CONVOLVULUS - Mot-clé - Derec2024-02-18T20:51:22+01:00Agnès Oroscourn:md5:fa6f5f97ade6456febc2f55c1aaec32dDotclearVacca, Derecurn:md5:c1400c0f1409bb5fbc4d32f6bb54b25d2009-03-01T23:13:00+00:002015-03-06T12:05:42+00:00Agnès OroscoLittératures française et francophonesDerecOuvrages reconstituantsVacca<p style="text-align: justify;">Cinq bouquins ces derniers jours, et c’est du dernier surtout que je veux rendre compte. Trois d’une inspiration autobiographique manifeste, deux plus explicitement fictifs, bien que quatre prétendent au titre de romans.<br />
Il y a donc eu de Paul Vacca <em>La Petite cloche au son grêle</em>, dont le titre m’évoque, allez savoir pourquoi, Francis Jammes. Ce n’est pourtant pas celui-ci qui est au cœur de ce premier roman tardif édité chez Philippe Rey, sobre couverture gris-bleu, papier crémeux, belles marges. Sur les bords de la Solène fleuris au fil des saisons de narcisses, pivoines ou clématites – il y a une musique des noms de fleurs dans ce roman – le narrateur enfant dérobe un jour un volume oublié dans l’herbe à l’approche de la pluie par la cantatrice locale dont il est amoureux. ''Du Côté de chez Swann''. Pour ce fils de cafetiers d’origine italienne, la langue de Proust est une illumination mystérieuse qui va l’unir à sa mère dans une complicité ardente de lecteurs passionnés – malgré les craintes du père : une telle lecture ne risque-t-elle pas de rendre son fils homosexuel ?, et l’hostilité caustique de la prof de français. Au fil des saisons et de la vie tranquille d’un bourg provincial, l’amour de Proust fera entrer dans la salle du café « Chez Nous » Pierre Arditi disant les grands auteurs pour finir sur un feu d’artifice de morceaux de ''La Recherche'', puis réunira le bourg entier dans une grande représentation de l’œuvre, entrée triomphale et douloureuse du narrateur dans l’âge adulte. Paul Vacca devait ce roman à la mémoire de sa mère. C’est un joli texte, d’une écriture <strong>très</strong> classique.<br />
Puis, parce qu’il était à la maison à portée de main, de Jean-François Derec <em>Le Jour où j’ai appris que j’étais juif</em>, récit.</p> <p>Avec quelque réticence au départ parce qu’il me souvenait que l’auteur faisait partie de « la bande à Ruquier » entendue parfois à je ne sais plus quelle radio d’ailleurs, petit monde certes fort spirituel mais dont le persiflage continu m’était pénible.</p>
<p>Eh bien ce bouquin, malgré quelques facilités de style, images ou chutes de chapitres, et parfois un petit côté bateleur, m’a touchée, tout en me faisant bien rigoler. Comme l’indique le titre, il s’agit d’une « réflexion sur la question juive » envisagée de façon très personnelle. Ayant découvert à 11 ans qu’il était juif, l’auteur s’aperçoit que sa famille se réduit à cinq personnes, trois enfants, un père joueur d’échec virtuose, et une mère qui, malgré ses fichus et son accent n’a pour seul but que d’oublier tout de la Pologne et de son passé, pour que les siens deviennent des Français « komifaut ».</p>
<p>Le récit évoque avec verve, en brefs chapitres, les conversations échevelées et incohérentes à la table familiale, les différences et ressemblances entre un repas chez les ashkénazes et un repas chez les séfarades : "<em>mais je tombai sur une mère juive qui, bien que n’étant pas la mienne, n’avait d’yeux que pour moi : « Il ne mange rien ton ami, il est malade ?</em> » <em>demanda-t-elle après que j’eus englouti ma douzième boulette</em>", les infinies subtilités des mots <em>oy</em> et <em>ay</em> dans une conversation en hébreu, ou la gaucherie angoissée de l’auteur confronté à son ignorance radicale des rituels juifs à la synagogue (comment faire tenir une kippa sur sa tête ?). Derrière l’avalanche des traits d’esprit affleure une quête douloureuse de l’identité et des origines. Si le nom de Derec passe pour breton, il n’empêche qu’il est l’apocope de Dereczynski, devenu Derec Zynski, et que cette moitié disparue du nom patronymique polonais « incarne » en quelque sorte le questionnement de l’auteur sur ses antécédents disparus et effacés délibérément par la tradition familiale : "<em>Le devoir de mémoire si cher à nos pontifiants parleurs télévisuels ?</em> (…) <em>Pour ma mère, c’était le devoir d’amnésie qui s’imposait</em>". D’où ces réunions de « familles sans morts » le jour de la Toussaint, et chez Derec la conscience tardive tout à coup que « <em>si on sait où sont les morts, on sait d’où on vient</em> », et la quête du passé toujours plus anxieuse au fil du vieillissement des parents et de l’auteur lui-même. Pour seules traces, cinq photos, qui le conduiront, par recoupement avec le film <em>Shoah</em>, au ghetto de Lodz, en 1941.</p>
<p>Méditation subtile, souvent cocasse, parfois cruelle sur ce que signifie être déraciné, sur le rapport à l’Histoire, aux autres, à sa famille, à soi-même. Pleine de blagues juives, le legs essentiel du père : « <em>S’il te plaît, Dieu, la prochaine fois que tu élis un peuple… prends-en un autre</em> ! ».<br />
Quant aux trois autres livres, ce sera pour demain.</p>http://blogs.ac-amiens.fr/let_convolvulus/index.php?post/2009/03/01Vacca%2C-Derec-133#comment-formhttp://blogs.ac-amiens.fr/let_convolvulus/index.php?feed/atom/comments/134