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vendredi, mai 29 2009

Pontalis - Vernant - Quelques notes amères

Un petit texte, extrait du chapitre « Le Sens de l’amitié » dans le dernier opus de Jean-Bertrand Pontalis : Le Songe de Monomotapa, chez Gallimard. Le chapitre entier est consacré à Vernant. Et l’ouvrage, comme le suggère le titre, est une réflexion tissée de souvenirs sur l’amitié.

Décembre 2006, un soir à la Maison de l’Amérique Latine. Il y a été invité à parler d’un livre, non de l’un des siens, mais de celui d’un ancien et fidèle camarade, Victor Leduc. Quand il pénètre dans la salle, il peine à marcher, on le soutient, il paraît épuisé – il l’est. Et voici qu’une fois devant sa table il commence à parler : voix forte qui pourrait être celle d’un tribun, articulation parfaite, mots justes trouvés sans la moindre hésitation. Pas d’emphase, pas d’effets de style, mais une parole claire, directe, comme destinée à toucher chacun de nous, une parole portée par un puissant désir de convaincre, ou plutôt de transmettre. Vernant, on le sait, fut un professeur incomparable, du lycée Fermat de Toulouse jusqu’au Collège de France. Une mémoire vivante aussi, celle qui rend le passé présent.

Après une heure, il s’en alla comme il était venu, à bout de forces. Je sus, ce soir-là, que je ne le verrais plus. De fait, il mourut, quelques semaines plus tard, le 9 janvier 2007. Il avait quatre-vingt-treize ans.

Il n’a pas d’âge.

Cette voix-là s'est tue. L'obstination qu'il avait mise à transmettre, aussi, la culture classique, sur laquelle il avait tant contribué à jeter un regard neuf, dont il avait tant souligné combien elle éclairait le présent, a rencontré un verdict, prononcé par un homme visiblement nourri de certitudes, M. lycée-pour-tous, Richard Descoings, dont le Bondyblog a publié les propos suivants, prononcés au cours d'une des "consultations" qu'il multiplie en ce moment :

RD : "-On va donc remettre du latin et grec pour tout le monde en France ? On va retourner au lycée d’il y a 50 ans ? Arrêtez ! Ce n’est pas possible.

- Vous partagez donc, sur ce point, l’esprit de la réforme que Xavier Darcos souhaitait mettre en œuvre, qui prévoyait un renforcement du français au détriment, précisément, de ces options dites rares ?

RD : Ça vous paraît choquant de renforcer le français ? La principale source d’inégalités des jeunes face au lycée, ce sont les classes à 35 élèves, dans lesquelles se retrouvent les enfants des familles des classes populaires. Chaque fois qu’on a pu, on a multiplié les options et les différenciations des voies. Or plus vous différenciez les parcours, plus vous créez l’inégalité. Il y a un développement des options, porté par les classes dirigeantes, porté à juste titre par les milieux intellectuels. Jacqueline de Romilly, de l’Académie française, appelle tous les deux ou trois ans au retour du grec, qui est une merveilleuse façon, effectivement, d’ouvrir l’esprit vers la culture. Mais, quitte à me fâcher avec les élites, je le dis tout de suite : on ne reviendra pas au grec ancien pour les lycéens. Veut-on plus d’égalité pour tous ou plus de choix pour certains ? Plus de réussite pour tous ou plus de réussite pour une petite proportion des jeunes Français ?

- Où vous situez-vous dans la querelle des « anciens et des modernes » qui s’opposent sur la façon d’enseigner la littérature ?

_ Tous les jeunes peuvent découvrir la littérature. Mais pour avoir accès à la littérature, il faut maîtriser les fondamentaux du français, et cela vaut pour toute littérature et toute langue étrangère. Ce que je veux dire, c’est que parfois, chez certains jeunes, l’enseignement traditionnel du « Cid » ou de « Phèdre », ça ne passe pas. Ils décrochent. En revanche, si on leur permet de jouer cette pièce, dans le cadre d’un atelier théâtre, par exemple, le goût de la littérature revient."

Kechiche a bien fait (pour Phèdre et Le Cid), de tourner "L'Esquive". Déplorons qu'il n'ait pas eu l'occasion de tourner, par exemple La Mostellaria ou la comédie du fantôme, ça aurait peut-être rendu service aux centaines de professeurs (fantomatiques, sans doute, car on ne les entend pas) qui enseignent avec passion et conviction, contre vents et marées et surtout contre leur propre ministère de tutelle, partout en France et aussi en banlieue, les langues anciennes et la culture classique à des dizaines et des centaines de lycéens (certes pas TOUS, qui a parlé de cela ?) - qui n'ont RIEN à voir avec les élites. Voilà leur sort réglé, par diktat.
De profundis.