Anthony Trollope back ! Le Docteur Thorne

Le Docteur Thorne a été acquis par la bibliothèque municipale sans doute début mai. Le temps que je m’en aperçoive et qu’il soit enregistré – on ne peut pas réserver une ‘nouveauté’ - il était sorti ! je ne sais pas qui est mon (ma) rival(e) en Trollope à Amiens… Le fait est que ce roman ardemment attendu n’est revenu qu’à la date dite – le 15 juin ! -. Aussitôt lu, 507 pages plus les notes, terminé ce matin. C’est chez Fayard, février 2012.

Le Docteur Thorne est le troisième volume des Barchester novels, après Le Directeur et Les Tours de Barchester chroniqués autour de Noël dernier. Je m’étais arrêtée en pleins Palliser novels, mais pour l’instant pas d’Antichambres de Westminster (Phineas Redux), ni de Premier Ministre disponible à l’achat – du moins à la bibli, parce que Trollope, c’est une rente !). Retour donc dans le Barsetshire, et d’ailleurs, le duc d’Omnium fait deux brèves apparitions, et l’on aperçoit le docteur et Mrs Proudie, et la belle Eleanor devenue Mrs Arabin, à la toute fin du roman.

Il paraît que Le Docteur Thorne (1858) a été du vivant de Trollope l’un de ses plus grands succès, trente-quatre fois réimprimé entre 58 et 82, date de la mort de l’auteur. Je crois que je ne partage pas cet enthousiasme. Non que le roman m’ait déplu, puisque je l’ai lu d’une traite ou presque. Mais il me semble que Trollope n’y est pas au mieux de sa forme : le début  - la situation des familles Gresham et Thorne à la majorité de Frank, le jeune héros - est trop long, un peu filandreux, et somme toute pas très utile. On sent pointer le dénouement beaucoup trop longtemps à l’avance, sans qu’il y ait de péripétie ou de rebondissement, et surtout, et quel que soit mon goût pour la verve satirique de Trollope, il y a trop de scènes comiques en quelque sorte ‘collées’ dans le fil de l’action, et qui la ralentissent en vain. Des figures caricaturales aperçues dans d’autres romans de la série y prennent à mon avis une place excessive, sans pour autant y acquérir d’épaisseur : le docteur Fillgrave au nom si suggestif (‘Combletombe’ ?) fait sourire si on le croise au détour d’une allusion. S’il devient un personnage à part entière, et qu’on le croise à plus d’une reprise, il y a conflit entre la caricature et le personnage. D’autant qu’il est flanqué d’une cohorte de confrères aux noms tout aussi cocasses comme les docteurs Century (‘Siècle’), ou Omicron Pie.

Autre cohorte, celle des hommes de loi, MM. Slow et Bideawhile (‘Lent’ et ‘Un moment’), Gumption (‘Débrouille’), Gazebee (‘Bâille-aux-abeilles’ ?), Haphazard et Neversaye Die (‘Au-hasard’ et ‘Ne-pas-désespérer’). J’en oublie, mais on voit que Trollope n’a pas lésiné sur l’épigramme. Sauf que l’imbroglio juridique n’en est pas vraiment un (et l’auteur se dédouane des éventuelles critiques en proposant à ses confrères de salarier un conseil juridique en intrigues romanesques), et que la digne et honorable figure du docteur perd en profondeur à être à la croisée des intrigues sentimentale et sociale d’une part, et juridique de l’autre.

Quoi qu’il en soit, il y a, outre le docteur (un bon docteur, médecin de famille qui sonde les corps et les cœurs, et fabrique lui-même ses remèdes pour le plus grand scandale de ses confrères chics), et dont les allées et venues à pied, à cheval, en voiture attelée ou en train sont en quelque sorte la navette qui entrelace les fils de cette tapisserie provinciale, quelques charmantes jeunes filles, une belle figure de femme libre (mes préférées chez Trollope), et un jeune héros en proie aux incertitudes et aux certitudes de l’amour naissant, et autour duquel s’organise toute l’intrigue : Frank Gresham, dont le patronyme dit le conflit qui est le sien entre franchise (son prénom) et feinte (sham), celle imposée par l’univers éminemment aristocratique auquel appartient sa mère, lady Arabella née de Courcy. Épousera-t-il son amour d’enfance, la délicieuse Mary Thorne, nièce bâtarde du docteur - une fameuse épine (thorn) plantée dans le cœur de mère de lady Arabella -, ou « une fortune » ? L’expression revient de façon lancinante au long des conversations et débats interminables initiés par la hautaine cousine de Courcy autour du morcellement des terres de Greshamsbury et de la situation matrimoniale à venir de Frank. Lequel a bien des frères en intermittences du cœur masculin chez Trollope (Phinéas Finn ou un autre Frank, Greystock, le cousin de Lizzie dans Les Diamants Eustace, ou encore le Fred Neville d’Œil pour œil), et Mary des sœurs en instabilité sociale, découverte éperdue de l’amour, et sentiment aigu de leur dignité d’êtres humains. Ces deux-là sont faits l’un pour l’autre, et l’on prend plaisir à s’émouvoir de leur aventure, même si le happy end se flaire de trop loin, au détriment de la part d’intrigue dévolue aux pittoresques Scatcherd père, mère, et fils. Il y a aussi de belles scènes d’amitié, masculine et féminine, et surtout un passionnant tableau de la complexe société victorienne en pleine mutation, qui voit couronner baronnet un ex-repris de justice, et laisse bien plus que dans l’univers de Balzac bouger les lignes entre les différents mondes. Médecin de campagne à l’anglaise, le docteur Thorne est un intéressant personnage d’humaniste, encore célibataire à la fin de l’intrigue, ce qui obligera les lecteurs à attendre la parution de la suite, Le Presbytère de Farmley. Attendons, en goûtant du regard la transparence de l’étole à larges bandes de soie bleue de la jeune personne au visage figé qui illustre la couverture du roman chez Fayard : Arthur Hugues, April Love, 1856, à la Tate Gallery.

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