Anne Brontë - La Recluse de Wildfell Hall
Par Agnès Orosco le mardi, avril 8 2008, 01:38 - Littératures anglophones - Lien permanent
Et une histoire. Un peu maladroitement tissée : longue missive du narrateur à un ami proche et froissé de son silence, dans laquelle est enchâssé un long morceau de journal intime, avant de revenir pour conclure à la missive originale. On quitte donc longuement Gilbert Markham éperdu d’amour et de doutes pour revenir en arrière à la lente découverte de la passion et de ses désillusions par Helen devenue Huntington. À ce détail près, c’est du Brontë. Cette littérature féminine anglaise que j’aime tant, souvent raisonneuse, au détriment sans doute d’une certaine tension, mais qui affirme avec force la légitimité de la parole féminine qu’elle met en mots – en discours ! - et en actes. Cette connaissance aiguë, de la part d’une toute jeune femme déjà tuberculeuse et vouée à une mort très proche, de la noirceur de l’homme, des effets pervertissants et ô combien avilissants de la débauche et de l’amoralisme sur soi et sur les autres. Comme la promiscuité avec le frère Branwell, instable, alcoolique, opiomane, trouve ici une issue romanesque, à tous les sens du terme ! mise à distance par personnage interposé, issue narrative que la vie ne pouvait offrir. Le roman, publié sous le pseudonyme d’Acton Bell (les initiales des trois romancières étaient sauves), aurait fait scandale au point de n’avoir connu au long du XIXe qu’une édition expurgée. Il est vrai que dans l’Angleterre victorienne, une jeune femme mal mariée y revendique le droit de quitter son époux - en emmenant son enfant, pour le soustraire à l’influence délétère de son père – et de vivre de son talent de peintre quasi hors de toute vie sociale. Ça devait dépoter, à l’époque !
Il y a les travaux des champs – Gilbert Markham s’occupe de ses terres -, l’amour des bêtes, le chien de Gilbert et celui du jeune Arthur, celui de la nature en ses saisons et ses beautés. L’éloge des maisons tenues avec rigueur, la satire des raseurs et des coquettes, l’étude fouillée des sentiments de jeunes femmes face aux désarrois et à la solitude du mariage, le regard lucide porté sur nos alter ego masculins – si différents de nous ! - . L’adultère et ses conséquences humaines et sociales. L’amitié, et la fidélité. Des citations bibliques en pagaille, car la foi est l’un des bâtons sur lesquels peut s’appuyer Helen dans sa longue traversée du désert. Raison et foi unies sont les garde-fou contre la violence, parfois débridée, des personnages : Gilbert fend la tête d’un coup de pommeau de cravache à un ami qu’il prend pour un rival, puis l’abandonne sous la pluie sans lui porter secours. Nulle mièvrerie là-dedans, nulle niaiserie.
Chère Anne, petite sœur silencieuse, vous avez porté avec une résolution discrète votre part méconnue du génie familial. J’espère que vous aurez trouvé, aujourd’hui, au-delà des différences de mode de vie, votre public.
La traduction est de Georges Charbonnier et André Frédérique, un excentrique assez ignoré de la littérature du XXe siècle, qui a aussi, commis cette traduction ! - revue, sans doute un peu vite (Helen s’appelle parfois Hélène) par Frédéric Klein. Le papier est agréable, la colle solide, c’est un beau livre au double sens du terme. Que j’ai avalé en une nuit. À vous !