Balzac - Madame Firmiani

Ça y est, j’ai enfin été présentée à Madame Firmiani, sur les pas de l’oncle à héritage d’Octave du Camps, le bon monsieur de Bourbonne, alias M. de Rouxellay - du nom du bois de peupliers qu’il entretient précieusement pour assurer les revenus de son neveu. Venu à Paris pour enquêter lui-même sur la ruine dudit neveu, ruine que la rumeur publique attribue à une certaine madame Firmiani, l’une des reines du Faubourg Saint Germain, le vieux gentilhomme de Touraine se présente donc tout à trac en une fin de soirée à la belle dame, et tâche en vain d’éclaircir le mystère - d’où il repart conquis et perplexe. C’est Octave en sa mansarde où il prépare ses cours de mathématiques qui lui donnera le fin mot de l’histoire – très romanesque.
Cette nouvelle est le pendant souriant et positif de L’Interdiction, et peut-être aussi du Colonel Chabert, mais chut ! je n’en dirai pas plus. Régalez-vous d’abord en ouverture de l’éblouissant ballet des « Espèces » ou des « genres qui composent la monographie du Parisien », et que Balzac fait pirouetter tour à tour sur le devant de la scène, « trois ptits tours et puis s’en vont », chacun ayant d’abord apporté sa version du portrait de la belle patricienne, car madame Firmiani est une Cadignan, cousine par alliance de Diane célébrée dans un billet récent.
« Ainsi, vous eussiez demandé à un sujet appartenant au genre des Positifs : – connaissez-vous madame Firmiani ? cet homme vous eût traduit madame Firmiani par l'inventaire suivant :

un grand hôtel situé rue du Bac, des salons bien meublés, de beaux tableaux, cent bonnes mille livres de rente, et un mari, jadis receveur-général dans le département de Montenotte. Ayant dit, le Positif, homme gros et rond, presque toujours vêtu de noir, fait une petite grimace de satisfaction, relève sa lèvre inférieure en la fronçant de manière à couvrir la supérieure, et hoche la tête comme s'il ajoutait : Voilà des gens solides et sur lesquels il n'y a rien à dire. Ne lui demandez rien de plus ! Les Positifs expliquent tout par des chiffres, par des rentes ou par les biens au soleil, un mot de leur lexique.
Tournez à droite, allez interroger cet autre qui appartient au genre des Flâneurs, répétez-lui votre question : – Madame Firmiani ? dit-il, oui, oui, je la connais bien, je vais à ses soirées. Elle reçoit le mercredi ; c'est une maison fort honorable. Déjà, madame Firmiani se métamorphose en maison. Cette maison n'est plus un amas de pierres superposées architectoniquement ; non, ce mot est, dans la langue des Flâneurs, un idiotisme intraduisible. Ici, le Flâneur, homme sec, à sourire agréable, disant de jolis riens, ayant toujours plus d'esprit acquis que d'esprit naturel, se penche à votre oreille, et, d'un air fin, vous dit : – Je n'ai jamais vu monsieur Firmiani. Sa position sociale consiste à gérer des biens en Italie ; mais madame Firmiani est Française, et dépense ses revenus en Parisienne. Elle a d'excellent thé ! C'est une des maisons aujourd'hui si rares où l'on s'amuse et où ce que l'on vous donne est exquis. Il est d'ailleurs fort difficile d'être admis chez elle. Aussi la meilleure société se trouve-t-elle dans ses salons ! Puis, le Flâneur commente ce dernier mot par une prise de tabac saisie gravement ; il se garnit le nez à petits coups, et semble vous dire : – Je vais dans cette maison, mais ne comptez pas sur moi pour vous y présenter.
Madame Firmiani tient pour les Flâneurs une espèce d'auberge sans enseigne. »

Il y en a comme ça tout un carrousel, délectable tout autant que gratuit, d’où émerge l’image kaléidoscopique et décousue de l’héroïne :

en ce « mois de janvier 1824, (il se répandait ) tant d'opinions différentes sur madame Firmiani qu'il serait fastidieux de les consigner toutes ici. Nous avons seulement voulu constater qu'un homme intéressé à la connaître, sans vouloir ou pouvoir aller chez elle, aurait eu raison de la croire également veuve ou mariée, sotte ou spirituelle, vertueuse ou sans mœurs, riche ou pauvre, sensible ou sans âme, belle ou laide ; il y avait enfin autant de madame Firmiani que de classes dans la société, que de sectes dans le catholicisme. Effrayante pensée ! nous sommes tous comme des planches lithographiques dont une infinité de copies se tire par la médisance. Ces épreuves ressemblent au modèle ou en diffèrent par des nuances tellement imperceptibles que la réputation dépend, sauf les calomnies de nos amis et les bons mots d'un journal, de la balance faite par chacun entre le Vrai qui va boitant et le Mensonge à qui l'esprit parisien donne des ailes ».

Qu’en est-il donc ? Entrez à votre tour dans les salons de l’hôtel rue du bac. Vous y trouverez l’hôtesse et vous serez séduits.

C’est une « étude de mœurs », « scène de la vie privée », 1831.

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