Rosamond Lehmann - Poussière

Le bonheur de lire les romancières anglaises. Jane Austen, les sœurs Brontë - les trois -, George Eliot (il faudra que je relise Le Moulin sur la Floss), Mary Webb, Daphné du Maurier, Elizabeth Goudge, Shirley Hazzard… Et entre hier et aujourd’hui, Rosamond Lehmann, Poussière (Dusty Answer).  Je suis sûre que ce bouquin devait être à la bibliothèque du lycée Montgrand, tant son titre accolé au nom de son autrice – le traducteur de Poussière écrit « autoresse », why not ? - m’est familier. Mais je suis sûre de ne l’avoir jamais lu, jusqu’à aujourd’hui, où je l’ai dévoré.

Il y a les cinq cousins de la maison voisine : les garçons : Julien (Julian ? most probably), Martin, Charlie et Roddy – et leur cousine Mariella, et puis l’héroïne, Judith, enfant solitaire et incertaine d’elle-même, méditative et studieuse, intensément proche de la nature aussi, de la splendeur de son jardin, dans une intimité sensuelle avec la rivière, où elle nage la nuit, l’étang, où elle patine à perdre haleine, ou les arbres, qu’elle est capable d’escalader jusqu’à leur faîte. Cette merveilleuse façon qu’ont les Anglais(e)s d’évoquer la nature, dans une langue riche, charnue, foisonnante.

« C’était un jour sans soleil. Une lumière voilée tombait sur la campagne comme à travers une vitre faiblement teintée de bleu, sous laquelle le printemps se tenait immobile, retiré, aussi fixe qu’une peinture. Le vert tendre de la prairie où ils étaient réunis s’entourait du vert ardent et doux de la petite haie ; sur cette haie, l’épine noire jetait, en larges éparpillements, son tissu de neige fragile. Au-delà du pré, une coupe de mélèzes était tout illuminée de panaches de feu vert ; et sur sa bordure, purs contre le brun-violet des tronc enchevêtrés, un ou deux arbres juvéniles déployaient leurs feuilles nouvelles, comme un vol de phalènes arrêté dans son essor. Partout régnait le vert prodigue et débordant, étouffé, accablé sous le poids de la vie, et paisible, replié sur lui-même consumant son propre cœur. Partout la floraison blanche, dans son ascension légère, se libérait de ses attaches avec la terre et son enfantement douloureux : et flottant par les airs, ne gardait qu’un secret, celui de la beauté, ignorant tout, n’exprimant rien. »

Les enfants grandissent, et le roman suit les méandres capricieux, perplexes et mélancoliques du sentiment qui attire trois des garçons vers Judith, alors qu’elle s’efforce en vain de comprendre le lien, si lien il y a, qui la lie au quatrième, l’indéchiffrable et équivoque Roddy. A son enfance solitaire vont succéder trois années d’études à Cambridge, que voici évoquée, nocturne : « Ensuite, c’était la sortie dans une ville étrange absorbée par la brume. Des faces pâles, surprenantes, devenaient visibles en passant sous les lumières, puis s’évanouissaient. Les édifices montaient, sans forme, dans le ciel dense, décelés par des fenêtres vaguement éclairées et des lampes perdues au seuil des grandes portes. La vie de Cambridge était couverte d’un épais linceul ; mais sous ses plis, on la sentait frémir plus vivante que jamais ; étrangement pesants, des rires, des paroles tombaient des fenêtres ; on aurait dit que la ville, conviant ses enfants à dormir, avait tiré les rideaux, mais que par derrière, éveillés à l’heure du sommeil, ils continuaient de jouer ». Cambridge, où elle rencontre Jennifer, fantasque et radieuse amie passionnément aimée. A la fois subtile et naïve « Judy » à l’intuition toujours en éveil, et pourtant aveugle aux ambiguïtés de l’inclination sexuelle – laquelle on ne pouvait évoquer que par allusions, sans doute, dans l’Angleterre des années 20-30.

Poussière est une éducation sentimentale. C’est le livre d’une toute jeune femme, 26 ans, semble-t-il, lorsqu’elle publia ce premier roman. Et si le titre en dit assez la tristesse désenchantée, je l’ai quant à moi dévoré, envoûtée.

Commentaires

1. Le mercredi, avril 24 2013, 11:35 par Dominique

je me souviens encore de ma lecture, j'étais adolescente et j'en garde un excellent souvenir, du coup cela ramène à la surface les livres d'Elizabeth Goudge et son pays du dauphin vert .....

2. Le mercredi, avril 24 2013, 12:06 par Agnès

Quant à moi, je vais me mettre en quête de George Eliot. J'ai un souvenir assez vif de Silas Marner, je me souviens d'un éblouissement, en anglais, pour The Mill on the Floss, et je n'ai pas lu Middlemarch.

Yours,

A.

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