes Sud. C’est mon amie Isabelle (ma plus « vieille » amie), qui me l’a prêté. Et tel en est le sujet : la façon dont, peut-être, l’amour donné par les femmes noires aux enfants des Blancs contribuera, un jour, à faire d’eux autre chose que des racistes de père-et-mère en fils-et-fille. Le roman tisse les voix de trois femmes : deux domestiques noires, une jeune femme blanche.

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