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mardi, mars 2 2010

Herta Müller – "L’Homme est un grand faisan sur terre"

C’est le veilleur de nuit, qui veille sur le moulin en l’absence de Windisch, qui le dit, et Windisch reprendra le propos, un peu plus tard.
Très brève histoire, constituée de très brefs chapitres dont les titres évoquent… des intertitres de films muets ? Tout comme les personnages, petites gens d’un village de la Roumanie de Ceausescu, ont le rythme mécanique des personnages de ces films. Tous rêvent de partir vers l’Ouest, en Allemagne, puisqu’ils sont pour la plupart d’origine allemande, et tous font ce qu’il faut pour : c’est-à-dire corrompre les fonctionnaires requis, et, en fin de compte, puisqu’il n’y a que cela qui marche, coucher avec le curé et le policier. Comme la femme de Windisch est trop vieille, c’est leur fille Amélie qui y passera.
L’évocation de la nature, omniprésente, inquiétante, magique, avec ses chouettes, la lune sur l’étang, les fleurs desséchées par la chaleur, le pommier dévoreur de pommes, est très picturale, suggestive, musicale. Celle des intérieurs aussi, avec leurs lumières sur la nuit, leurs objets, presqu’animés d’une vie autonome, le coucou, le couteau, l’aiguille, les tableaux, les draps, la vaisselle, une larme de verre à remplir avec de l’eau de pluie. Il y a souvent une intense dimension onirique dans les scènes contées. Mais nature et objets ont en quelque sorte le même degré de vie, d’indépendance, de sens moral ? de liberté même, que les êtres vivants. Il y a dans les personnages quelque chose de machinal qui m’évoque le Wozzeck de Berg. « Densité de la poésie et franchise de la prose », a dit le comité Nobel, qui a accordé le prix de littérature l’an dernier à Herta Müller (Allemande née en Roumanie, émigrée à Berlin, et dont le nom signifie « meunier »). C’est juste. Mais il y a dans cette musique blanche d’un univers où nature, êtres et objets sont quasi dotés du même relief ou écrasés de la même manière, dans le rythme de ces phrases morcelées en éclats, de cet omni-présent qui aplatit tant le passé que l’avenir, une sorte de tragique trivial et neutre qui étouffe. Comme une sécheresse humaine, qui donne envie de s’ébrouer.
C’est chez Maren Sell, en poche.