Shalom Auslander - La Lamentation du prépuce

Tiens, c’est bizarre, si c’est bien la cathédrale de Limoges qu’on aperçoit du quai de la gare – j’en ai un souvenir, mais c’était à pied et côté face -, ils ont dû la trouver trop sombre – ainsi était-elle dans mon souvenir – alors ils ont collé une sorte de rubixcube vertical le long de la paroi est. Le fond du chœur, quoi, qui a dû être coupé à un moment ou à un autre, parce qu’il est tout plat. Mais non, ce n’est-ce pas la cathédrale, finalement.

Quoi qu’il en soit, c’est la première chose que j’aie vue en levant le nez de mon bouquin, La Lamentation du prépuce, de Shalom Auslander, qui équivaut donc à un Paris-Limoges, 3 heures et demie, plus ou moins.

Car oui, j’ai voulu voir ce que donnait le premier livre, réputé hilarant, d’Auslander. Dans un compartiment SNCF, avec à peine un embryon de table où s’appuyer, et plus jamais les petites photos en noir et blanc accrochées qui faisaient découvrir la France.

Eh bien, La Lamentation du prépuce. J’ai bien ri - pas à gorge déployée dans mon compartiment d’ « Intercités » - mais j’ai sacrément pouffé. C’est une sorte de grand flashback de Shalom le pessimiste englué dans ses conversations avec Dieu, aux alentours – avant, après, pendant – de la naissance de son fils Pax (un Shalom laïcisé). A certains égards, ce texte a constitué pour moi une sorte de revers comique – juif, et excessif – d’Emmaüs de Baricco. Même frénésie religieuse, même angoisse de la chair, mais en pire côté juifs orthodoxes. Un univers d’interdits et de ratiocinations. De subtilités byzantines pour baliser entièrement les bizarreries du monde, par exemple dans le domaine alimentaire. Et au milieu, des enfants pleins d’obsessions et de terreurs, destinés, si tout va bien (mal ?) à perpétuer de génération en génération interdits et subtilités byzantines, au mépris de toute souplesse, de toute fantaisie, de toute bienveillance, de toute ouverture.

             Seuls remèdes, seules révoltes : l’injure / le juron, la scatologie, l’humour.

 Un petit échantillon :

         « Le concours des bénédictions fonctionnait de la même façon que ceux d’orthographe.

Il existe six bénédictions sur les aliments : ha-motsé, bénédiction pour le pain ; mezonot, bénédiction pour le blé ; ha-guefen, bénédiction sur le vin ou le jus de raisin ; ha-ets, bénédiction pour tout ce qui pousse sur les arbres, ha-adamah, bénédiction pour tout ce qui pousse de la terre, et ché-ha-col, la bénédiction pour tout le reste.

Un bagel ? Ha-motsé.
Un bol de porridge ? Mezonot.
Un plat de gefilte fish, la carpe farcie ? Ché-ha-col, la bénédiction des inclassifiables.

Mais ça encore, c’est facile. Les choses commencent à se compliquer sérieusement dès qu’on se met à mélanger les catégories d’aliments, car certains sont jugés plus importants que d’autres et reçoivent donc la priorité dans la bénédiction. Et pour corser le tout, certaines bénédictions ont la primauté sur d’autres et doivent être récitées en premier. C’est à ce moment-là qu’ils ont séparé les hommes des goyim:
Spaghettis et boulettes de viande ? Mezonot, la bénédiction sur le blé, suivie de ché-ha-col, la bénédiction pour tout le reste.
Céréales et lait ? D’abord ché-ha-col pour le lait, et ensuite mezonot pour le blé contenu dans les flocons.
Et un Twix, cette barre en chocolat avec différents éléments croustillants ? question-piège, puisque le Twix n’est pas cachère. Mais si on prend le cas d’une friandise cachère fourrée de fruits, de noisettes ou autres, la bénédiction va dépendre de la raison pour laquelle vous la mangez. Si c’est explicitement pour ce qu’elle contient, alors il faudra réciter la bénédiction correspondant à l’aliment principal. Mais si c’est surtout pour le chocolat que vous avez pris cette barre, vous devez d’abord dire ché-ha-col sur le chocolat, suivie de la bénédiction adaptée au contenu de ladite barre. Théologiquement parlant, les confiseries ne valent pas le coup.»

Ce qui donne, quelques jours plus tard, alors que Shalom est resté seul en lice avec un condisciple pour la fin du concours :

          « -  Auslander Shalom ! a beuglé Rabbi Kahn. – J’ai fait un pas en avant. Glace!  Glace en cornet !

Glace en cornet, glace en cornet... la crème glacée, je savais, mais pourquoi diable avait-il précisé « en cornet » ? Est-ce que cela modifiait la bénédiction ? Avec quoi fabrique-t-on un cornet de glace, d’ailleurs ? Était-ce assimilable à un gâteau, à une gaufrette ?
-   Glace en cornet ! a beuglé de nouveau Rabbi Kahn.
-   Euh, hum... c’est un cornet en chocolat ou un cornet normal ?
-   En chocolat ! a-t-il beuglé. Évidemment que c’est en chocolat !

Est-ce que la glace prévaut sur le cornet ? Est-ce que le cornet l’emporte sur la glace ? Puisque la plupart des calories viennent de la crème glacée, celle-ci devrait être prééminente, non ? Les calories ont-elles un rôle à jouer là-dedans ? Et si le cornet est en chocolat, ne peut-il pas être l’objet principal de votre désir, donnant à la glace une place de moindre importance ? Et si des paillettes de chocolat sont saupoudrées là-dessus, Seigneur ?

-   GLACE EN CORNET !
-   Glace en cornet ! ai-je finalement repris. Pas de bénédiction.
Tout le monde s’est retourné pour m’observer.
En y repensant après coup, j’ai conclu que le rabbin ne m’avait pas laissé de choix.
-   « Pas de bénédiction » ? Pourquoi pas de bénédiction ?
-   Parce que, ai-je commencé en jouant nerveusement avec les longues tresses de mes tsi-tsit... Parce que cette classe sent le caca. »

            Je vous laisse découvrir le pourquoi de cette réponse pour le moins inattendue, mais non incongrue, semble-t-il.

Ça grince sérieux, le soliloque interminable de Shalom avec Dieu, ce ‘type’ supérieur qui voit tout, qui sait tout, avec qui tout se négocie, ou tente de se négocier. L’interminable scénario catastrophe que ses manquements délibérés  à la loi religieuse lui font sans cesse imaginer, même après avoir cessé de pratiquer, même après avoir rencontré la femme de sa vie, est la matière même de cette étrange autobiographie, à peine voilée de quelques altérations... Ce qui, au bout d’un moment, malgré les éclats de rire étouffés que provoquait telle ou telle saillie, m’a renvoyée à ma question habituelle : quelle est la légitimité d’une telle exhibition de soi, si elle n’est pas filtrée par la fiction ? Le lecteur se retrouve forcément en position de voyeur, voire de critique ou de censeur. Si l’auteur est longuement passé par le divan d’un psychanalyste (Ike), pourquoi prendre ainsi son lecteur à témoin ?

Quoi qu’il en soit, et cette réserve faite, ce livre est :

1.      Drôle, quoique complaisant.

2. Particulièrement intéressant comme document anthropologique, pour ce qui concerne la façon dont les milieux intégristes religieux suscitent les pires obsessions, névroses, inhibitions, égocentrismes, fermeture totale au cours du monde comme il va.

3.     Et parfois, comme talent satirique.

Le monde allant comme il va, on peut s’inquiéter de la prolifération des intégristes (il y avait déjà un concours et ce genre d'attitudes dans Wadjda). La proportion des créatifs qu’ils vont engendrer risque de ne pas faire le poids face aux .... cf 2.

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